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Billet de blog 7 novembre 2023

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Jazz manouche : Bireli Lagrène enlumine Loulou Gasté

La vedette Line Renaud a donné carte blanche au guitariste prodige Bireli Lagrène pour revisiter douze compositions de son défunt époux, le légendaire Louis Gasté (dit Loulou), disparu en 1995. Le résultat ? « Bireli Lagrène Plays Loulou Gasté ». Déjà, l’un des grands disques de jazz de 2023.

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Illustration 1
Bireli Lagrène en 2022 © Alexandre Isard

C'est une histoire de passions et de fidélité. Line Renaud et son mari Loulou Gasté partageaient une amitié sans bornes pour Django Reinhardt. Ils fréquentaient régulièrement le génie manouche pendant les tournées après-guerre, sortaient les guitares dans toutes circonstances, se rencontraient lors des vacances sur la Côte-d’Azur. Django meurt en 1953. Plus tard, Line entendra régulièrement Loulou chanter les louanges de Bireli Lagrène, guitariste manouche comme Django. Loulou meurt en 1995. Invitée en 2006 par Michel Drucker, Line choisit le Gypsy Project, le groupe culte de jazz manouche emmené par Bireli. Ils jouent un titre sur le plateau. L'idée germe. Il y a deux ans, l'artiste se décide, contacte directement l’Alsacien au téléphone. Abasourdi, celui-ci ne sait quoi répondre : « Line s’est montrée patiente, adorable. Elle connaissait ma période pur manouche. Elle adorait le Gypsy Project. Elle était déterminée à ce que soit moi qui réalise l’hommage à Loulou. Je connaissais peu la chanteuse. Impensable, toutefois, de passer à côté de l’actrice. Tous les salons de France l'accueillaient, cela par la vertu du film Bienvenue chez les Ch’tis. Nous l’avions visionné en famille. Très vite, la foi dans le projet m'a conquis. Le répertoire créé par Loulou aussi : il a - notamment - alimenté avant-guerre l’orchestre des Collégiens, le grand orchestre de Ray Ventura. Les Collégiens, c’est le jazz de l’époque ». Bireli se souviendra avoir chauffé les guitares, enfant, parmi les siens, « avec du Loulou. Mon frère appréciait plusieurs de ses chansons. De surcroît, nous entendions les succès de Line ». Loulou a composé quelque 1200 titres.

Bireli découvrira sur un disque datant de 1937, que Loulou Gasté (à la guitare rythmique) accompagne Django Reinhardt. Ce dernier, l’un des monuments du jazz, a gravé, lors de l’ultime séance de son vivant, en 1953, une superbe composition de Loulou (Le Soir). Bireli surplombe depuis plusieurs dizaines d’années la légion de guitaristes chevronnés qui honorent Django. Bireli ne jure que par ce dernier. Son Saint Patron. Loulou le vénérait pareillement. Tout s'enchaîne.

Bireli nous a gratifiés l’an dernier de l'album Solo Suite (Label PEE/WEE!). Une introspection virtuose. Premier opus du magicien de Soufflenheim en solo. Album primé en 2022 par l’Académie du Jazz (Section : Prix du Disque Français). Sa trajectoire attirait - une fois de plus - l’artiste vers d’autres aventures que le jazz manouche. Bireli s’est recentré: « pour cela j’ai convoqué la charnière originelle du Gypsy Project (Diego Imbert (contrebasse) / Hono Winterstein (rythmique). J’ai pu mener la musique à ma façon. Les conseils de Line Renaud m’ont souvent guidé, toujours accompagné. Leur couple était d’une complicité musicale si intense... Lors de chaque conversation, elle me nourrissait d’expérience, de conseils, d’anecdotes, m’entourant d’affection ! Le disque, je l’ai aussi enregistré pour elle ».

L’écoute des instrumentaux restitue le climat de respect et de recueillement qui caresse la réalisation de l’œuvre, cela durant les quatre journées d’enregistrement au Studio Ferber (Paris 20e). Le cinquième jour, quand Line rejoint les musiciens sur place, l’émotion éclate! Que l’on s’imagine! Les ballades, splendides de bout en bout (Pour la Bonne Raison – Feelings – L’Âme au Diable – Le Soir – If I Love), débordent de tendresse, confinent au sublime. La moindre note raconte une histoire, éclabousse de poésie et de précision (la marque des maîtres). L'inspiration de Bireli remet au goût du jour le balancement des années folles. Les solos revigorent le jazz swing, lequel explose dans les tempos rapides (Ma Cabane au Canada – Un Amour d’Été – Django – Sainte-Madeleine). Line Renaud, dans un texte émouvant sur le livret du disque, confie combien les versions de Bireli l’ont faite chavirer.

L'auditeur reste enivré par tant de passion. Tout le disque célèbre la fusion de l’œuvre de Loulou Gasté avec l’esprit de Django. Bireli, lui, joue en pensant à son idole depuis l’enfance. Il déploie son talent inouï au service du programme. L'irruption des pépites de Gasté lui fournit même l'occasion d'actualiser sa technique. Dans la foulée, le Manouche envisage plusieurs concerts : « pour vivre le projet à fond. » Il s’interrompt. Se réserve quelques secondes de recueillement. Puis : « maintenant, l'heure est venue de renvoyer l’ascenseur à la plus belle musique du monde ».

