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Billet de blog 5 août 2024

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La veuve d’un disparu de la dictature argentine assassinée à son domicile

Susana Beatriz Montoya, 76 ans, a été retrouvée morte à son domicile. Le fils de la victime - qui avait déjà reçu des menaces en décembre après le changement de gouvernement -, a trouvé des messages sur le lieu du crime, avec des nouvelles menaces et des croix gammées.

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L'assassinat de Susana Beatriz Montoya, épouse de Ricardo Fermín Albareda, ancien commissaire adjoint disparu et militant de l'ERP (« Armée révolutionnaire du peuple », guérilla de gauche), a mis les organisations de défense des droits de l'homme de Córdoba en état d'alerte. Mme Montoya, âgée de 76 ans, a été retrouvée morte vendredi 2 août dernier dans sa maison du quartier Ampliación Poeta Lugones, dans le nord de la capitale provinciale. Son fils, Fernando Albareda, a pu rentrer chez elle après avoir sauté par-dessus le mur d'une voisine et découvert son corps avec une menace écrite : « Nous allons tous vous tuer. Maintenant, c’est au tour de vos enfants. #Police. »

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Susana Montoya avec son fils Fernando Albareda © X: @Luci Echevarría

Fernando Albareda, militant de « Hijos Córdoba » (association des enfants de disparus), avait reçu des menaces à plusieurs reprises, dont la plus grave en décembre dernier, peu après l'entrée en fonction du gouvernement actuel. En juin, l'enseigne de l'ancien centre de détention clandestin Casa de Hidráulica, devenu lieu de mémoire, lié à son père, a été volée, et il doit maintenant faire face au meurtre de sa mère avec un message mafieux. Les organisations de défense des droits humains de la province, très inquiètes, ont exigé des mesures de sécurité pour Albareda et sa famille.

Les groupes Hijos Córdoba, Familiares Córdoba, Abuelas de Plaza de Mayo, Ex Presos Políticos por la Patria Grande, Asociación Civil Ex Presos Políticos de Córdoba et la Mesa Provincial de Trabajo por los Derechos Humanos de Córdoba ont publié une déclaration commune dans laquelle ils se disent "consternés et préoccupés par le meurtre violent et les menaces lâchement adressées à toute sa famille, signées #Policía". Ils demandent :

-  L'enquête urgente et la clarification de cet incident, ainsi que des menaces antérieures à l'encontre de la famille.

-  La sécurité et la protection effective de Fernando Albareda et de sa famille.

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Déclaration des organisations de DDHH

Les députés nationaux de l'Union pour la Patrie, Gabriela Estevez et Pablo Carro, ont demandé des éclaircissements et ont établi un lien entre le crime et le négationnisme : "Le négationnisme et l'horreur d'une époque qui ne peut se répéter. »

Le procureur du district 4 Turno 3, Juan Pablo Klinger, est chargé de l'affaire. Klinger, connu pour son sérieux et son engagement, a ordonné des mesures immédiates telles que la clôture de la zone et la réalisation d'une autopsie, ainsi que l'évaluation des images des caméras situées à proximité. Un garde de police proche de la scène de crime n'a rien vu ni entendu, ce qui ajoute un élément déconcertant à l'enquête, indique le journal « Tiempo Argentino ».

Dans ses déclarations publiques, Fernando Albareda a expliqué qu'il était arrivé au domicile de sa mère après avoir tenté en vain de la contacter. Il a trouvé les stores baissés et la télévision allumée, sans aucun signe de cambriolage. Sa mère s'inquiétait de la diffusion publique de l'indemnité qu'elle devait recevoir pour la disparition de son mari. Albareda se méfie de la police, invoquant l'absence de purge dans les forces de l'ordre depuis le retour de la démocratie.

Dans une conversation avec le portail argentin « El Destape », Fernando Albareda a déclaré que sa mère était sur le point d'obtenir une indemnisation financière pour l'enlèvement et le meurtre de son mari. "Elle a toujours su qu'ils écoutaient son téléphone", rappelant que sa mère préférait ne pas communiquer par ce moyen. "J'ai dit à ma mère qu'il fallait pas y prêter attention", a-t-il déclaré à propos des menaces.

La famille a vécu ces intimidations pendant l'enquête sur l'enlèvement et la disparition de son père et, surtout, pendant le procès oral au cours duquel le génocidaire Luciano Benjamín Menéndez et les policiers à la retraite Rodolfo Campos, Armando Cejas et Hugo Britos, tous anciens membres de la D2(1)ont été condamnés.

