Mercredi 3 mars, la Commission européenne a signalé dans un document sur la réponse fiscale apportée à la crise épidémique son intention de maintenir les règles du pacte de stabilité en suspension en 2022 et de ne les appliquer par la suite qu’avec une très grande libéralité, indiquant par là son soutien à une politique fiscale expansionniste au moins pour les deux ou trois années à venir. La Commission pose aussi explicitement la question d’une réforme du pacte, avec une rationalité imparable : le commissaire responsable du pacte, Paolo Gentiloni, a en effet expliqué la semaine précédente que, étant donné le contexte macroéconomique si profondément transformé par l’épidémie par rapport au contexte d’avant, une réforme législative[1] devait être envisagée, car « si pas maintenant, alors quand » ?
Cette annonce ne tombe pas du ciel. Tout d’abord, la Commission avait lancé tout juste avant l’épidémie une consultationen vue d’une éventuelle réforme du pacte, tant il est vrai que celui-ci ne satisfaisait personne et ne fonctionnait selon aucun critère d’efficacité qu’on puisse imaginer. La crise économique générée par les restrictions prises pour combattre l’épidémie à partir de mars 2020 a tout simplement rendu les paramètres du pacte caducs : la conjoncture imposait de mener des politiques fiscales ultra-expansionnistes sans se soucier des ratios surveillés par le pacte et le legs de cette politique sera un niveau de dette publique sans lien aucun avec le critère des 60% du PIB posé par le pacte. Par ailleurs, le débat sur l’adaptation des politiques économiques européennes à l’impératif de la transition énergétique touche toutes les politiques économiques européennes de manière transversale, y compris les politiques monétaire et fiscale. La pression est très forte pour que la BCE se déleste des titres d’entreprises polluantes tandis que l’idée de soustraire les investissements publics favorisant la transition énergétique du calcul des déficits était déjà dans l’air avant l’épidémie.
Dernier élément à signaler à ce propos, le basculement des économistes mainstream et des institutions gardiennes de l’ordre économique international en faveur de l’expansion fiscale, contrairement à ce qui s’était passé en 2008-9 après la crise financière. Le FMI recommande désormais vivement aux États de ne pas revenir vers l’austérité et de continuer à dépenser afin de stimuler la reprise économique tandis que des économistes vedettes comme Kenneth Rogoff (l’un des principaux promoteurs de l’austérité fiscale à partir de 2009) applaudissent aujourd’hui le gigantesque plan de relance (1,9 mille milliards de dollars) voulu par Joe Biden que vient d’adopter le Congrès américain.
Par conséquent, tout le monde aujourd’hui discute de la réforme du pacte de stabilité et l’envisage comme une éventualité acquise. A titre d’exemple du côté des économistes « de cour » qui ont l’oreille des dirigeants politiques dans les États-membres et à la Commission, on peut signaler cette contribution récente d’Olivier Blanchard (ancien économiste en chef du FMI, macroéconomiste mainstream de renom, conseiller de Macron), d’Alvaro Leandro et de Jeromin Zettelmeyer (directeur adjoint du département des politiques publiques et de la stratégie du FMI), qui propose de remplacer les critères rigides du pacte par des « standards » généraux de bonne gestion fiscale qui accroîtraient la part de discrétion politique (et donc de marchandage politique entre Commission et Conseil) dans l’évaluation de la conformité des politiques des États-membres avec le pacte. Il s’agit là d’une proposition conforme à l’esprit de la politique adoptée par la Commission en 2015, qui a annoncé qu’elle se donnerait « toute flexibilité » pour faire appliquer les règles du pacte, mais qui comporte l’avantage supplémentaire de ne pas se baser sur des critères numériques prédéfinis.
Du côté des économistes et intellectuels de gauche, on peut signaler la contribution de Thomas Piketty et de ses co-auteurs du Traité de démocratisation de l’Europe proposant de « construire l’Europe d’après ‘le consensus de Maastricht’ ». Concernant le pacte, ils proposent de « refondre le Pacte de stabilité pour amplifier les investissements publics » en faisant adopter une « règle d’or » qui exclurait les investissements publics du calcul des déficits tout en maintenant un objectif de trajectoire de réduction des dettes publiques.
