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Ce 8 mars, comme tous les ans, on pourra s’attendre à des débats, rencontres, manifestations diverses qui se concluront en promesses pieuses et chants de victoire anticipés. Jusqu’à l’année prochaine quand on ressortira des statistiques de viol encore plus sinistres. Du moins pour le monde moins privilégié, celui où se déroulent des conflits abjects dont on ne parlera qu’en fonction des priorités (occidentales) du moment.
Mais qui, ce 8 mars qui vient, évoquera haut et fort les abus qui se sont déroulés, en toute impunité, rien que depuis les derniers six mois en Israël, RDC, Ukraine, Pakistan, Afghanistan, pour ne citer que ces terrains. Certes, ce sont des zones de guerre (actives ou latentes) et comme toujours, il y a plus de victimes féminines et leurs enfants, confinées à l’espace privé, parce que les hommes sont au front, au travail, souvent dans un ailleurs plus sécure. Ce qui bien entendu ne constitue nullement une fatalité acceptable pour, entre autres, les massacres qui se déroulent actuellement à Gaza ou au Soudan . La mort- en vérité l’assassinat de chaque femme, chaque enfant sous les bombes ou enseveli sous les décombres bombardés constitue un véritable crime de guerre, ce que nous constatons avec horreur tous les jours à Gaza, mais aussi, bien qu’invisibilisés, comme en Éthiopie, sans oublier tout à fait les attaques continues par la Turquie contre le Rojava kurde ou le Nagorno-Karabagh il y a quelques mois. Il n’est pas question ici de hiérarchie pour établir ce qui est pire, le viol de masse, les effets d’un bombardement, ou si l’horreur ne s’évaluerait que par le décompte de cadavres.
Pour citer l’excellent livre de l’écrivaine finlandaise Sofi Oksanen Deux fois dans le même fleuve paru l’an dernier, sur les viols commis par la soldatesque russe en Ukraine : Je ne minimise pas l’importance des chiffres, mais il y en aurait d’autres à mesurer : combien d’années ou de décennies la victime a perdues avant d’arriver à ne plus repenser à ce qui s’était passé. Combien de jours, de semaines, d’années, de décennies elle a perdus avant de pouvoir se livrer à des relations intimes sans repenser à ce qui lui était arrivé. Combien d’années ou de décennies il faut pour que les corps guérissent… et les âmes…
Le présent article tente de poser la question de savoir quel est le processus personnel qui mènerait spécifiquement à la destruction d’une vie féminine et celle de son entourage par un corps masculin. Et de pointer la responsabilité de chaque homme qui décide de violer, ce qui n’est certes pas la même chose, mais tout aussi grave que de sortir un pistolet ou une machette, ou presser sur le bouton de l’engin qui lâchera les bombes mortifères. Le déni de cette violence spécifique, la plus intime de toutes, tant pour la victime que celui qui le commet rend encore plus criminel le silence révisionniste qui a suivi les viols du 7 octobre près de Gaza, même dans les milieux féministes, silence que les Nations Unies n’ont brisé que 5 mois après les faits ?
Le viol est certes une arme de guerre, mais avec une différence significative : en règle générale c’est le corps de l’homme, le pénis en érection qui en est l’arme, comme l’a expliqué brillamment la philosophe Julia Christ. Bien entendu, selon les textes de loi, le viol recouvre toute forme de pénétration violente, par la main, des armes, des objets divers (spécialité des milices congolaises). Mais ici, je voudrais m’arrêter sur le viol selon sa définition originelle, commis par le sexe masculin sur un corps féminin. Les coups administrés par le poing, le pied sont le résultat d’une décision rapide, souvent irréfléchie mais ne fonctionne pas selon le même mécanisme que le viol. Ici il s’agit d’une arme qui doit être émoustillée, excitée par la perspective d’un plaisir à venir pour agir. Et quelle est la source de cette excitation ? La perspective de briser une femme, de déchirer son corps, d’anéantir son être intime, de la souiller à vie, elle et son entourage. Serait-ce la peur ou plus précisément la terreur de la victime qui ferait bander le violeur ? Certes on répliquera qu’elle aurait pu s’habiller autrement, tenté de se défendre, de griffer, de frapper de toutes ses forces mais le violeur (et souvent ses complices eux aussi de plus en plus en plus excités, la cloueront au sol et qui la violeront à leur tour. Même si l’homme tient un pistolet, c’est de l’organe génital dont elle a le plus peur. Ce même pénis pénétrant un vagin qui aurait dû signifier l’amour, la complémentarité, la jouissance partagée, l’enfantement, en bref et de façon sûrement simpliste, la continuité de l’espèce humaine. Et dans ces circonstances de viol, cette bite en érection devient mortifère et le vagin un tombeau. On ne saurait parler de déshumanisation ici : le viol est LE crime humain par excellence.
