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Cette semaine une partie du monde musulman, en particulier les peuples iraniens a fêté la nouvelle année le Naw Ruz, tradition millénaire héritée de pratiques zoroastriennes . De l‘Iran jusqu’en Asie centrale, en passant par le Caucase et tout autour de la Mer Noire, on fête le renouveau, le fécondité et la fertilité de la nature après les rigueurs de l’hiver. Ces célébrations ont lieu à l’équinoxe du printemps, traduit dans le Christianisme par Pâques qui consacre la résurrection du Christ qui, jusqu’au milieu du XVIème siècle, marquait le début de l’année en Occident. Une foule de pratiques liées aux plantes germées, à des aliments consacrés se déroulent dans un espace de quelques jours; c’est une fête où les dominent les femmes, actrices principales dans une série de pratiques féminines- comme la préparation d‘une bouillie spéciale le Samanak en Iran, le Soumalak en Asie centrale, accompagnée de chants spécifiques et de réjouissances où les hommes sont exclus. Nous sommes dans le domaine et Anahita et de Demeter.
En Afghanistan, bien entendu cette fête était le point culminant toutes les festivités de l’année. Jusqu’à ce que les Talibans l’interdisent- ce que les mollahs ont tenté en Iran mais sans succès. C’était le cas durant le règne des premiers Talibans (1996-2001) et bien entendu maintenant. Comme pour la destruction des Bouddhas de Bamyan, il s’agit d’anéantir toute preuve d’une vie culturelle et religieuse avant l’avènement pourtant tardif de l’Islam. Et de détruire tout vestige d'une présence féminine dominante dans l'espace public. Tout doit être soumis aux diktats d'un islam reconfiguré pour eux. Les Talibans actuels vont encore plus loin puisque les nouveaux livres scolaires de sciences ou de littérature (destinés exclusivement aux garçons) ne font aucune mention de scientifiques ou d’écrivains non-musulmans. On ne s'étonne guère que les leaders du pays envoient leur progéniture à l'étranger afin d'assurer un semblant de présence de professionnels pour la génération suivante.
Cette année encore, les pique-niques traditionnels ont été arrêtés ainsi que le grand pèlerinage des Hazaras, importante minorité en Afghanistan, particulièrement discriminée par les Talibans et la branche afghane de l’État islamique, (E.I. Khorasan) carrément interdit. C’est ainsi qu’a disparu toute la sociabilité et la notion de partage si typique de Naw Ruz entre les groupes communautaires différents, entre les voisins et les amis pour être remplacée par une tentative d’homogénéisation où dominerait la plus austère interprétation de la religion, et progressivement, l’imposition du pachtou et la pachtounisation de la société entière, les Pachtounes étant l’ethnie dominante du pays et celle qui a produit le phénomène taliban.
Le lendemain de Naw Ruz marquait le retour à l’école de millions d’enfants après les grandes vacances qui ont lieu en hiver, histoire, entres autres, de limiter les frais de chauffage dans un pays au climat particulièrement rigoureux. Comme nous l’a écrit Arzo, une fillette de 12 ans Avant, on se réjouissait quand on préparait nos cartables et nos nouveaux cahiers pour la rentrée. Aujourd’hui c’est la journée la plus triste de l’année reprend Fatimeh, intrépide créatrice de tout un réseau d’écoles clandestines qu’elle a créé dans le pays. Une série de dessins remarquables produits par des filles de niveau collège, élèves dans ce type d’école montre qu’elles ont bien intégré les conséquences de l’interdiction de la scolarité pour les filles au-delà du primaire, dessins que l’on peut trouver sur une vidéo sur You-Tube, intitulée 'Entre repression et espoir' . Ces élèves ont compris qu’il n’a aucun avenir pour elles en dehors de la vie cloîtrée dans un mariage dans les meilleurs cas arrangés et qu’elles feront l’objet d’une répression sans limites, toute leur vie durant. On ne s’étonne pas du nombre de dépressions et de suicides de ces jeunes filles. Maryam, autrefois étudiante en psychologie, qui enseigne dans une école non-officielle écrit: Les élèves disent que leurs parents leur permettent de venir ici parce qu’à la maison, elles tombent malades et dépriment. Et elles ne se font aucune illusion sur la suite elles disent qu’un avenir sombre les attend et qu’elles seront de toute façon forcées à se marier. Le résultat c’est qu’elles souffrent toutes d’insomnie.
