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Par un tour de passe-passe et l’indifférence généralisée, l’Arabie saoudite a été élue à la présidence de la Commission des Droits des femmes, le CSW, (Commission on the Status of Women) aux Nations Unies. Cette année de réflexion féministe culminera avec le raout annuel, qui se tiendra à New York du 10 au 21 mars 2025 et réunira toutes les ONG majeures de femmes du monde entier.
Et pourtant, le Secrétaire général de l'ONU, António Guterres, lors de l'ouverture du CSW cette année déplorait le net recul des progrès acquis pour les femmes dans tous les domaines et l’urgence de soutenir leurs droits de plus en plus fragilisés. Craintes reprises en termes plus explicites par Mme Sima Sami Bahous, de la Jordanie, au poste de Directrice exécutive d’ONU-Femmes, qui déclare que « la condition de la femme est assiégée».
En dépit de ces déclarations pieuses, par un système de rotation sur base d’aire régionale parmi les 45 membres la Commission des Droits des femmes, le groupe ‘Asie-Pacifique’ devait élire le Bangladesh, mais en dernière minute, l’Arabie saoudite a fait pression pour s’intégrer dans ladite commission, histoire de, selon le quotidien « The Guardian », redorer son image. L’heure du vote arrive, on propose à la savante assemblée celui qui est devenu, à force de manigances supplémentaires, l’unique candidat, Abdulaziz Alwasil représentant de l’Arabie saoudite. Consternés, du moins on l’espère, les 45 membres internationaux ne soufflent mot, ce qui a permis au président sortant de la section Asie-Pacifique, Antonio Manuel Lagdameo, représentant les Philippines de déclarer « Je n’entends pas d’objection, donc c’est décidé ». Et à Riyad de jubiler et d'annoncer que le pays a été élu « à l’unanimité… à cause des progrès significatifs réalisés par le pays dans le domaine des droits des femmes ». On croit rêver…
De toute évidence, ni la direction des U.N. ni les constatations amères des ONG de femmes n’ont été entendues. C’est ainsi que l’Arabie saoudite aura le privilège insigne de présider le CSW l’année prochaine, de guider son organisation et ses points forts que l'on peut déjà prédire. Dire qu’en 2025, se tiendra la célébration le 30e anniversaire de la Déclaration de Pékin, texte fondateur du combat pour les droits des femmes au XXIe siècle. De quoi mourir de rire si au fond, telle décision apparemment unanime n’était pas aussi tragique et représentative de la régression quasi-universelle des droits des femmes aujourd’hui, sans parler de la chute de la crédibilité (déjà bien entamée) des Nations Unies.
Comment imaginer, même dans les scénarios les plus cauchemardesques, la présence à un pareil poste du seul pays au monde qui n’a jamais signé la Déclaration des Droits de l’Homme de 1948 et qui persiste dans son refus. Le pays placé à la 131e place sur 146 pays au rang mondial des inégalités entre les sexes. Et ensuite, comment imaginer la léthargie totale des pays membres des Nations-Unies censés nous représenter tous ?
L’Arabie saoudite se vante d’avoir fait progresser les droits des femmes de façon inédite, comme le rapporte un article élogieux, voire publicitaire, dans « Le Monde ». Certes, les femmes, dans les milieux privilégiés, ont le droit de faire des études, de conduire, de travailler, de fonder des start-up, même parfois d’accéder à la haute fonction publique. À condition d’être toujours d’accord avec le régime et de demeurer sous le joug paternel pour tout qui concerne le mariage et les déplacements Cette apparente libération reflète l’urgence de trouver une alternative aux revenus pétroliers et s’est accompagnée, sous la houlette du Prince héritier le prince Mohammad bin Salman, d’une répression progressive des libertés fondamentales, en particulier la plus petite liberté d’expression, jugée par définition anti-islamique.
