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Billet de blog 10 juin 2024

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Monty Alexander, un swinger qui franchit les mers

Le pianiste américain de jazz né à Kingston (Jamaïque) en 1944, a trempé le swing des maîtres dans les rythmes caribéens. L’Europe a réservé une période de gloire à « Montreux Alexander », dans les années 70-80. À 80 ans, Monty voyage toujours pour la bonne cause. Le prodige s’assoit au New Morning (Paris 10e) le 3 juillet.

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Nous prenons rendez-vous à l’Hôtel Raphaël début avril, avenue Kléber, à deux pas de l’Arc de Triomphe. J’arrive sur un strato-nimbus, sa musique en tête. Alors étudiant, nous écoutions en groupe les récitals vinyles de Monty Alexander sur le label Pablo dans les piaules de la Cité U de Strasbourg. Lorsque l’artiste filait pendant plusieurs minutes dans des croisières lyriques et survoltées, les cous se tendaient. La fluidité du discours (une fusion de son ADN caribéen et du swing le plus souple) captivait. Une dramaturgie soutenue dans chaque morceau. L’influence combinée de son modèle Nat King Cole, de son maître Oscar Peterson, et de son idole Art Tatum. À la réception de l'hôtel, je demande le nom à l'époque déchiffré 36 fois sur les pochettes, persuadé que le visage de mon interlocuteur ne cachera pas son admiration pour la célébrité. Je tombe des nues : « connais pas, nous n’avons pas de personne de ce nom ici » ! Incrédule, je bredouille : « vous êtes sûr ? Monty Alexander ?? Le grand pianiste américain ?». Réponse tout aussi négative : « non, Monsieur. Le seul américain qui loge ici est M. Montgomery ». Je perçois en deux secondes l’issue favorable. Je me souviens avoir lu que Monty est le diminutif de son prénom, Montgomery. Je bondis comme un kangourou sur le lutrin : « c’est lui » ! Le prénom ? Les parents l’ont choisi en hommage au général britannique Bernard Montgomery. Egalement surnommé Monty, ce dernier a coordonné l’ensemble des forces alliées terrestres au débarquement de Normandie. La Jamaïque  a encensé le militaire après la victoire (1). Eh oui, Monty Alexander est né le 6 juin 1944 ! L'octogénaire tire de cette correspondance le titre et le contenu du nouvel album D-Day (le Jour J). Événement qui lui inspire plusieurs compositions (Why ? River of Peace, Restoration, D-Day). L’auteur glorifie - verve inchangée - l’héroïsme, l’espoir, le sacrifice, la peur. Et la lutte pour la liberté. Des thèmes pour le moins d’actualité… Egalement sur le disque, la chanson composée par Charlie Chaplin, Smile. Monty ajoutera : « parce que le D-Day incarne aussi le soulagement, le retour à la vie, la paix ».

Le pianiste m’installe dans un sofa rouge qui aspirerait une classe entière de colonie de vacances. Il me met à l’aise. On s’était parlé dans les loges de Marciac (Gers), l’été 2011. Il me faisait alors part de sa tristesse : certains journalistes écrivaient que son style se figeait dans les périodes swing et bop. Monty : « je ne m’inscris pas dans l’avant-garde, c’est sûr ». Je l’avais rassuré : la vitalité et la richesse de son message séduisaient toujours. Ne pas oublier, de surcroît, qu'il a participé - à Kingston - aux toutes premières sessions du ska! Mieux, sa musique (celle-ci couvre le Great American Songbook), ouvre les esprits à la richesse du jazz, à mon sens un passage dont le monde ressent le besoin par les temps qui courent. Monty a grandi comme un surdoué. Quand ses parents émigrent aux USA, il a 17 ans et joue déjà dans les clubs. Frank Sinatra le découvre à Miami. « The Voice » l’emmène à New-York. Le regard de Monty se voile : « Frank venait souvent m’écouter ». Il épate Oscar Peterson. Le Canadien le recommande en 1971 à Don Schlitten, alors manager du label allemand MPS. S'enchaînent les disques, les tournées en Europe, aux Etats-Unis, au Japon. La consécration. Monty : « je n’ai suivi aucune école. Je me suis tenu à écouter les géants du jazz. Mes héros ? Art Tatum, Ahmad Jamal, Nat King Cole, Errol Garner, Wynton Kelly, Oscar Peterson. Mes exemples, les voilà. Ils se sont battus pour jouer jusqu’à leur dernier jour. Je suis connecté en permanence à leur musique ». Ecoutez D-Day. Monty joue d’instinct une œuvre plus intérieure que les précédentes. Rassérénée. Profonde. Introspective. Rassurez-vous néanmoins. Le feu ne s’est pas éteint.