Bref, globalement, le débat porte sur la manière dont il faut modifier le pacte pour favoriser une gestion plus contra-cyclique de la conjoncture ainsi que pour restaurer un niveau d’investissement public qui a pâti depuis dix ans des politiques d’austérité fiscale avec des conséquences très visibles en termes de capacités des systèmes de santé publique à faire face aux besoins accrus de la population liés à l’épidémie. Cette évolution est donc à saluer.
Le débat sur la réforme du pacte se mène donc en fonction du déplacement de l’orthodoxie économique en matière de politique macroéconomique et fiscale depuis un an. De ce point de vue, cela traduit la prise de conscience du fait que les règles fiscales définies dans les années 1990, qui ont essentiellement constitué une police fédérale des déficits et de l’endettement subfédéraux dans le but de mettre la pression sur les États-membres de l’arc latin pour qu’ils poursuivent une politique d’ajustement structurel, sont un obstacle à la poursuite de politiques adaptées à la conjoncture actuelle et aux défis des transitions structurelles (énergétique, numérique) de la période. Or, si cela est un acquis positif qui doit être apprécié, cela devrait fournir l’occasion pour poser la question de l’utilité d’un système de règles de coordination macroéconomique dans le cadre d’un système fédéral comme celui de l’Union européenne.
Le débat des années 1970 : coordination macroéconomique ou fédéralisme fiscal ?
Lorsque la perspective de l’union monétaire fut débattue officiellement pour la première fois dans les années 1970, deux grandes conceptions de ce que cela impliquait en termes de politique économique ont été formulées.
Le rapport Werner de 1970 a formulé la première de ces conceptions, celle de la coordination macroéconomique. Le rapport expliquait que « la politique conjoncturelle sera décidée dans ses grandes lignes au niveau communautaire » tandis que « la gestion harmonisée [des budgets nationaux] constituera un facteur essentiel de cohésion ». Concrètement, le rapport proposait (dans des termes volontairement abstraits) qu’un « centre de décision pour la politique économique exercera de façon indépendante, en fonction de l'intérêt communautaire, une influence décisive sur la politique économique générale de la Communauté. Étant donné que le rôle du budget communautaire comme instrument conjoncturel sera insuffisant, le centre communautaire de décision devra être en mesure d'influencer les budgets nationaux, notamment en ce qui concerne le niveau et le sens des soldes ainsi que les méthodes de financement des déficits ou d'utilisation des excédents. » (C’est moi qui souligne dans cet extrait.) Pour le dire autrement, à défaut d’un budget fédéral substantiel, une politique fiscale « optimale » serait définie pour l’ensemble de l’économie de l’Union et à partir de là, les politiques nationales devraient s’adapter pour que de manière coordonnée elles produisent cette politique d’ensemble. Le volume et les soldes des budgets nationaux seraient décidés au niveau fédéral, qui pourrait contraindre les États-membres de diminuer à la fois leurs déficits et leurs excédents budgétaires. Si, par exemple, l’Allemagne avait un excédent budgétaire tandis que l’Italie avait un déficit, le niveau fédéral pourrait contraindre la première à dépenser plus (pour diminuer son excédent) et la seconde moins (pour réduire son déficit) de manière à obtenir un équilibre global.
On note ici deux différences capitales avec le pacte de stabilité. D’abord, les politiques nationales sont conçues en fonction d’un objectif global ; ensuite, les décisions du niveau fédéral sont contraignantes pour tous les États-membres, qu’ils doivent diminuer leurs déficits ou leurs excédents.
La deuxième conception se retrouve dans le rapport MacDougall de 1977 ; c’est celle du fédéralisme fiscal. Le rapport évoque la nécessité d’un budget fédéral de l’ordre de 7% du PIB de l’Union pour stabiliser une éventuelle union monétaire. Un tel budget serait de taille suffisante pour remplir des fonctions de stabilisation interrégionale et macroéconomique, mais aussi d’allocation du capital (fonction d’investissement) dans des domaines prioritaires définis au niveau fédéral. Plutôt qu’un système de coordination centralisée des politiques économiques subfédérales, le principe actif devant permettre un équilibre global de la politique économique dans l’Union serait constitué par un budget fédéral substantiel.
