Leïla Olivesi frappe un grand coup. Les forces contradictoires qui traversent la Franco-mauritanienne, l’énergie et le lyrisme, s'entrelacent cette fois dans l’espace. Le personnage solaire a trouvé sa galaxie. Elle me présente le nouvel univers, comme un guide de voyages, au Café Pierre, à République (Paris). Leïla : « j’enchaîne une succession d’ambiances pour présenter les diverses constellations. J’ai organisé un patchwork d’atmosphères. Important : chaque plaisir est censé durer. J’ai composé pour que l’auditeur entouré d’une flopée d’étoiles perçoive simultanément, au loin, la voie lactée. Plus loin encore : le soleil. Je ne veux aucune limite à son champ de vision ». Dans sa précédente œuvre (Suite Andamane, 2019), la langueur le disputait au swing. Comme l’alpiniste qui se repose à chaque fois avant d’affronter, à la suite - dans un défi - chacune des plus hautes montagnes du monde. Le somptueux album Suite Andamane, coup de cœur de l’Académie Charles Cros, brille néanmoins par son intellectualisme, reconnaît la chef d’orchestre.
Dans le nouvel album, Astral, Leïla déploie davantage de punch. L’artiste vise plus haut. Le morceau du même nom qui ouvre Astral annonce le manifeste de l’ensemble : celui-ci indique la cohérence des titres. Une constellation d’atmosphères, de climats, de systèmes. Comme autant d’escales que relie un fil rouge tendu d’étoiles contrastées. Cette fois, le disque n’a rien de planant. Les rythmes forts succèdent aux passages épurés dans une recherche de dépassement de la forme. Leïla Olivesi présente une construction résolument moderne. Les improvisateurs, hors-pair (le ténor Adrien Sanchez ouvre le feu dans Astral), reprennent la saga à la perfection. Et filent bien au-delà. Leïla illustre le propos avec l’exemple de Constellation Draconis : « un morceau très ouvert. Les cuivres interviennent d'ordinaire sur mes signes. Là, on ne compte plus les mesures. » Propose-t-elle des consignes? Réponse : « au départ, je distribue des indications. Cependant, j’attends que les solistes s’éclatent. A l’arrivée, la surprise permanente. Leurs improvisations transcendent chaque morceau ». Tout cela adossé à une architecture sophistiquée, tout de même. Dans Mary-Lou, hommage à la pianiste visionnaire Mary-Lou Williams, une pulsation constante double - comme un calque - les jeux de polyrythmie (deux rythmes se surajoutent sans que l’on le remarque d’emblée). Dans Scorpio, une partie de la Zodiac Suite de Mary-Lou Williams, les passages libres (rubato) alternent avec les ruptures. Jean-Charles Richard (saxophone baryton) et Quentin Ghomari (trompette) s’illustrent. Dans Missing CC Suite, le piano transmute la métrique d’un rythme binaire langoureux en valse emportée. Ensuite l’accalmie. Qu’affolent Baptiste Herbin et Quentin Ghomari. A l'arrivée, le collectif improvise jusqu'au paroxysme général, alors que survient la Marche Funèbre qui honore la mémoire de CC (Claude Carrière), le célèbre journaliste, ancien président de l’Académie du Jazz, dont la disparition affecta Leïla Olivesi (« un vide énorme, immédiat, dans ma vie »). Elle commença à composer Missing CC Suite deux jours après sa mort.
Résultat de l’implication des solistes : un swing accru, une approche bien plus charnelle. Les chorus donnent de la chair au cadrage. On s’en doutait un peu, à lister le reste de la distribution. Baptiste Herbin (alto sax/flute) -Yoni Zelnik (contrebasse) - Donald Kontomanou (batterie) - Manu Codja (guitare) - Adrien Sanchez (ténor sax) - Géraldine Laurent (saxophone alto, phénoménale sur Constellation Ellipsis). Sur le CD se téléscopent tous les contrastes. Sauf dans deux pièces (Soustraire à la Lumière & Au Fil des Rêves). Les textes de la poétesse féministe Lucie Taïeb sertissent ces deux compositions. Les poèmes sont chantés avec conviction par Chloé Cailleton. Ici, l’alternance entre l’ataraxie et le tempo fort cohabitent : les cycles se fondent. Quant au titre Galactica, Lucie Taïeb elle-même, y récite son poème Au Fil des Rêves. Leïla Olivesi a tenu à la présence de deux poèmes dans Astral : « je suis issue d’une lignée de filles uniques, de femmes fortes, d’artistes. J’ai grandi dans un bain de créativité féminine. L’aspect poésie, celui des chansons, tous deux faisaient défaut à mes réalisations ». Les voici, flamboyants, dans la lumière d’un grand disque.