Illustration 3
Menaces contre Fernando Albareda © El Destape

Bien que les intimidations aient cessé pendant un certain temps, en décembre de l'année dernière, quelques jours avant l'arrivée de Javier Milei et de Victoria Villarruel au gouvernement, Albareda a reconnu que les menaces devenaient de plus en plus constantes : épisodes de violence dans la rue et une série de messages mafieux apparus sur la porte d'entrée de sa maison, accompagnés de six balles de calibre 22. Les textes étaient les suivants : "Tu n'as plus d'amis dans la police", "Nous allons t’envoyer avec ton père" et "Tu vas mourir".

L'affaire est suivie de près par le gouvernement provincial, qui n'a pas encore fait de déclarations publiques ; la prudence prévaut à tous les niveaux, étant donné l'absence de certitude, qui devrait s'estomper au fur et à mesure que l'enquête progresse.

Qui était  Ricardo Albareda, le père de Fernando ?

Toujours en dialogue avec « El Destape », Fernando raconte : "Mon père travaillait dans la police de Córdoba. En 1971, il a eu un entretien avec Enrique Gorriarán Merlo (dirigeant de l’ERP) et a décidé de rejoindre « l'Armée révolutionnaire du peule ». Au moment où il a été enlevé par ses propres collègues des forces de sécurité, il travaillait à la division des communications de la police locale, chargé des renseignements : "Son militantisme consistait à informer ses camarades sur le point d'être enlevés afin qu'ils quittent immédiatement leur maison", a-t-il révélé.

Le 25 septembre 1979, Ricardo Albareda  a été conduit au centre clandestin connu sous le nom de El Embudo, Chalet de Hidráulica ou Casa de la Dirección General de Hidráulica del dique San Roque. Là, sur ordre du chef de la D2, Raúl Telleldín, et des membres de la bande, Hugo Britos, Américo Romano, Jesús González, les frères Antonio et Hugo Carabante, il a été torturé (il a été castré) et saigné à mort.

Depuis le retour de la démocratie, Fernando a été chargé d'agir pour la réparation du dossier de son père sur la base de la loi provinciale sur la réparation historique. Après un long combat, le gouvernement de Córdoba a décrété en mai de cette année la "promotion pour mérite extraordinaire pour perte de vie dans l'exercice de ses fonctions, au grade supérieur", de sorte que Ricardo Albareda a été promu à titre posthume au grade de commissaire. Ce cas est particulièrement signifiant car c'est le seul dans lequel la police reconnaît avoir été l'auteure d'un crime contre l'humanité.

Bien qu'il n'ait pas directement lié l'assassinat de sa mère à une action négationniste, Albareda a précisé que "tout est lié à tout". Il a ainsi désavoué la visite d'un groupe de députés nationaux de La Libertad Avanza (LLA) à la prison d'Ezeiza à des tortionnaires condamnés, dont Alfredo Astiz, de la dernière dictature militaire (Voir mon post). "Avec leur discours absurde, ils nous ont mis à genoux", a déclaré le fils de Susana et Ricardo, qui a appelé à réfléchir et à repenser la manière dont la société est parvenue à ces moments sombres.

Fernando Albareda travaille au Secrétariat National des Droits humains de Córdoba, il es militant de Hijos et, jusqu'en décembre, il enseignait les droits humains à l'Ecole de la Police. Fernando est aussi responsable du Centre d'Intégration des Migrants et des Réfugiés, qui dépend également de l'Organisation Internationale pour les Migrants (OIM), et il a indiqué que sa grand-mère était l'une des fondatrices des Mères de la Place de Mai. À cet égard, Estela de Carlotto, présidente de l'association des Grands-mères de la Place de Mai, s'est inquiétée du fait que l'Argentine traverse une période « très difficile » et a pointé du doigt le gouvernement de Javier Milei, avertissant que le pays revenait à la « phase la plus sombre de son histoire ».

1- Le D2, département d'information de la police de Córdoba, faisait partie du réseau répressif du IIIe corps de l’armée commandé par Luciano Benjamín Menéndez. Ce réseau reliait "La Perla" à "Campo de La Ribera" et au "D2", à des unités policières, militaires, pénitentiaires et gouvernementales.

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