Depuis 2017, les autorités saoudiennes ont emprisonné des centaines de personnalités publique, y compris des cousins du prince, des influenceurs, des milliardaires, des chercheurs. Sans oublier l’assassinat de Jamal Khashoggi à Istanbul qui a fait scandale à l’époque et oublié aujourd’hui. La moindre opposition, y compris sur les réseaux sociaux, mène directement en prison, quand ce n’est pas à l’échafaud, ce qui fut le cas l’an dernier pour un professeur retraité, Mohammad bin Nasser al Ghamdi, condamné à mort pour avoir, selon les termes de la condamnation « utilisé ses comptes sur Twitter et YouTube pour suivre et promouvoir des individus qui cherchent à déstabiliser l’ordre public ». Le malheureux avait tout au plus une dizaine de followers. Selon le rapport de Human Rights Watch, Riyad est à peine plus clément avec les femmes qui osent s’exprimer, même à distance. Quelques exemples parmi des dizaines d’autres : depuis 2022, la doctorante Salma El Shaheb purge une peine de 34 ans pour ses tweets- une hausse spectaculaire vu qu’avant cette année, la peine maximale était de six ans. Elle a été suivie par une autre universitaire, Noura al-Qahtani, enseignante à l'Université du Roi Saoud et mère de cinq enfants, condamnée, la même année, à 45 ans de prison pour quelques tweets. La coach sportive Manahel al Hotaibi est emprisonnée depuis un an et demi dans un lieu inconnu pour avoir posté un tweet d’elle-même en tee-shirt et sans abaya. Le seul pays qui se rapprocherait de ce niveau d’oppression des femmes est bien entendu l’Iran, grand défenseur de l’Islam mais rival devant du Prophète.
Certes Amnesty, Human Rights Watch et certains collectifs féministes (trop rares) ont protesté contre l’élection de l’Arabie saoudite au CSW. Qu’est-ce qui explique ce manque de réaction ? Certes la realpolitik économique ne voudrait pas que l’on critique ce grand acheteur d’armement auprès des fabricants aux États-Unis, la Grande Bretagne et la France- sans lesquels le pays ne pourrait pas mener sa guerre meurtrière au Yémen. Le client, ne l'oublions pas, a toujours raison.
Ce n’est pas tout. L’alibi religieux aujourd’hui semble cautionner toutes les dérives, tous les délires, surtout dans les pays sombrant dans une droite de plus en plus extrême. Les Talibans, on le sait, ont passé quelques 90 édits pour écraser ses citoyennes. Au nom de l’Islam, le Hezbollah et le Hamas limitent sévèrement les droits de femmes : hijab obligatoire, crime dit d’honneur toléré et ainsi de suite. Leur fonction principale serait de mettre au monde autant de candidats au Jihad que possible. Au nom de l’adhésion stricte aux principes chrétiens, on a vu l’interdiction de l’avortement dans 14 d’états aux États-Unis. La même raison motivait une loi identique en Pologne très catholique qui devrait être bientôt renversée par le président Tusk. En Italie, en Hongrie mais de façon totalement inattendue en Suède et en Hollande également, les droits sexuels et reproductifs des femmes sont appliqués de manière inégale. Une forte dominante d’extrême-droite nationaliste se retrouve dans des pays où l’église orthodoxe est proche du gouvernement, comme la Russie, la Serbie et la Grèce. Et ne pas oublier le poids funeste des ultra-religieux dans le gouvernement Netanyahu. Les droits des femmes à disposer de leur corps comme des décisions concernant leur vie sont en train d’être écrasés au rouleau compresseur d’une politique qui se dit en faveur de la famille et des valeurs dites traditionnelles. Autrement dit patriarcales.
Et pourtant. En 2021 déjà, les Nations Unies élisaient l’Iran au CSW. Ce coup-ci, après un moment d’hésitation, des voix se sont élevées pour protester, surtout après la répression violente des manifestations pour réclamer la vérité sur la mort de la jeune Mahsa Amini. Ici, ce sont les États-Unis qui ont mené l’offensive à l’intérieur des Nations Unies, poussés par le UN Watch, l'organisme de veille des agissements des Nations Unies et épaulés par un tollé global. L'Iran fut renvoyé. Pourrait-on espérer une campagne semblable pour éjecter l’Arabie saoudite ? Il est certain que l’Iran n’achète rien aux États-Unis ni à l’Europe, bien au contraire, mais fournit des armes à la Russie contre l’Ukraine. De plus, l'Occident n'a aucun compte à régler avec l'Arabie Saoudite, contrairement à l'Iran, copieusement détesté et boycotté.
Il faut donc un sursaut citoyen, non seulement au nom des droits humains bafoués en Arabie saoudite, mais surtout pour sauvegarder les droits des femmes de plus en plus menacés par l’arrivée de gouvernements d’extrême droite en Europe. On frémit déjà en pensant aux élections européennes qui vont se tenir en juin de cette année et celles aux États-Unis en novembre. Une expulsion musclée de l’Arabie saoudite de la Commission des Droits des femmes, serait le premier pas pour inverser cette tendance mortifère qui abolirait des siècles de luttes féministes. Une pétition internationale sera être lancée dans ce sens. Ou alors un boycott total du CSW de 2025 de la part de toutes les associations pour la défense des femmes qui auraient compris que la présence d'un pays aussi dangereux annihilerait à court terme tous leurs efforts.
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