Oui, le viol est une arme de guerre et des plus redoutables. Les viols près de Gaza constituaient-ils vraiment un « acte de résistance armée » comme l’a voulu expliquer Judith Butler, spécialiste des études de genre et en principe papesse du féminisme qui aurait sûrement dû être la première à dénoncer ces crimes spécifiquement dirigés contre les femmes. De plus, ces héroïques « résistants » étaient-ils obligés de suivre des ordres même quand ceux-ci émanent des généraux haut placés ? Si ces femmes et fillettes israéliennes avaient été, disons, fusillées plutôt que torturées sexuellement, est-ce que ces hommes auraient été exécutés comme traîtres ? C’est peu probable. Cette fameuse excuse, celle de suivre des ordres, a été la plus utilisée au procès de Nuremberg comme si elle pouvait exonérer l’exécutant. Et Butler en coulant les principes-mêmes du féminisme n’a fait que légitimer la violence patriarcale la plus abjecte et abattant en quelques paroles honteuses des siècles de luttes féminines…

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Ces féminicides, surtout en Israël, ont été organisés par Hamas de longue date mais comment prépare-t-on des hommes à bander sur commande le tungstene? Il ne s’agit pas d’une violence opportuniste (ce qui est peut-être le cas dans les tunnels à Gaza où croupissent encore trop d’otages féminins), mais d’une tactique ici appliquée à la lettre. La haine des femmes, la haine contre l’État d’Israël, voire du peuple juif entier sont-elles réellement bandantes ? Ou bien faut il justifier ces viols par des raisons de « contexte » où les victimes en fait seraient in fine responsables de ce qu’elles subissent ? Melenchon et Poutou (entre autres)ont parlé de l’importance du contexte comme excuse, de fait pour renvoyer dos à dos les violeurs (en fait, selon eux, les victimes véritables) et les femmes israéliennes torturées. Il faudrait que des psychologues et autres spécialistes se penchent sur le processus de vengeance contre l’occupant/ le colonisateur/ l’agresseur quand celui-ci ne s’exprime non pas par une arme de guerre conventionnelle (bombardement, fusillade etc- ce qui pourrait se comprendre) mais par des actes individuels commis par des hommes en état d’excitation sexuelle ? Encore une façon de dire, une fois de plus, que le viol n’est pas vraiment un crime, puisqu’il existe de bonnes raisons pour le justifier… Argument avec lequel les Talibans actuellement seraient d’accord quand ils arrêtent puis violent des jeunes femmes - le plus souvent de la communauté hazara- jugées insuffisamment couvertes, ou pire, encore cherchant à s’éduquer. La ‘volonté de savoir,’ mériterait donc un viol punitif ?
Allons plus loin sur le chapitre des circonstances atténuantes chères à ceux qui soutiennent le Hamas (et non pas le peuple palestinien qui trinque), les islamistes de tout bord, la soldatesque russe ou même les actionnaires de l’industrie électronique. Les villageoises congolaises qui ont le malheur d’habiter des villages situés sur des mines de matériaux précieux (dits minéraux de sang) tels que le coltan, le tungstène doivent-elles être punies et donc violées par les milices M23 à la solde du Rwanda qui convoite ces substances essentielles pour nos smartphones ? En Iran, la religion sert d’excuse dans les prisons : comme toute vierge tuée irait droit au paradis, un membre du personnel pénitentiaire la viole pieusement avant de la pendre le lendemain matin Idem au Pakistan, ou même des petites filles chrétiennes sont violées par ceux qui s’opposent aux mécréant.e.s. Dans les territoires ukrainiens occupés par les Russes, la bénédiction de Poutine ajouterait-elle de l’eau (bénite) lubrique à ce crime patriotique apparemment destiné à la dénazification du pays ?
Tous ces pénis en érection seraient-ils les flics du genre féminin ? Ou pour citer plus élégamment Sofi Oksanen La misogynie comme tactique est en effet un moyen d’affaiblir les démocraties et de renforcer les régimes autoritaires. Cependant, la démocratie ne saurait exister sans la participation des femmes. Le problème qui se pose ici concerne donc l’avenir de l’humanité et l’héritage que nous laisserons aux générations futures.
Que faire alors ? Faut-il donc se soumettre à un ennemi, se recouvrir de la tête en pied, porter un linceul de son vivant afin de ne pas attirer cette excitation apparemment aussi systémique qu’incontrôlable ? Et se plier à tout prix aux diktats de ceux qui cherchent à avilir les femmes ainsi que toute forme de liberté d’expression (les deux allant souvent de pair) au nom d’un idéal impérial neo-stalinien ou post-ottoman ? Où sont nos vaillantes féministes occidentales, certes dans les tribunes, aux émissions de grande écoute, devant le Sénat, n’osent-elles pas faire preuve d’une réelle solidarité entre femmes, non pas la pseudo-solidarité qui réunit les foules dans la haine abstraite le plus souvent raciste et machiste, histoire de préserver intacts ses préjugés et ses privilèges ? Le politiquement (in)correct nous empêcherait-il de condamner des crimes contre les femmes ? Pourquoi serait-on taxé d’islamophobie si l’on condamne les agissements barbares des Talibans contre 50 % de la population afghane, ceux des islamistes des banlieues comme des pays du Golfe (à qui l’on pardonne tout, bien sûr, puisqu’ils achètent des armes made in France). Est-on raciste et islamophobe, néo-colonialiste, fasciste, pro-Trump (au choix) parce que l’on condamne, en tant que féministe engagée, les viols du 7 octobre, même quand on exprime son opposition aux agissements aussi criminels qu’insensés de l’armée israélienne à Gaza ? C’est bien le type d’accusation que j’ai subi à la suite de mon précédent papier dans Mediapart sur les viols en Israël le 7 octobre dernier qui m’a valu un Niagara de commentaires- la plupart machistes et d’une violence inouïe.
En cette journée du 8 mai, faisons de sorte que le « Me Too » un tantinet égocentrique vu le contexte mondial s’applique également à des femmes qui ne vivent pas dans les pays occidentaux supposément démocratiques et bénéficiant de privilèges dits « blancs », Soutenons nos sœurs, nos contemporaines de l’Afghanistan au Soudan, en passant par trois-quarts du restant du globe, « Our Sisters Too » !