Bruno Pfeiffer
CD : Leïla Olivesi - Astral (Attention Fragile/L’Autre Distribution)
CD : Leïla Olivesi - Suite Andamane (Attention Fragile/L’Autre Distribution)
Concert le mercredi 1er février 2023 à 20h au Bal Blomet (Paris 15e)
Sur l’aspect féminin (considérable) des conceptions de Leïla Olivesi, se reporter au palpitant portrait signé Katia Dansoko Touré dans Jazz Magazine de février 2023.
CONCERTS 2023
Quentin Dujardin au Pan Piper , Paris (11e), le 17 mars 2023. Le talentueux guitariste belge, aux compositions pour le moins attachantes, singulières et colorées (il a beaucoup voyagé), se produira en quartet avec une formation relevée (Manu Katché à la batterie). L'occasion de découvrir son nouvel album "2020", original en diable. Surprises à la clé.
Paris Guitar Festival à Montrouge (Hauts-de-Seine) du 14 au 19 mars 2023. Un événement-référence désormais réputé dans le monde entier (c'est la onzième édition). Qu'on en juge : 6 jours - 60 concerts, le plus souvent des figures (Trio Joubran/Christian Escoudé, Rocky Gresset, Gwen Cahue, Noé Reinhardt/Cali/Nuit de la guitare classique/etc.) - 100 luthiers, floraison de rencontres - prise d'assaut des salles d’essais pour le vintage et les nouveautés… LE festival des guitaristes, de la guitare, des équipements, de l'amplification!
Pierrick Pedron quartet le 23 mars à L'ECUJE (Paris 10e) avec Carl-Henri Morisset (piano); Thomas Bramerie (contrebasse); Elie-Martin Charrière (batterie). Le brillant saxophoniste alto, auréolé de son récent disque en duo avec le pianiste Gonzalo Rubalcaba, occupera la scène de ce nouveau lieu du jazz, situé à l'intersection de la rue La Fayette et du boulevard Magenta. Une garantie du haut niveau de la programmation : c'est le pianiste Olivier Hutman qui s'en occupe...
Première édition du festival Jazzdor Strasbourg-Budapest du 22 au 25 mars 2023 au BMC (Budapest Music Center), lieu emblématique du jazz et de la musique contemporaine dans la capitale hongroise. Notoirement complices dans le soutien aux musiciens de jazz les plus créatifs, BMC et Jazzdor partageront la direction artistique de l'événement. Celui-ci accueillera, en 2023, huit groupes français et belgo-hongrois. Le programme (co-construit par Philippe Ochem et Tamas Bognar), présente une affiche relevée. Avec notamment les formations de Vincent Courtois, violoncelle - Clément Janinet, violon, compositions - Ann O’Aro, voix - Gábor Gadó, guitare - Luciano Biondini, accordéon et Hans Lüdemann, piano - Isabel Sörling, voix - Sylvain Rifflet saxophone.
Ralph Alessi Trio le 28 mars au Fossé des Treize (Strasbourg) pour une création. Le concert remplace Tim Berne, initialement prévu à cette date. La critique considère Ralph Alessi comme l'un des trompettistes contemporains les plus envoûtants du moment. L'Américain, né en 1963 à San Francisco entretient une relation quasi symbiotique avec le pianiste Florian Weber, que j'avais remarqué à Berlin, lors de plusieurs passages au Festival JazzDor. Le batteur Mark Ferber complète le trio. Ensemble, le groupe fomente une musique fascinante.