Bruno Pfeiffer

(1) La Jamaïque faisait partie du Commonwealth jusqu’en 1962

CD

Monty Alexander trio, D-Day (PeeWee Records). Enregistré principalement au Studio Sextan (octobre 2023).

Montreux Alexander, MPS (1976)

Monty Alexander in Tokyo, Pablo (1979)

CONCERTS

Monty Alexander le mercredi 3 juillet 2024 (2 concerts : 19h30&21h30) au New Morning (Paris 10e), dans le cadre du

All Stars Festival au New Morning du 27 juin au 30 juillet 2024.

Monty Alexander le 6 juillet au Charlie jazz festival ( Vitrolles) 

Monty Alexander le jeudi 22 août au Nice jazz festival (Théâtre de Verdure)

Malo Mazurié le 15 juin à la Médiathèque de Boulogne-Billancourt avec son groupe Three Blind Mice. La trompette du triple lauréat du Prix,du Jazz classique de l'Académie du jazz étincellera dans un répertoire chéri : les années trente (Bix Beiderbecke, Louis Armstrong, etc.). Ils sont trois à l'origine de Three Blind Mice : Sébastien Girardot (contrebasse), Félix Hunot (guitariste), et lui. Autant prévenir de leur musique  irrésistible! Les épaules s'agitent dès les premières phrases des musiciens. Malo a sorti au début de l'année un disque en quartet plus personnel, Takin the Plunge (Label EncoreMusic). Le soliste du phénoménal Duke Orchestra de Laurent Mignard y partage son amour (je ne trouve pas d'autre mot) de Duke Ellington, Jelly Roll Morton, Bix Beiderbecke, et Louis Armstrong. Il signe de surcroît huit compositions. J'avais entendu Malo avec le Duke Orchestra au Bal Blomet (Paris 15e), cet hiver. L'excellence incarnée. On comprend que les mélomanes américains nous jalousent le Duke Orchestra. Les dates à venir du quartet de Malo Mazurié : 22-23 juillet JAZZ IN MARCIAC - Scène bis (32);
26 septembre, ST BENOÎT SWING - St Benoit (86); 28 septembr,e MAROC IN JAZZ - Marrakech le 29(Maroc);
25 octobre, JAZZ POUR TOUS - Angers (49); 28 octobre à Chatelaillon-Plage (17).

Christophe Dal Sasso Big band le 18 juin à 21h au Sunside (Paris 1er) pour la sortie de l'album très attendu sur la musique de Chick Corea (Three Quartets Revisited - Label Jazz&People). La qualité du personnel frise au All Stars. Jugez-en : David El-Malek, saxophone ténor/Stéphane Guillaume, saxophone ténor et soprano, flûte/Rick Margitza, saxophone ténor/Thomas Savy, clarinette et clarinette basse/Nicolas Folmer, trompette et bugle/Christian Martinez, trompette/Denis Leloup, trombone/Jerry Edwards, trombone/Pierre de Bethmann, piano/Manuel Marchès, contrebasse et le formidable Karl Jannuska à la batterie. Christophe Dal Sasso, l'un des meilleurs arrangeurs du jazz français, dirige la musique de cet album époustouflant, lequel s'inspire des compositions acoustiques du grand pianiste américain décédé en février 2021.

Jazz à Vauvert (2024) rend hommage à la Méditerranée du 28 au 30 juin. La 21e édition se tiendra au Parc du Castellas de Vauvert (Gard). Avec Rabih Abou Khalil et Elina Duni (le 28), Paolo Fresu et Richard Galliano (le 29), Fwad Darwich  (le 28), Joulik, Inui et The Gumbo Revolution ( tous trois le 29). Entre autres spectacles... Renseignements au : 04 66 80 30 27. Pass 2 soirs : 55 euros.