On note ici la ressemblance de cette proposition avec le plan de relance NGEU. Ce plan sera constitué par des ressources fédérales (endettement de la Commission) qui seront par la suite canalisées vers les États-membres les plus en difficulté (stabilisation) afin de financer des investissements dans les transitions énergétique et numérique (investissement public).
Dans tous les cas, ces deux options – coordination contraignante des politiques subfédérales vs fédéralisme fiscal – sont les options qu’il s’est agi de départager (ou éventuellement de combiner) pour construire un système de gouvernement macroéconomique qui, du moins en théorie, fonctionne correctement dans une économie fortement intégrée d’une Union fédérale ayant une monnaie unique régie par un système fédéral de banque centrale.
Des débats des années 1970 au pacte de stabilité de 1997
Le budget de l’Union n’ayant pas évolué de sorte à pouvoir jouer le rôle envisagé dans le rapport MacDougall, la question qui se pose est de savoir comment on est passé du rapport Werner au pacte de stabilité.
Lorsque le débat sur la monnaie unique s’est formalisé dans le cadre du comité Delors à la fin des années 1980, les partisans de la monnaie unique (au sein du personnel politique mais aussi des grandes entreprises) ont compris qu’insister pour un big bang en matière fiscale tel qu’envisagé dans le rapport MacDougall risquait de faire échouer le projet. En effet, c’est la Bundesbank, principal obstacle à la réalisation de l’union monétaire, qui a repris à son compte cet argument, expliquant (très justement par ailleurs) que sans union fiscale et politique, l’union monétaire ne pouvait pas fonctionner. On associa donc ce maximalisme réformateur à une tactique d’opposition au projet d’union monétaire lui-même. Car tout faire d’un coup était hors de portée : une transformation si radicale ne passerait très probablement pas en France où les réflexes gaullo-souverainistes étaient toujours très présents (on oublie un peu vite aujourd’hui que le RPR fit campagne contre le traité de Maastricht en 1992, sans parler de l’obstacle chevènementiste à gauche). Le Royaume-Uni, par ailleurs, ne laisserait jamais le budget de l’UE croître substantiellement et encore moins l’UE acquérir des pouvoirs fiscaux. Par ailleurs, le problème concret qui appelait une solution à l’époque était l’instabilité du système monétaire européen, sujet régulièrement à des mouvements spéculatifs qui désalignaient les parités entre monnaies européennes et donc déstabilisaient le système des prix relatifs du marché unique européen. Il ne pouvait donc pas y avoir d’élan politique suffisant au tournant des années 1990 pour une réforme du système fiscal européen telle qu’envisagée dans le rapport MacDougall.
Or, on ne pouvait pas non plus se contenter de faire la monnaie unique sans poser des règles devant garantir un minimum de coordination macroéconomique. Mais en réalité, les règles adoptées (les critères de convergence devenus pacte de stabilité, ainsi que les articles 123 et 125 TFUE interdisant la monétisation des dettes publiques et la mutualisation de la responsabilité fiscale des États-membres) ont codifié l’exigence « économiste » allemande[2] de convergence des performances macroéconomiques des États-membres sur celle de l’Allemagne qui s’était de fait imposée depuis deux décennies. Le Système Monétaire Européen, en faisant de la monnaie allemande le pivot du système, obligeait les États-membres à tenter d’imiter au plus près les performances macroéconomiques allemandes, ce qui impliquait pour les États-membres latins des efforts d’ajustement macroéconomique similaires en substance à ceux consentis en 2010-2015.
