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Billet de blog 7 juin 2023

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Strasbourg au fil du jazz

"On the Mississippi", première édition du festival à Strasbourg (Bas-Rhin), trois jours en mai, atteste de l’enthousiasme inchangé du public français pour le jazz et le blues des origines. Une palette d’artistes européens et américains de haut-niveau, invitée par deux passionnés, a honoré avec brio les figures de la musique afro-américaine des années 1920 et suivantes.

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Ouverture des concerts le 12 mai. « Les premiers musiciens du jazz ont façonné cette musique avec héroïsme et sens de la vie », proclament en ouverture les fondateurs de la manifestation, Sébastien Troendlé et Tiffany Macquart. Le préambule dressait le constat : « l’origine des musiques afro-américaines est marquée par une blessure importante de l’histoire de l’humanité : l’esclavage ». Dans ce contexte naissent le jazz, le gospel et le blues. Depuis dix ans, le couple - dans la vie parents de deux superbes fillettes - multiplie les actions pour maintenir en vie et transmettre ces « musiques de l’âme ». Les deux mordus incarnent aujourd’hui dans une manifestation leur quête de sens, leur joie, leurs espoirs, leur soif de transmettre du jazz l'esprit et la lettre : On the Mississippi. Un code, les initiales : OTM. Le Mississippi, la Louisiane, berceaux du jazz et du Delta blues. Cadrons les choses. Un événement officialise certes l’apparition du jazz le 26 février 1917 : le premier enregistrement de l’Original Dixieland jazz band. Cependant, le jazz existait déjà aux premiers jours du XXe siècle, nous apprend Laurent Cugny, professeur de jazz à la Sorbonne, lors d’une conférence à la librairie Kléber, au centre-ville. L’érudit brosse les contours de la période pré-jazz entre 1900 et 1917. Le Français, leader d’un tentet de jazz capé, nous démontre de surcroît que le vrai début du jazz éclot à la fin de l’esclavage, à partir de 1863 : « les gens jouent alors un ensemble de musiques, sorte de précipité qui va devenir le jazz ».

Illustration 1
L'Alsacienne au vitrail © Diane Albisser

Lors de cette « préhistoire » - entre 1863 et 1900 - le jazz développe trois aspects : afro-américain, collectif, religieux. Illustration la veille, dans la salle du Point d’Eau d’Ostwald, avec le concert des femmes noires du Nishati Gospel Singers. Le quartet américain de gospel glorifie Dieu (Nothing but the blood of Jesus). Tonnerre d’applaudissements. Encore plus intenses quand s’assoit sur scène l’accordéoniste alsacien Marcel Loeffler. Les artistes ouvrent les portes d’un Oh Happy Day vrillé d’une ferveur digne des verts pâturages, qu’immortalisent le 23e psaume de la Bible. Annonce de taille : les vocalistes accueilleront l’accordéoniste aveugle sur leur prochain album. Coïncidence quant à l’aspect religieux, l’inauguration de l’événement OTM se déroulait dans l’après-midi du 12 sur les quais de l’Ill, à l’ombre imposante de la cathédrale Notre-Dame de Strasbourg, construite entre le 13e et le 15e siècle. Sur le quai des Bateliers - piéton le week-end - Lucien Oisel (22 ans) allume les feux, au piano installé devant la librairie L’Oiseau Rare. Lulu’s back in Town – Undecided – The Man I Love – Mess Around – The Sheik of Araby : autant de titres qui balancent sous les doigtés du Français du Nord, la jeune garde du piano ragtime et boogie-woogie. Autant de régals. Un duo avec Sébastien Trœndlé (On the Sunny Side of the Street) enchante les passants. La foule dandine sur le pavé. Un autre duo entraînant de Loisel - avec Lluis Coloma - laisse présager des plaisirs à venir.