Peillon Jazz Festival (Alpes-Maritimes) du 28 juin au 1er juillet, avec  le splendide duo Airelle Besson/Lionel Suarez (le 28). Ils m'avaient fait fondre l'an dernier à la Maison des Océans, festival Jazz à St Germain-des-Prés; Monsieur Mâla (le 29); Rolando Luna (le 29); Hommage à Claude Nougaro (le 30); Ludovic Louis (le 30) ; Enrico Pierranunzi (le 1er); Aurore Voilqué (le 1er).

MARSEILLE JAZZ des Cinq Continents du 30 juin au samedi 13 juillet, avec Léon Phal (2 juillet) - Les Égarés (Peirani; Parisien; Segal; Sossoko, le 6 juillet. Assisté à leur prestation à Coutances (Manche) début juin : pure beauté. La créativité avec!) - Meshell Ndegeocello (le 10 juillet) - José James (le 11 juillet) - Gregory Porter et Grégory Privat (le 12 juillet) - Marion Rampal (une aurore boréale de poésie et de musique comme on en voit trop peu, le 13 juillet). En outre, de nombreuses dates cet été. Seront de passage  : Ana Popovic (Le blues électrique et torride vous met-il en orbite? Alors, surtout ne pas louper le 20 juillet). Gardez quelques sous pour le Jeanne Michard Quintet (la sensationnelle épigone de Sonny Rollins), et cochez vite le 28 juillet. Après, vous n'oublierez plus jamais la date)!

Cinquantenaire de la mort de Duke Ellington à St Quentin (Aisne) à partir du 7 juillet dans le cadre de Jazz aux Champs Elysées 2024. Programme : Le Blue Rhythm Band, 7 juillet : The Big Five, 21 juillet : Olivier Franc All Stars, 11 août : André Villéger/Philippe Milanta Duet, 25 août ; Laurent Mignard Duke Orchestra, 15 septembre : Leïla Olivesi, 10 novembre. Du beau linge pour de la très belle musique. "La plus belle du monde", écrivait en substance Boris Vian, qui s'y connaissait en beauté. En outre Francis Crépin, carillonneur émérite, interprétera à nouveau des mélodies de Duke Ellington le dimanche 15 septembre (20h à 20h30) pour le centenaire du carillon de St Quentin. Unique au  monde ! 

ZZTop le 9 juillet au Zénith La Villette (Paris 19e) pour envoyer son blues grungy garni avec des titres ultra-toniques et décoiffants comme "La Grange", "Gimme All Your Lovin", "Sharp Dressed Man",  "Legs" (on en passe). Mené par Billy F Gibbons, soutenu par la force rythmique de Frank Beard et, depuis quelques années, Elwood Francis à la basse, le groupe assène une approche sonore du rock inimitable. J'avais vu Billy Gibbons en éclaireur (Olympia, 2023) : on en redemande!

Le jazz allemand du 17 au 20 juillet à l'affiche de Jazz à Junas (Gard), pour la 31e édition du festival. Tel est le choix de l'assemblée des bénévoles et des salariés de l'association : une particularité de ce festival démocratique et libertaire qui défend un humanisme chaleureux dans la diffusion de la créativité. Le programme décline une "aventure de proximité, un espace de découvertes, une résistance à l'uniformité". Un esprit palpable au moindre contact dans les travées du festival (et les rues de la ville). Les organisateurs invitent des artistes reconnus (Youn Sun Nah le 20 juillet, par exemple), toutefois en gardant le regard en permanence vers l'extérieur. En 2024, bienvenue au jazz allemand, dont la singularité détonne sur toute la planète (le tromboniste Albert Mangelsdorff m'expliquait qu'il s'avérait vital pour l'identité du jazz allemand dans les années cinquante, de s'affranchir du langage des jazzmen américains). Du coup, nous voilà impatients de découvrir des formations inhabituelles en France, comme le groupe du trompettiste chevronné Markus Stockhausen invitant le guitariste Nguyen Lê (le 17). Ou comme le même soir les versions jazz de Bach par le trio de Dieter Ilg. On attend beaucoup du lendemain, le 18, où Airelle Besson invite deux musiciens allemands (Sébastien Sternal- piano/Jonas Burgwinckel - batterie). Et du 19, avec le duo Katarina Koch (voix) et Kira Kinn (saxophone baryton). Sans passer à côté de la formation Triosence, bardé de trophées. Aussi pour la formidable Groove Connection du saxophoniste Jakob Manz. Enfin - le 20 - le saxophone à la fois lyrique et percutant de Nora Kamm jouera doublement à domicile (elle vit en France).