Bruno Pfeiffer

CD’s

Bireli Lagrène, Plays Loulou Gasté (Label Dreyfus Jazz / BMG)

Bireli Lagrène, Solo Suite (Label PEE/WEE!)

Bireli Lagrène, Gypsy Project&Friends (Label Dreyfus Jazz / BMG)

Django Reinhardt, Intégrale 80 CD (83 heures de musique : un trésor!) - Frémeaux&Associés

Concerts 2023

David Enhco (trompette) & Marc Perrenoud (piano) le vendredi 10 novembre au Bal Blomet (Paris 15e - M° Volontaires), et le dimanche 12 novembre 2023 (deux séances à 16h et 19h), dans la salle de la Chapelle du Château de Grouchy (Osny - Val d'Oise), aux portes du Parc naturel régional du Vexin, dans le cadre de la 27e édition du festival JAZZ AU FIL DE L’OISE. Leur album Chet (Label NOVE), pour le moins dans l’esprit de l’incomparable trompettiste Chet Baker, est sorti le 15 Septembre. Standards honorés - quelques séduisantes compositions de David Enhco - climat de velours du début à la fin. Recommandons un autre concert, en duo également, du frère de David, Thomas Enhco - avec l'immense contrebassiste Stéphane Kerecki - le 19 novembre, cette fois en l'église de Valmondois. A noter enfin, le concert du Laurent Mignard Orchestra le vendredi 1er décembre sur la Nouvelle Scène nationale de Cergy-Pontoise (Théâtre des Louvrais). J'ai vu son Duke Orchestra le 26 octobre au Bal Blomet (Paris 15e) : un hommage ultra-sublime à la Nutracker Suite d'Ellington et Strayhorn. Et les premiers succès des années trente. Quel bonheur de se promener dans les univers du Duke! De sortir dans la rue, et de me retrouver en plein Harlem, ne m'aurait pas surpris du tout! (Voir programme complet de JAZZ AU FIL DE L’OISE).

Joshua Redman le lundi 13 novembre 2023 à l'Auditorium de la Seine musicale (20h30). Le saxophoniste ténor tient le haut du pavé depuis plusieurs dizaines d'années. On ne le sent pas prêt de s'arrêter. Mieux : le Californien joue aujourd'hui avec davantage de lyrisme, de densité, d’élégance dans le phrasé, de tranchant. Sur scène comme à la ville, le personnage déborde de générosité. L'hiver dernier, son concert à la Philharmonie de Paris m'avait emballé. Carrément exceptionnel. Le quartet de l'époque (primé notamment par l'Académie du Jazz), avait enregistré un triomphe. A la Seine musicale, sur l'Île Seguin (Boulogne-Billancourt), M° Pont de Sèvres, le Joshua Redman Group, pour la première fois de sa carrière, mettra en avant la chanteuse qui intègre la nouvelle formation. Originaire de la Nouvelle Orléans, Gabrielle Cavassa nous régale d'un timbre de voix magnifique, empreint de précision, de feeling, et de groove. On est frappé instantanément sur Where are We, le dernier disque de Joshua (Label Blue Note). Ecoutez Baltimore ou Streets of Philadelphia : l'auditeur accroche aussitôt! La vocaliste cumule sans surprise les éloges. Where are We figure à la fois un périple à travers les lieux symboliques des Etats-Unis et un recueil de ballades. Pour terminer sur un hommage appuyé aux standards. Dans ce répertoire, Redman excelle. Avec lui, également, à La Seine : Paul Cornish, piano - Philip Norris, basse - Nazir Ebo, batterie.

James Brandon Lewis le mardi 14 novembre à Strasbourg (Fossé des Treize), dans le cadre du festival Jazzdor. Son quartet habituel - Aruán Ortiz (piano) | Brad Jones (basse) | Chad Taylor (batterie) - nouera de formidables conversations avec le saxophoniste ténor, cela tout en appuyant les chevauchées effarantes du leader. Les périodiques spécialisés et les titres grand public américains (par exemple le New York Times), saluent l'improvisateur hors-pair (et pour le moins non-académique).  Jazzdor l'invita il y a quelques années. Un triomphe. Sonny Rollins assurait récemment que Lewis et lui parlaient le même langage. Son dernier album avec le Red Lily quartet (For Mahalia with Love - Label Tao Forms), supérieur, figure en bonne place dans les disques de jazz de 2023. Parmi les autres belles affiches annoncées. Le Seetu African Jazz Roots le 16 novembre à la Reithalle d'Offenburg de Simon Goubert, Ablaye Cissoko, Jean-Philippe Viret, et Sophia Domancich; le trio du contrebassiste Pascal Niggenkemper le 19 novembre au Planétarium du Jardin des Plantes de Strasbourg; la lecture musicale de Pessoa le 23 novembre, par Frédéric Pierrot, Claude Tchamitchian (contrebasse) et Christophe Marguet (batterie) au Centre culturel Claude Vigée de Bischwiller, et bien d'autres à choisir dans le programme richissime. Pour ne pas changer.