Après le gospel - toujours le 12 mai - prestation ahurissante de Lluis Coloma. Le pianiste de boogie-woogie a collé aux sièges le public avec un show à la fois brillant, émouvant, inattendu, à la mode, décalé. Impressionnante incursion dans le stride! La main gauche du Barcelonais réalise les prouesses d’une section rythmique complète, tandis que la droite emboîte les phrases lumineuses. Le stride (Traduction : enjambée) se révèle le plus difficile des styles de jazz au clavier. Coloma s’en balance. Son talent éclabousse (il avait éberlué tout le monde à Grand-Village, l’an dernier, sur l’île d’Oléron). Les pièces sortent du moule classique. Débordent d’humour (mimiques incluses). Nuk Orleans (dédié à son chien) ; Mishuri (à son chat) ; Yaya’s Son (pour sa grand-mère, une ballade délicieuse) emballent, comme Flamenco boogie et Chromatic boogie (surprise : il cite Star Wars !). Chaque standard se transforme en opportunité de régénérer les reprises (Swanee River - Georgia on my Mind - Chicago Breakdown). Coloma, de l’avis de beaucoup le point d’orgue du premier jour, éblouit ! Après lui, Carl Sonny Leyland, forte présence, s’impose néanmoins grâce à des vocaux toniques sur le style traditionnel des pionniers du rock au piano (Fats Domino, Little Richard, Jerry Lee Lewis). Leyland propose de surcroît une approche très personnelle des standards (Sweet Georgia Brown - On The Killing Floor). En dessert, sa version fondante du Old Fashioned Love (signée James Price Johnson, figure tutélaire du genre), nous révèle quel impétueux strider se cache derrière Leyland, l’Anglo-américain, né à Southampton en 1965. Toute la soirée (et le samedi), les instrumentistes solliciteront, pour les trios, Ananda Brandao (batterie) et Stéphane Barral (contrebasse). Cerise sur le kougelhof, les danseurs (Marie et Olivier ; Nelly et Lucas ; JoYsS) improvisent non stop sur les airs. Ensorcelant...

Le 13, le programme imprimé annonce Louis Mazetier : « l’un des seuls pianistes au monde capable de jouer le répertoire du piano jazz traditionnel d’avant le bebop ». A l’issue de la prestation, l’on se persuade d’une chose : les rédacteurs du texte ont forcément oublié une brassée de superlatifs. Car le virtuose français (il remplit régulièrement le Caveau de La Huchette (Paris 5e) nous époustoufle. Nous poste devant la splendeur du stride. Chaque note résonne comme du cristal. Quelle profondeur dans les interprétations ! Prenez Here Comes the Band de Willie the Lion Smith. La mélodie sublime, repassée par Mazetier, touche au cœur. On s’incline devant les interprétations de Fats Waller, de Duke Ellington, de Jelly Roll Morton, de James P. Johnson (Carolina Shout, nec plus ultra du stride : éclatant). Au tour d'Axel Zwingenberger, monarque incontesté du boogie-woogie européen. L’Allemand enchaîne. Il invitera Mazetier pour un rappel d’anthologie. En attendant, voici - avec le rock - l’une des musiques les plus chaudes jamais inventée pour le piano. Axel accepte que je le cite par son prénom. Sa vocation ? « Apparue il y a 50 ans, à l’écoute des maîtres : Albert Ammons, Pete Johnson, Meade Lux Lewis. J’ai écouté cent fois leurs bandes, notamment le Honky Tonk Train Blues de Meade Lux. D’une complexité rythmique effarante. Construit sur deux clés parallèles. J’en possède une douzaine de versions enregistrées. Mon secret pour le jouer? Ecouter. Le premier choc passé, je n’ai fait que ça !». On le croit volontiers. Ce soir-là, Axel envoie le boogie-woogie sur orbite. L’interprétation du Honky Tonk Train Blues (presque dix minutes), regorge de variations, de brisures dans la main gauche, de tournures mélodiques nouvelles à la main droite. De toute beauté. Axel m’expliquera que si le rythme est exécuté « au mètre étalon », et si le groove de la main gauche est différent de celui de la main droite : alors les mélodies surgissent naturellement. Revu Axel le dimanche 14 en duo avec l’épatante Hongroise Cili Marsall (23 ans) lors du concert de clôture au Château de Pourtalès, en bordure de la capitale alscacienne. Superbe Mess Around signé Cili. Pulsation impeccable. Tous les bretteurs du stride étaient venus se saluer dans ce lieu, comme pour sceller la confrérie réunie par le festival OTM. Une fête adoubée par la présence - à quasiment tous les concerts - de la Consule générale des Etats-Unis à Strasbourg, Madame Darragh Paradiso, en phase avec les idées affichées au festival (lire absolument l’Edito de la diplomate sur le site d’OTM : le texte évoque, notamment, le 60e anniversaire du discours de Martin Luther King en 2023). Les concerts avaient commencé par des voix gospel. Ils se terminent par le cri du blues. Pour Laurent Cugny, le blues trouve son origine dans les chants de travail, une sorte de « concurrence profane aux chants religieux ». Illustrant le propos, Tiffany Macquart et Sébastien Trœndlé ont invité une célébrité du blues électrique, le styliste de Chicago Corey Dennison. Chicago, où se précipitent les esclaves (ou affranchis) qui fuient le Sud ségrégationniste pour trouver du travail (ils y apportent et enrichiront un langage musical). Le quartet de l’émule d’Otis Rush, de Muddy Waters, de Jimmy Dawkins et de Jimmy Reed a déroulé le show parfait. Mention spéciale à ses propres compositions : Song for my Old Man - Are You Serious - Don’t Say You’re Sorry - How Long. Puis à « I Wouldn’t Treat a Dog » (Bobby Bland). Corey Dennison, d’une simplicité confondante, s'étonne en sortant derrière moi du van d’être reçu dans un Château (Pourtalès). Je lui assure avec un sérieux de majordome que tel est l’accueil habituellement réservé en France aux princes du blues. Incrédule : « Really » ? Puis le guitariste éclate de rire. Ses musiciens rigolent. Ce trait représentait - je le crains - mon unique contribution effective à l’organisation d'un formidable week-end de musique. On the Mississippi : bien davantage qu’un festival.

