La vitesse avec laquelle le milliardaire Vincent Bolloré est parvenu à vider de sa substance un titre de presse fondé il y a 75 ans est vertigineuse. Les 40 jours de grève des journalistes du JDD n’auront pas suffi à empêcher la prise de fonction de Geoffroy Lejeune, figure revendiquée de l’extrême droite proche d’Éric Zemmour et de Marion Maréchal, au plein cœur de l’été, dans une rédaction dépeuplée, aujourd’hui « grand-remplacée », selon l’expression d’un des concernés. Cet épisode rappelle avec fracas la fragilité des collectifs journalistiques face aux puissances d’argent prédatrices. Il rend plus nécessaire que jamais l’instauration de garde-fous législatifs, au premier rang desquels l’approbation et la révocation des directeurs éditoriaux par les rédactions.
Alors que doivent s’ouvrir en cette rentrée des états généraux de l’information, le silence coupable de l’Élysée, qui a laissé faire sans mot dire, a de quoi inquiéter. On serait tenté de parler de non-assistance à démocratie en danger, car, rappelons-le, puisque l’exécutif ne l’a pas fait, l’indépendance des journalistes par rapport aux actionnaires, aux annonceurs, aux Gafam et aux pouvoirs publics est un prérequis dans une démocratie digne de ce nom. Mediapart en a fait le socle de son modèle. « Seuls nos lecteurs peuvent nous acheter » : ce slogan traduit notre conviction que l’absence d'interférences politiques et économiques est une condition sine qua non de l’exercice de notre métier. Un journal sans publicité, sans actionnaire milliardaire, sans financement des plateformes, sans aides publiques, telle est notre force intrinsèque, celle sur laquelle repose notre lien de confiance avec nos lecteurs et lectrices.
Sur fond de mutations technologiques profondes, le contexte du lancement de ces états généraux, quinze ans après le précédent raté de Nicolas Sarkozy, est celui d’une dégradation continue. L’accélération de la concentration des médias dans la main de quelques industriels du luxe, des télécoms et de l’armement, entre autres, met en péril le pluralisme de notre secteur, en formatant les regards sur le monde. L’emprise de ces acteurs, dont la presse n’est pas le métier, s’inscrit non pas dans une logique industrielle, de développement et de rentabilité, mais dans une recherche d’influence. Et favorise le développement d’une presse d’opinions, qui participe au dévoiement de notre démocratie.
À un moment où la défiance à l’égard des médias n’a jamais été aussi grande, à un moment, aussi, de profusion, notamment sur les réseaux sociaux, des fausses nouvelles et des discours de haine, la recherche de la vérité des faits est plus que jamais indispensable. Seul un journalisme respectueux de nos fondamentaux professionnels, par la pratique de la vérification, du recoupement et du contradictoire, dans le respect de la protection de nos sources, peut nous permettre de publier des informations d’intérêt public, et, ce faisant, de jouer notre rôle auprès des citoyen·nes, qui ont le droit de savoir ce qui est fait en leur nom.
Alors que l’extrême droite est aux portes du pouvoir en France, Vincent Bolloré amplifie la diffusion des idées rances, racistes et xénophobes, au point de reconfigurer notre espace public. Il est urgent de stopper cette ascension. Mais ce serait une erreur de s’en tenir à ce cas. Ingérences des actionnaires dans les affaires éditoriales, procédures-bâillons lancées par des patrons désireux de museler la critique, censures préalables nous ramenant aux heures sombres de l’Ancien Régime, violences policières contre des journalistes lors de manifestations, refus d’accès de partis politiques à leurs meetings... les attaques contre un journalisme indépendant sont incessantes et multiformes. Seule une remise à plat de notre écosystème est à même de les contrer.
Le combat pour une information indépendante et pluraliste ne peut être que collectif. Mediapart en est convaincu depuis sa création, c’est pourquoi nous tissons des liens éditoriaux et financiers avec des journaux, parmi lesquels Mediacités, Marsactu, Le Poulpe, Rue89 Strasbourg et La Déferlante, qui partout en France défendent les mêmes principes que nous. Nous nous impliquons dans les activités du Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (Spiil), dont nous sommes membre fondateur. Via le Fonds pour une presse libre (FPL), nous soutenons les projets de médias indépendants grâce à des appels aux dons organisés chaque année.
Cette bataille est la vôtre. Elle ne se gagnera qu’avec votre soutien. C’est pourquoi nous avons fait de cette question démocratique un des motifs récurrents de nos rencontres publiques avec vous. Nous poursuivons cet automne notre tour de France débuté à l’occasion de nos quinze ans au printemps dernier, et vous donnons rendez-vous à Rennes le 9 septembre, à Poitiers le 30 septembre, à Clermont-Ferrand le 7 octobre, à Grenoble le 14 octobre, à Villeurbanne le 28 octobre, à Toulouse le 18 novembre, à Bordeaux en novembre, à Lille le 2 décembre, et, hors de nos frontières, à Bruxelles le 16 décembre. Nous répondrons à toutes vos interrogations sur notre mission d’intérêt public, nos engagements et notre fonctionnement. Vous, lecteurs, lectrices, avez le droit de savoir. Nous vous devons des comptes tant nous comptons sur vous pour nous soutenir dans le combat pour une presse libre.