Tommy Emmanuel le 21 juillet aux Nuits de la Guitare de Patrimonio (à côté de St-Florent, Haute-Corse; 33e édition du 18 au 25 juillet 2024). À côté du légendaire styliste australien (il adore la France), le gratin des virtuoses manouches (Rocky Gresset - Stochelo Rosenberg - Adrien Moignard - Fanou Torracinta). D'autres félicités encore (Mike Stern le 24). La mer voisine est bleue comme dans les films.

Michel Bonnet le 30 juin à 18h sur la péniche Le Son de la Terre  (à 100m de Notre-Dame de Paris), avec son nouveau quartet (Philippe Carment : piano - Laurent Vanhée : contrebasse - Stéphane Roger : batterie - et lui-même à la trompette). Le spectacle "Made in trompettes" embarquera l'auditeur à la découverte des trompettistes préférés du leader. Un parcours amoureux, commenté avec humour, jalonné d'anecdotes pour ceux qui veulent entendre les voix des maîtres de l'époque swing : Louis Armstrong - Coleman Hawkins -  Rex Stewart et tous les solistes de Duke Ellington.

Gregory Privat le 8 août au Phare des Baleines (Île de Ré) en trio, dans le cadre du festival Jazz au Phare. Le pianiste antillais, lauréat du prestigieux Prix Django Reinhardt de l'Académie du Jazz 2023, sera entouré de Chris Jennings (contrebasse) et Tilo Bertholo (batterie).

Ramona Horvath le 19 août à Grand Village (Île d'Oléron) pour l'ouverture du festival Un Piano dans la Pinède. La manifestation - elle privilégie le jazz qui swingue - durera trois jours. Un Piano dans la Pinède, organisé par Patrice Robillard, ouvre le haut du panier de jazz classique. Au saxophone ténor dans le quartet de la pianiste franco-roumaine, jouera le légendaire André Villéger. J'ai entendu Ramona au Sunside (Paris 1er), en trio cet hiver. Le jeu rayonne, piquant, original et soutenu. Valeur sûre en concert, c'est une grande admiratrice d'Errol Garner. En outre, de grands interprètes roumains lui ont transmis le flambeau. En France, aujourd'hui, les pianistes de son niveau (un son et un discours d'exception) se comptent sur les doigts de la main. Le jazz et le classique s'entrecroisent dans une pulsation ininterrompue. Dans la sélection finale pour décrocher le Prix Django Reinhardt de l'Académie du Jazz 2023, son nom apparaissait parmi les premiers. Ramona clôture systématiquement les prestations par une composition de Billy Strayhorn. Au Sunside, pas un spectateur ne s'est levé avant la dernière note.

Brad Mehldau les samedi 7 (en trio à 18h) et dimanche 8 septembre (en solo à 16h) à la Cité de la Musique-Philarmonie de Paris (Paris 19e-M° Porte de Pantin) dans le cadre du festival Jazz à La Villette (29 août au 8 septembre). Si j'en juge au phénoménal concert de Coutances le 8 mai 2024 (en trio), le virtuose n'a pas perdu la main. Un enchantement, par celui qui dépasse de la tête et des épaules les pianistes de sa génération.

Exposition "Metal Diabolus in Musica", jusqu'au 29 septembre 2024 à La Philarmonie de Paris (Paris 19e). Instruments de musique, costumes, iconographie, pochettes de vinyles rares, extraits sonores et vidéos, projections ; le visiteur encaisse le lot en pleine figure. La scénographie ahurit du début à la fin (cette apothéose du festival HellFest dans la dernière salle!). Une pédagogie spectaculaire déroule de bout en bout le panorama documenté du mouvement amorcé par les groupes légendaires (Deep Purple, Led Zeppelin, Black Sabbath). Le développement conduit le genre "Métal" aux délires. Réalisé avec le concours de partenaires pour le moins concernés (Le HellFest). Cela pour déclarer que j'ai dégusté la claque du semestre. L'expo que je ne suis pas prêt d'oublier.

B.P.

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