Bruno Pfeiffer

Livre

Sébastien Trœndlé, Rag & Boogie (Les rêveurs)

DVD

Sébastien Trœndlé, Rag’n Boogie (Les 2 spectacles = 2 heures), Frémeaux&Associés.

Le pianiste présente le spectacle Rag’n Boogie au festival Off d'Avignon du 7 au 29 juillet 2023 à 14h30 tous les jours au Théâtre de La Luna.

CD's

Lucien Oisel, Blues and Boogie (Lucien.oisel@gmail.com)

Laurent Cugny, Histoire du Jazz, Frémeaux&Associés (4 CD - 2023)

Laurent Cugny Tentet, Zeitgeist, Frémeaux&Associés (2023). Énorme!

Corey Dennison band (Delmark 2016) - Grand Prix 2016 du Blues de l’Académie du Jazz MINUTE

Sébastien Trœndlé, Boogies on the Ball  (Frémeaux&Associés)

Sébastien Trœndlé, Rag n' Boogie (Frémeaux&Associés). En solo - l'avalanche de rythme!

DERNIÈRE MINUTE

Le Festival international de boogie-woogie de Laroquebrou , dans le Cantal (23e édition : 9 au 13 août 2023), vient de nommer Sébastien Trœndlé à sa direction musicale. Une référence de taille : Laroquebrou est le plus grand festival de boogie-woogie au monde!

CONCERT  2023

Vladimir Torres Trio le mercredi 28 juin au Sunside pour l'album Brujos sorti le 2 juin 2023 (L'Horizon Violet/Absilone/Socadisc/Believe). Un disque de jazz puissant, fluide et mélodieux. L'emballant contrebassiste originaire d'Uruguay - formé en France - sera accompagné par Martin Schiffmann (piano) et Tom Moretti (batterie). Puis rejoint, pendant le concert, par deux artistes en verve en ce moment : le saxophoniste cubain Ricardo Izquierdo, et la vocaliste Mélina Tobiana. Soirée tonique assurée.

Ricardo Izquierdo le 29 juin à 20h30 au Studio de l'Ermitage (Paris 20e) pour son emballant album Kikun Pelu Mi Wa (sortie le 26 mai - Label MiRR/L'Autre Distribution). Le Cubain, installé à Paris depuis une vingtaine d'années - réputé pour la fluidité et la couleur du jeu de saxophone ténor - fait le bonheur des clubs. Il  collabore avec de nombreuses formations. Sur le disque, l'accompagnent : Sergio Gruz : piano/Gildas Boclé : contrebasse/Juan Sebastien Jimenez : contrebasse/Fabrice Moreau : batterie/Javier Campos Martinez : percussions.

Festival International de Jazz de Montréal du 29 juin au 8 juillet prochain (43e édition). L'affiche la mieux pourvue de la planète. Les pointures du blues et du jazz répondent présent à nouveau :  Buddy Guy, Diana Krall, Robert Plant & Alison Krauss, Brad Mehldau, Melody Gardot, Snarky Puppy, Herbie Hancock, George Benson, etc. Les vedettes montantes du jazz viendront aussi, parfois sur un même plateau. On relève une présence accrue du jazz sur les scènes principales du Festival, que cela soit en salle ou en extérieur.