Ramona Horvath le 18 novembre - 19h - au Sunside (Paris, 1er). La pianiste d'origine roumaine, naturalisée française (elle ensorcèle aussi bien avec Duke Ellington, qu'avec les standards, ou Ravel et Debussy), nous régalera de son prochain album Carmen's Karma sur le label Camille productions (sortie le 3 novembre 2023). Une rythmique éprouvée pour l'épauler : le batteur Antoine Paganotti (entendu récemment briller dans le Laurent Cugny Tentet) - le précis et mélodieux Nicolas Rageau à la contrebasse. Recommandé.

Le collectif DeadJazz au New Morning (Paris 10e), le jeudi 23 novembre (20h30), en formation complète (Lionel Belmondo - trompette, arrangements; Stéphane Belmondo - saxes; Eric Legnini - piano Rhodes, orgue, claviers; Laurent Fickelson - claviers, orgue, piano Rhodes; Thomas Bramerie - contrebasse; Dré Pallemaerts - batterie), cela pour célébrer la sortie de l’album Dead&Jazz (Label bflat Records/Jazz&People), dédié à la musique du groupe The Grateful Dead, un super-groupe psychédélique américain de la région de San Francisco. La bande de briscards des Belmondo's à leur top, en fusion pour nous régaler, revisite le répertoire des Californiens. Les huit pièces - captivantes - nous embarquent du début à la fin, et même "au-delà" (le propre du Dead). Épaté, on s'interroge : quand ces gars s'arrêteront-ils de nous surprendre? Critique du disque à suivre.

Snorre Kirk (batterie) et Giacomo Smith (saxophone, clarinette), les mercredi 22 et jeudi 23 novembre 2023 au Duc des Lombards (Paris 1er).  Rencontre d'un quartet all-stars intemporel entre le compositeur, bandleader et intrumentiste norvégien surdoué Snorre Kirk, et le fondateur de la formation Kansas Smitty’s. Le batteur le plus "tradi" de Scandinavie croisera le feeling ultra-vintage du clarinettiste le plus dispensateur de swing du Londres jazzy. Saluons au passage le Snorre Kirk Quartet, finaliste - avec l'album Going Up (Label Stunt) - du Grand Prix de l’Académie du Jazz 2021 (meilleur disque de l’année).

Francis Laffon le jeudi 23 novembre 2023 à 20h à fond de cale (et à fond la caisse) à la Péniche Anako (Quai de Loire - Paris 19e). Avec le chansonnier, revit le talent des grands paroliers : Boris Vian, Léo Ferré, Jean-Roger Caussimon, Georges Brassens. Pour toute information : info@penicheanako.org.

Xavier Richardeau les 30 novembre et 1er décembre au Duc des Lombards (Paris 1er), fort du répertoire de son disque A Caribbean Thing (Label Continuo Jazz). Depuis son déménagement il y a 7 ans, à Gosier (Guadeloupe), le saxophoniste (baryton-soprano), qui a fait les beaux soirs des clubs parisiens, a muté vers un jazz chaleureux, tonique à souhait, toujours brillant, marqué davantage "Caraïbes". Le voilà là-bas directeur artistique du club New Ti Paris, une plaque tournante des musiciens de jazz les plus actifs de L’Arc insulaire oriental des Petites Antilles. Il y jouera du reste les 14, 15 et 16 décembre prochains. Avec lui au Duc : Jocelyn MENARD - saxophone ténor/Léonardo MONTANA - piano/Anthony JAMBON - guitare/Régis THÉRÈSE - basse électrique/Yoann DE DANIER - batterie.

Sullivan Fortner le dimanche 3 décembre au New Morning (Paris 10e - 19h30), pour la sortie du double album de piano Solo Game (Artwork/Distribution PIAS). La palette du Néo-Orléanais impressionne, au même titre que son talent. Je l'ai entendu en 2015 avec le clarinettiste Oran Etkin. La même année à Marciac (Gers), en solo, en seconde partie de l'Indonésien Joe Alexander. Et il y a trois ans, en duo, à La Philharmonie de Paris, en duo avec la sublime Cecile Mc Lorin-Salvant. Avec elle également au Sunside. Fortner a fait partie du quartet du trompettiste Roy Hargrove. Le pianiste joue dans quasiment toutes les configurations. Ses pairs recherchent sa collaboration. On devine la raison : en sa présence, aucune chance de fléchir au plus haut niveau.

Sophie Darly le 7 décembre 2023 au Studio de L'Ermitage (Paris 20e). Son prochain album, le troisième, (Slow Down Fast, sur le label Broz) sera alors sorti. La vocaliste a composé les huit titres : une abondance de gospel, de blues, de soul, de jazz brûlant, de passion partagée. Partout, grâce,  feeling, virtuosité à revendre. Qu'on juge aussi de la qualité de l'ensemble par les présences des musiciens : Pierrick Pedron, Julien Alour, Antoine Reininger, Daniel Mizrahi, Arnaud Gransac, Mathieu Penot, Hector Gomez. Une révélation.

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