KLM le 30 mars au Sunset (Paris 1er) pour la sortie de l'album Providence (Parallel Records / Absilone). K (Stéphane Kerecki, contrebasse) -
Y (Yoann Loustalot, trompette) - M (Philippe Macé, vibraphone), dans une configuration inédite, partagent une musique de plénitude qui offre à l’auditeur un parcours sonore original. Celui-ci fluctue essentiellement entre des temps longs, et des temps plus courts, ces derniers rythmiquement plus denses. Compositions ficelées et improvisations libres alternent de la part de trois maîtres du genre.
Michel Pastre Swing Band le 4 avril au Caveau de la Huchette (A 100m de la Place St-Michel - Paris 5e). Le swing décoiffant du saxophoniste ténor nîmois, tendance années quarante, déménage toujours autant les murs des clubs dans un style fracassant, volubile, poétique en diable. Sous ses doigts revivent Lester Young, Coleman Hawkins, Don Byas. Le disque de Michel Pastre avec Dany Doriz et leurs fistons respectifs (Fathers&Sons - Edité par Frémeaux et Associés), a obtenu le Prix du Jazz classique décerné le 12 mars 2023 par l'Académie du Jazz.
Clovis Nicolas le 12 avril au Sunside (Paris-Châtelet). Le contrebassiste/compositeur français installé à New York depuis vingt ans présentera son album The Contrapuntist (Sunnyside/Socadisc), enregistré en 2 temps. D'abord avec un quatuor à cordes classique (Ulysses quartet). Puis en quartet de jazz comprenant des figures connues : Sullivan Fortner (piano)/Jeremy Pelt (trompette)/Bill Stewart (batterie). Le disque sortira début mars. Je viens de l'écouter. La musique de Clovis Nicolas, intense, cohérente, vibre aussi bien à l'ombre de la double influence du classique que de celle du jazz. Daniel Yvinec produit la seconde partie. Groove imparable. Et quel son de contrebasse!
Exposition Basquiat Soundtracks du 6 avril au 30 juillet 2023 à La Philarmonie de Paris. Première du genre consacrée à la relation puissante du peintre Jean-Michel Basquiat à la musique, Basquiat Soundtracks se présente comme la bande‑son de l'œuvre fulgurante, pour laquelle la musique se révèle une clé d’interprétation essentielle. L'exposition donne à entendre autant qu’à voir. S'y rencontrent Beethoven, Charlie Parker, Louis Armstrong, Madonna et la Zulu Nation.
David El-Malek le 15 avril au Sunside (Paris 1er) pour la sortie d'un album de rêve, produit par Stéphane Portet (Travelling : Label Sunset Records/Distr. Baco). Yoann Loustalot (trompette) et Baptiste Trotignon (piano) seront de la féérie. Le dernière fois que j'ai entendu le saxophoniste ténor, c'était le 11 septembre 2020, à La Grande Halle de La Villette, pour l'opus John Coltrane's Africa/Brass Revisited (arrangé par Christophe Dal Sasso), entre les deux confinements de 2020, dans le cadre de la 18ème édition du festival Jazz à La Villette. Purement grandiose. El Malek a scotché tout le monde. Il se produira à nouveau au Sunset le 13 juin, toujours avec Yoann Loustalot. Cette fois au piano : Pierre de Bethmann, cela dans le cadre des Concerts à la bougie.
Ambrose Akinmusire le dimanche 16 avril - 19h, à La Philharmonie (Paris 19e), sur le thème BIRD & BASQUIAT: NOW’S THE TIME! dans le cadre de l'exposition Basquiat. Le trompettiste et compositeur américain, au jeu dense et puissant, orchestre un concert au casting exceptionnel sous le signe d’une rencontre de rêve entre Basquiat et Charlie Parker. Le même week-end, La Philharmonie accueille plusieurs concerts en hommage à Basquiat. Relevons celui du bluesman Eric Bibb, le 23 avril à 16h, intitulé Du Mali au Mississippi, avec Habib Koité.