Jacky Terrasson en trio, du 6 au 8 juillet au Sunset (Paris 1er), première tête d'affiche connue du festival Pianissimo. Parmi les pointures de cet événement de l'été à Paris - cela pour la dix-huitième fois - on annonce déjà Larry Goldings (avec Peter Bernstein); Pierre de Bethmann (avec David El Malek); Yonathan Avishai; Xavier Thollard; Tony Paeleman (avec Christophe Panzani); Jeb Patton (avec Dmitry Baevsky) et Laurent Marode (avec David Sauzay). Côté jeunes talents, on suivra les révélations Julia Perminova, Ilan Elbaz, Adrien Brandeis (avec Arnaud Dolmen), et Léo Labarrière. là encore, d'autres annonces à venir. Le festival s'étendra sur 2 mois (juillet et août 2023).

Jazz à Junas (Gard), du 18 au 22 juillet 2023, dont - pour la 30ème édition - la programmation reprendra l'histoire du festival. Une histoire haute en sons actuels, en couleurs, en plaisirs à venir. Beaucoup d'événements retentiront entre les roches des carrières de Junas. Relevons les concerts suivants : le projet S.h.a.m.a.n.e.s de l'épatante percussionniste Anne Paceo/le quartet de l'inventif batteur Daniel Humair, une stature/l'émouvant trompettiste sarde Paolo Fresu/le quartet du briscard Lars Danielson, le contrebassiste suédois/la sidérante vocaliste Sandra Nkaké/le trio du  lumineux accordéoniste Vincent Peirani/l'ébouriffant orchestre Le Sacre du Tympan, dirigé par Fred Pallem/l'attendu Kutu, du violoniste Théo Ceccaldi avec son groupe franco-éthiopien/le projet KHMER, chef d'œuvre du trompettiste norvégien Nils Peter Molvaer (ECM, 1997). Et d'autres affiches de haut-vol...

 Sylvain Luc Trio le dimanche 23 Juillet aux Nuits de la Guitare de Patrimonio (Haute-Corse), pour la 32ème édition du festival : du 18 au 25 juillet 2023. Le guitariste basque jouera en première partie de Marcus Miller. Parmi les autres bretteurs de la six-cordes attendus sur l'île : Fred Chapellier le 20 - Juan Carmona le 22 - Stochelo Rosenberg & Josho Stephan le 19 - Yamandu Costa et Armandinho le 18 - Luca Imbiriba le 25.

Yemen Blues le 25 juillet au NEW MORNING (Paris 10e) dans le cadre du Festival All Stars de l'été 2023. Une musique aux fortes influences du Moyen-Orient, entrelacée de groove, de blues, de funk, de rock. Ravid Kalahani mène la danse. Le chanteur veine la musique noire-américaine avec les vibrations du désert saharien : nubiennes, gnawi, touaregs, saidi, bambara. Une réussite.

Jazz au Phare (des Baleines, au nord de l'île de Ré) - 14e édition - du 30 juillet au 3 août 2023. Avec Biréli Lagrène (qu'accompagnera un orchestre symphonique) Lavilliers, Murray Head, Roberto Fonseca & La Gran Diversión. Ainsi qu'une trentaine de formations, dont les quartets explosifs de Jean-Michel Proust et de Jean-Pierre Bertrand. Une séduisante affiche, dans un cadre surnaturel.

Triumviret le samedi 23 septembre 2023 (12h), dans l'Eglise Notre-Dame de Portbail (Manche) dans le cadre du festival Les Arches en Jazz. Triumviret, un jeu de mots réussi pour le trio du contrebassiste Jean-Philippe Viret et de ses deux enfants : Adèle (violoncelle) et Oscar (trompette). Comme dans beaucoup de familles, on compose et on improvise. Ici, c'est en musique (jazz), en public, et à un très haut niveau.

Francis Laffon le jeudi 23 novembre 2023 à 20h à fond de cale de la Péniche Anako, Bassin de la Villette - face au 34 quai de la Loire - Paris 19e. Métro Stalingrad ou Jaurès. Avec les airs du chansonnier, revivent les talents des grands paroliers : Vian, Ferré, Caussimon, Brassens. Pour toute information : info@penicheanako.org.

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