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Billet de blog 3 octobre 2022

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Qu’est-ce qu’une gifle ?

Maintenant que tout a dû être dit sur la gifle assénée par un député que nous nommerons Qa à sa femme que nous nommerons Qc (ça fait plus abstrait et donne un petit côté Murakami) et que ça n’intéresse plus grand monde, je me sens autorisé à intervenir comme spécialiste de la gifle.

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La gifle il y a un demi-siècle

Spécialiste, je suis pour en avoir reçu un certain nombre. Pas pour en avoir données. La première personne à m’avoir giflé, et celle qui m’a donné plus de 90 % des gifles que j’ai reçues, c’est ma mère. À l’époque ça ne choquait personne et je n’étais pas un enfant battu. C’était un sujet de conversation que le gifleur ou la gifleuse pouvait aborder sans honte. Une des caractéristiques les plus couramment mises en avant était le caractère irréfléchi de la gifle.

— C’est parti tout seul !

Voilà. À la limite, personne ne gifle, et dans cette perspective, il faudrait envisager que Qa ne soit pas le coupable de la gifle qu’il a a infligée à Qc. Elle pourrait être partie toute seule.

Une incidente : le caractère banal de la gifle il y a 50 ou 60 ans ne doit pas faire sous-estimer le danger de cette pratique, surtout pour des enfants. La gifle secoue violemment (si elle est assénée violemment – elle peut n’être qu’une tape, mais celle-ci est le plus souvent infligée à une autre partie du corps que la joue ou plus généralement la tête) le cerveau à l’intérieur de la boite crânienne, ce qui peut causer des séquelles neurologiques, surtout aux jeunes enfants. Par ailleurs, elle peut tomber sur l’oreille et l’endommager. Mais ces dangers étaient à l’époque presque ignorés, le seul qui fût craint était que le coup envoyât la tête contre un mur ou un meuble.

Puisque j’en suis là, je dois dire que la violence d’une gifle, dans l’esprit des gifleurs et gifleuses des années 60 n’était pas liée à leur volonté mais à leur exaspération. Qui giflait souvent giflait moins fort – telle était l'opinion prédominante. En revanche, dans les cas graves, on pouvait avoir recours à la paire de gifles que ma mère appelait poétiquement un aller-et-retour.

Dans tous les cas, sauf complication malchanceuse, la gifle était vue comme anodine. Mais, dans le milieu de mes parents en tout cas, elle était vue uniquement comme administrée par un-e adulte à un-e enfant.

Le genre de la gifle

Comme je n’ai (dans mon souvenir) été giflé que par des femmes, ma première réaction a été de considérer qu’il s’agit d’une violence peu genrée – en tout cas pas une expression de domination masculine.

Ça mérite un peu de réflexion.

La gifle entre hommes était appelée soufflet et considérée comme une offense mortelle (le Cid est tout construit là-dessus : l’insolent en eût perdu la vie…). Avec la disparition du duel, entre hommes adultes (ou se considérant comme tels), on ne se gifle plus guère, on se cogne aux poings (éventuellement aux pieds).

Depuis plus d’un siècle, la gifle a acquis deux sens :

- infligée à un enfant, c’est la marque de la puissance parentale – même si c’est un autre adulte qui l’inflige, ma mère insistait sur l’autorisation pour les instituteurs et institutrices d’infliger à leurs élèves une correction de type parental qui incluait, semble-t-il, la gifle. [encore une incidente : dans mon souvenir, l’expression exacte était correction paternelle, le père devait être détenteur de l’autorité éducative jusque dans les années 60 (à vérifier, ce n’est pas mon sujet).]

- entre adultes, la gifle est infligée par une femme ou à une femme.

Puisque le point de départ de cette réflexion est une gifle infligée par un-e adulte à un-e adulte, on se limitera à cette catégorie – sans oublier toutefois que la gifle est le plus souvent reçue par un-e enfant.

Avec l’indulgence coupable d’un dinosaure herbivore, je considère qu’il y a deux sortes de gifles.

La gifle d’exaspération, d’impuissance voire de désarroi est presque la gifle partie toute seule dont il a été question ci-dessus. Dans une querelle de couple, elle peut être infligée aussi bien par l’homme que par la femme. D’aucun peuvent y voir un signe de faiblesse. Je dirais surtout que la personne qui gifle ainsi peut être au moins aussi malheureuse que celle qui reçoit la gifle.

Mais la gifle peut être le signe que celle ou celui qui gifle se considère vis-à-vis de sa victime dans une situation homothétique de celle du parent et de l’enfant. C’est alors le signe d’un sentiment de supériorité. Cette gifle, contrairement à la première est sinon réfléchie, du moins insérée dans un ensemble relationnel. Infligée par un homme à une femme, elle est forcément machiste. Infligée par une femme, elle est également délétère en ce qu’elle vise à un abaissement psychologique de la victime.

Bref, une fois qu’on a dit que gifler, c’est mal, on n’a pas dit grand-chose sur la réalité des rapports entre les protagonistes.

L’image que les détracteurs de Qa peuvent avoir, je ne l’ai vue qu’au cinéma, celle de l’homme qui gifle pour abaisser, humilier. La violence de sa gifle est telle que la femme tombe par terre – éventuellement sur un canapé ou un lit dans la chambre d’hôtel où a lieu la scène. Mais on peut avoir aussi l’image d’un homme en désarroi qui gifle sa compagne parce que c’est plus simple physiologiquement que de se gifler soi-même. On peut avoir cette image tant que l’on n’a qu’une information : la gifle.

Le contexte de la gifle

N’en déplaise à Caroline de Haas (dont néanmoins l’apostrophe à JL Mélenchon me paraît globalement judicieuse et constructive), « c’est plus compliqué ». Forcément. La gifle, comme tout événement quelle que soit son importance ne prend son sens que remise en contexte.

En ce qui concerne celle de Qa sur Qc, hélas, le contexte ne laisse que peu de place au doute : la gifle s’est accompagnée de violences qui visaient à établir l’emprise de Qa sur Qc, la moindre n’étant pas la tentative de vol de son téléphone portable, c’est-à-dire la volonté d’interdire tout contact à Qc. Pour un instant (un instant seulement, heureusement), c’est l’équivalent de l’enfermement des femmes en Afghanistan (elles, c’est pour la vie si ce régime ne change pas). Alors oui, il y a plus grave que les actes de Qa, oui, Qc a pu se libérer/être libérée et aller jusqu’à la police, oui, intellectuellement, Qa condamne son acte, mais il est manifeste que cette gifle, indépendamment de sa violence, s’inscrit dans une volonté de limiter la liberté de l’autre, ce qui a un sens politique.

J’aurais aimé pouvoir m’appuyer sur une recherche académique plutôt que de faire ces considérations plus ou moins historiques à l’arrache. Mais une (trop) rapide recherche dans des catalogues de bibliothèques ne m’a pas permis de trouver de monographie sur le sujet de la gifle et me laisse croire qu’il n’y en a pas. Un sujet intéressant pourtant, même si les sources peuvent être compliquées à imaginer et à trouver.

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