En Afghanistan, la dot est payée par le mari à la famille, et le prix est fixé en fonction de la jeunesse de la mariée, souvent impubère. L’extrême misère dans laquelle est tombée la population a fait de sorte que de pareilles unions criminelles (et non criminalisées) sont en augmentation. Et la mortalité maternelle et infantile est en train de flamber, le double de ce qu’elle était en 2020 . Le gouvernement interdit la publication de toute statistique ce qui suppose que la vérité dépasse de loin les estimations, arrivant on peut le craindre aux chiffres du premier règne taliban quand la mortalité maternelle était la plus importante sur terre, lentement améliorée durant les vingt ans de la république.
N’oublions pas, comme je l’ai écrit dans un précédent article que l’économie afghane et le taux de la monnaie locale, l’Afghani, se portent plutôt bien. C’est que l’Afghanistan en vérité est un des narco-états les plus riches du monde, grâce à la culture massive du pavot, du cannabis et de l’éphedra- plante qui sert à la fabrication de la méthamphétamine (les fameux Crystal Meths). Un pays qui produit 85% de l’opium et de cannabis sur terre, dont les plus hauts placés trafiquent l’aide humanitaire comme les ressources naturelles précieuses avec la Chine mais aussi, selon Foreign Policy, avec leurs fidèles alliés Al-Qaeda toujours présents ne saurait être misérable. En principe. Une partie des profits non-détournés a été réinvestie dans la technologie de surveillance de pointe, y compris dans des caméras de surveillance dans les moindres recoins de Kaboul servant à traquer et à arrêter les jeunes filles insuffisamment couvertes par leur hijab. Qui aurait cru qu’à peine 20 ans après l’invasion américaine et alliée, la burqâ que l’on voyait en couverture dans toute la presse internationale comme emblème de la répression contre les femmes aurait fait son grand retour- avec cette fois-ci dans l’indifférence à présent généralisée. De quel droit critiquerait-on, même dans le pays de la laïcité, une pratique pseudo-islamique, contrainte et forcée, sans être taxé.e d'islamophobie, insulte suprême?
Aux Nations-Unies, le terme « apartheid de genre » a été utilisé Il faudrait pourtant inventer un terme plus adéquat qui incorporerait les bases de l’apartheid mais où seraient inclus les abus de religion, une interprétation suicidaire d’un système ultra-patriarcal. Comme dit la petite Arzo dans la vidéo en termes simples. Dans mon pays, on a l’impression que les femmes ont disparu… S’il manque un des deux sexes ; la société est déséquilibrée et incomplète
C’est que l’anéantissement de la présence des femmes dans tous les domaines, des hôpitaux jusque dans les écoles, en passant par les commerces, la police et l’administration a été désastreux pour l’ensemble de la population. Cela a donné une chute du niveau de santé publique et particulièrement dans le niveau d’éducation des garçons, une bonne partie du personnel enseignant ayant été féminin, désormais remplacés par de jeunes Talebs totalement incompétents qui détournent la moindre matière en leçon de morale religieuse, selon le rapport du Human Rights Watch.
Ce vers tiré d’un poème écrit par une étudiante en médecine qui allait terminer ces études quand les Talibans sont arrivés au pouvoir résume l’avenir d’un Afghanistan sinistré, privé des ressources de la moitié de sa population, condamné à l'invisibilité- à moins d'un sursaut de solidarité internationale
Vous avez déchiré mon livre et brisé mon stylo
Je voulais devenir médecin
Mais c’est moi qui ai décidé de ne plus guérir personne
Et c’est à vous de décider de ne plus jamais tomber malade
Les noms ont été changés
Lien à la vidéo:https://www.youtube.com/watch?v=z9h2pm5KihQ&t=15s