Leila Olivesi Octet le vendredi 28 avril en show-case (18h30) à la Médiathèque Musicale de Paris (Forum des Halles), en hommage à Claude Carrière dans la cadre du DUKE ELLINGTON SYMPOSIUM INTERNATIONAL (28 au 30 avril 2023 à Paris). La toute fraîche lauréate du prestigieux Prix Django Reinhardt décerné le 12 mars 2023 par l'Académie du Jazz, spécialiste reconnue du Duke, présidera le même jour - à 11h45 - la Table Ronde Duke en Lumières. Y participeront notamment Mercedes Ellington, présidente du Duke Ellington Center For The Arts; John Edward Hasse, biographe, conservateur de la Smithsonian Institution; et Laurent Mignard, chef d’orchestre du célébrissime Duke Orchestra (voir ci-dessous). La pianiste, compositrice, musicologue, cheffe d'orchestre franco-mauritanienne, dirigera et commentera le dimanche 30 avril deux concerts pédagogiques au Sunset Jazz Club : Duke Ellington pour les enfants (15h et 17h). S'inscrire ici.
Laurent Mignard Duke Orchestra le samedi 29 avril à 20h au Bal Blomet (Paris 15e, M° Volontaires), pour fêter les 20 ans de la formation au service de l'un des plus grands créateurs du 20ème siècle. Et génie de la musique tout court. Un concert inédit, le jour de l'anniversaire du Duke (né le 29 avril 1899 à Washington), avec la création en première mondiale de Boola, l’opéra inachevé d’Ellington, d’après les manuscrits exhumés des Archives de la Smithsonian Institution par Michael Kilpat)rick. Une soirée en point d’orgue du symposium international "Duke et les Lumières" réunissant à Paris les experts ellingtoniens du monde entier (28 au 30 avril 2023). Miles Davis déclarait que tous les jazzmen devraient - une journée par an - rendre hommage à Duke. Uniquement les jazzmen?
Festival Jazz à Saint-Germain-des-Prés du 10 au 17 mai 2023. Des concerts attendus (Yaron Herman, Rhoda Scott, Erik Truffaz, Paolo Fresu, Richard Galliano, Thomas Curbillon, Sarah Lenka, Marion Rampal, Natalilia M King, Naïssam Jalal), dans des lieux de légende (Monnaie de Paris, Odéon-Théâtre de l'Europe, Maison de l'Océan, Eglise St-Sulpice, etc.). Autant de voyages dans l'histoire, la géographie, et la passion de la musique.
Youn Sun Nah le 25 mai 2023 au Rocher de Palmer à Cenon-Bordeaux (Gironde). L'époustouflante chanteuse coréenne présente son disque Waking World, le onzième, dont cette fois elle signe paroles et musique. Une grande première pour cette interprète d'exception. Une première concluante. En concert, Youn Sun Nah est entourée de Thomas Naïm (guitares), Tony Paeleman (claviers), Brad Christopher Jones (basse, contrebasse). La tournée de Youn, comme l'appellent ses amis (le public), l'emmènera de mars à mai 2023 à Cébazat, Chalon-sur-Saône, Châlons-en-Champagne, Chenôve, Annecy, Issy-les-Moulineaux, Amiens, Vélizy-Villacoublay, Saint-Gilles les Bains (La Réunion), Queven, enfin à Chartres.
Baptiste Herbin & Nicolas Gardel quartet le 25 mai au Studio de l'Ermitage (Paris, 19e). Leur carré parfait, avec Laurent Coulondre (piano) et Yoann Serra (batterie), jouera son opus Symmetric (Matrisse productions/ L’Autre distribution), lequel sort en mars 2023. Le saxophoniste Baptiste Herbin et le trompettiste Nicolas Gardel croiseront leurs univers : le jazz du premier - la musique d'aujourd'hui du second. Une alliance de styles, entre tradition libérée, modernité maîtrisée, invention incessante. Deux improvisateurs de surcroît lyriques en diable.
Christian Brenner Quintet le 14 juin à 21h30 au Sunside (60, rue des Lombards 75001 PARIS - Tél. : 01 40 26 46 60, M° Châtelet - Les Halles), pour la sortie fin avril du quatrième album que signe le pianiste en leader, Avant l’Eté (Amalgammes/Inouïe Distribution). Avec deux saxophonistes impliqués (Vincent Mascart et Stéphane Mercier); un contrebassiste au jeu solide et créatif (Bruno Schorp), entendu avec bonheur dans le trio de Christophe Panzani (remarquable le 11 janvier au Sunside); un batteur enfin très présent, subtil, à la palette richissime (Frédéric Delestré).