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Billet de blog 17 novembre 2024

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A Buenos Aires, Macron s’entretient avec les familles des Français disparus

Les familles des Français disparus en Argentine ont considéré leur rencontre avec le président français très importante compte tenu des attaques du gouvernement Milei contre les lieux de Mémoire et contre les associations de défense de droits de l’homme qui alertent sur les projets de libération des tortionnaires condamnés pour crimes contre l’humanité .

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Entre le 8 et le 10 décembre 1977, 12 personnes furent enlevées à l’église de la Santa Cruz à Buenos Aires - dont les religieuses françaises Alice Domon et Léonie Duquet ainsi que les Mères de la Place de Mai, Azucena Villaflor de De Vincenti, Esther Ballestrino de Careaga et María Eugenia Ponce de Bianco. Emmenées à l'École de mécanique de la Marine (ESMA), elles furent torturées et jetées vivantes dans la mer lors d'un vol de la mort.

Illustration 1
Emmanuel Macron et Ana Maria Careaga

La cérémonie dans l’église de la Santa Cruz le dimanche 17 au matin n'a pas été un simple dépôt de gerbe en hommage aux deux sœurs françaises par le président Macron et son épouse Brigitte. Ils ont rencontré et dialogué avec les proches des victimes françaises du terrorisme d'État en Argentine et avec des membres d'organisations de défense des droits de l'homme, dont le prix Nobel de la Paix, Adolfo Pérez Esquivel et Ana Maria Careaga, fille d’une des Mères séquestrée et tuée.

« Macron a demandé à chacun d'entre nous quelle était notre histoire et ce que nous voulions lui raconter », a déclaré au journal Buenos Aires Herald, Eric Domergue, dont le frère Yves a été enlevé et tué en 1976. Domergue a également remis à Macron une lettre personnelle dans laquelle il mentionne les « centaines de licenciements de fonctionnaires de secrétariats des droits de l’homme au niveau national et de travailleurs des sites de mémoires, lesquels sont étranglés financièrement. Et plus encore, les autorités s’en prennent même à l’Université des Mères de la Place de Mai qui est au bord de la faillite ». L’inquiétude principale réside sur une possible amnistie pour les criminels de la dictature notamment pour le tortionnaire Alfredo Astiz, connu sous le nom de « l'Ange de la Mort », coupable de l’enlèvement des religieuses françaises Léonie Duquet et Alice Domon. Il mentionne également dans sa lettre le criminel Jorge Olivera, qui s’est toujours vanté d’avoir assassiné Marie-Anne Erize, l’une des 24 personnes d’origine française disparues et tuées pendant la dictature.

L’inquiétude des familles est motivée par la visite le 11 juillet dernier à la prison de Ezeiza de 6 députés mileistes à un groupe de tortionnaires condamnés pour crimes contre l’humanité dévoilant non seulement le négationnisme de certains membres du parti au pouvoir mais aussi leur revendication ouverte de la dictature. C’est le fils du tortionnaire Olivera, le prêtre Javier Olivera Ravasi (1) qui a organisé la visite, ainsi que d'autres réunions et groupes de discussion. Des captures d'écran de WhatsApp partagées par Lourdes Arrieta, l'une des députées participant à la visite, montrent que l'objectif était de discuter des moyens possibles de faire bénéficier les criminels de la détention à domicile ou même de l'annulation de leurs condamnations.

En France, les familles ont été particulièrement émues par ce qu'ils ont perçu comme un message de soutien à Astiz craignant qu'il ne s'agisse d'un prélude à sa libération. Dans ce contexte, les proches des disparus français ont demandé à rencontrer M. Macron. (voir mon entretien avec Me Sophie Thonon-Wesfreid, membre de la délégation et avocate des Français disparus en Argentine et au Chili). La rencontre a eu lieu le 7 novembre avec des conseillers du président. Walid Fouque - conseiller pour les Amériques - leur a dit que  le président Macron était au courant de la situation et qu'il allait faire part de son inquiétude à Milei.

Il est évident que la cérémonie et la rencontre de Macron à l'église de Buenos Aires est bien le produit de la pression exercée par les familles des disparus et les associations comme l’ACAF (Assemblée de Citoyens Argentins en France) et l’Association de parents et amis des Français disparus en Argentine. Bien que Macron n’ait pas mentionné son homologue argentin, il a utilisé une expression devenue populaire en France pour parler des violations des droits de l’homme : « La France n’oublie pas. »

Illustration 2
Eric Domergue avec Emmanuel Macron

Selon Eric Domergue, « il a promis de faire part de toutes nos inquiétudes à Milei lors de sa rencontre bilatérale » en ajoutant que Macron avait déclaré que la mémoire était très importante et qu'il ne fallait pas l'oublier. "Le fait qu'il ait pris le temps d'accueillir les familles des victimes et d'aller à l'église est un geste très significatif, compte tenu du peu de temps qu'il passe en Argentine", a expliqué Eric Domergue dans le journal Buenos Aires Herald  

Rien n’a filtré pour l’instant de l’entretien de Milei et Macron à la Casa Rosada, le palais présidentiel argentin où un groupe de citoyens français vivant en Argentine avait organisé un rassemblement pour rejeter la visite du président Macron à son homologue argentin, Javier Milei.
À cet égard, l'un des manifestants s'est exprimé sur la chaîne de télé C5N en demandant à Macron de « réaffirmer publiquement que la France est un pays qui s'oppose aux discours d'extrême droite ». Les participants, membres du « Collectif Solidaires » ont protesté avec des banderoles et lancé des slogans à l'aide d'un mégaphone lorsque Emmanuel Macron est arrivé au palais du gouvernement pour la réunion officielle. Le slogan répété dans les chants et sur les pancartes était : « Macron, tu fous quoi ? ».

En partant vers le Brésil, où doit se tenir la réunion du G20, le président Macron s’est targué de "défendre" les agriculteurs français mobilisés contre l'accord commercial avec le Mercosur et de convaincre Javier Milei – climato-sceptique et admirateur de Donald Trump - de ne pas faire cavalier seul sur le climat. Vaste programme de Macron pour les jours à venir vu que l'Argentine vient de retirer sa délégation des négociations climatiques de la COP29 à Bakou.

1- Le père Javier Olivera Ravasi, qui, au-delà de la proposition des députés, s’est prononcé sur le réseau social X pour l’amnistie des condamnés pour crime contre l’humanité, est lui-même concerné familialement par ce sujet. Son propre père, Jorge Antonio Olivera, âgé de 74 ans, ancien militaire et avocat, a été condamné en 2013 à la prison à vie pour crimes contre l’humanité. Il a notamment été reconnu coupable de l’enlèvement de la franco-argentine Marie-Anne Erize, disparue à San Juan le 15 octobre 1976. Le grand-père du prêtre, Jorge Olivera Róvere, un des chefs militaires de la dictature argentine, a lui aussi été condamné en 2009 à la prison à prison à perpétuité pour crime contre l’humanité, et est décédé en 2015. (La Croix, 15 aout 2024)

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