Le gouvernement allemand a jugé dans le cadre des négociations qui devaient aboutir au traité de Maastricht que la codification de cette « contrainte extérieure » servirait non seulement à gagner l’opinion publique domestique à la cause de la monnaie unique, mais constituerait aussi une garantie d’une bonne gestion fiscale qui éliminerait le risque de devoir voler au secours d’un État-membre en difficulté sur les marchés financiers et ainsi éviter de tomber dans une « union des transferts » sans une décision de réforme constitutionnelle au préalable. Le second volet du système, donc, était l’interdiction de la mutualisation fiscale (que ce soit via le bilan de la banque centrale ou directement entre États-membres) par les deux articles du traité évoqués plus haut. Cette interdiction était censée dissuader les Etats-membres latins de « se laisser aller » une fois la monnaie unique introduite et de signaler aux investisseurs que l’Allemagne n’assumerait pas leurs dettes en cas de difficulté. Cela devait conduire ces derniers à jouer la police macroéconomique en faisant jouer les différences des taux d’intérêt sur les dettes publiques – bref, à instaurer un système fiscal basé sur la discipline de marché.
On voit à travers la généalogie du pacte de stabilité en quoi celui-ci diffère foncièrement du schéma élaboré dans le rapport Werner. Le pacte n’a pas été conçu pour garantir une coordination contraignante en fonction d’une politique européenne. Le pacte ne comportait et ne comporte toujours aucun moyen permettant de contraindre les Etats-membres du Nord à dépenser plus afin de rééquilibrer l’économie européenne. Il ne s’agit que d’un système de police visant d’abord et avant tout les Etats-membres de l’arc latin.
A Bruxelles, on parle couramment d’asymétrie du pacte de stabilité pour décrire les quelques contraintes qui pèsent sur les Etats-membres faisant des déficits et devant réduire leurs dettes et l’absence totale de telles contraintes pour les autres. Cette asymétrie était d’ailleurs directement en cause en 2011-13 car elle a plongé l’économie européenne dans une seconde récession totalement évitable et produite par la non-coordination des politiques économiques des Etats-membres. La crise ayant donné enfin l’occasion à l’Allemagne et ses alliés d’imposer une cure sévère d’ajustement structurel aux Etats-membres de l’arc latin, celle-ci a été menée sans qu’en parallèle les Etats-membres du Nord ne donnent un coup de fouet de fiscalité expansionniste qui faciliterait l’ajustement dans les Etats-membres latins. Par conséquent, la politique économique européenne dans son ensemble était pro-cyclique dans un contexte récessif.
La Commission a voulu renouer avec la logique décrite dans le plan Werner à partir de 2015, expliquant qu’elle avait décidé par elle-même de procéder à partir d’une appréciation de ce que devait être une politique économique pour l’Union dans son ensemble avant de formuler ses recommandations aux Etats-membres. Mais le pacte ne prévoit justement que des recommandations et non pas des décisions fédérales contraignantes pour tous les Etats-mêmbres. Par conséquent, les recommandations répétées de la Commission à l’Allemagne, aux Pays-bas, l’Autriche, la Finlande etc. d’augmenter leurs dépenses publiques (et même les salaires) sont restées lettre morte. Le gouvernement allemand a même objecté publiquement que le pacte s’appliquait aux Etats-membres de manière individuelle et que la Commission ne disposait pas du pouvoir de demander à un Etat-membre d’augmenter ses dépenses pour réduire ses excédents (et encore moins d’augmenter les salaires).
Un système de coordination plus efficace serait antidémocratique
Voilà donc qui souligne le vrai problème avec le pacte. Quand bien même la Commission souhaite procéder selon l’esprit du schéma décrit dans le rapport Werner, en partant de ce qui serait une politique économique européenne optimale et territorialement équilibrée, elle ne dispose d’aucun moyen pour contraindre l’ensemble des Etats-membres à mettre en œuvre les politiques correspondantes.
La seule réforme qui puisse garantir donc la mise en place d’un système de coordination efficace serait de donner à la Commission de tels pouvoirs – qui seraient autrement plus conséquents que les pouvoirs de sanction prévus par le pacte contre les Etats-membres déficitaires et endettés. En gros, la Commission aurait le pouvoir de proposer au Conseil une politique économique d’ensemble qui, une fois adoptée par le Conseil, lui donnerait le pouvoir de la décliner Etat-membre par Etat-membre, en particulier en termes de niveau des soldes budgétaires. La Cour de Justice Européenne serait chargée de sanctionner tout Etat-membre ne mettant pas en œuvre les injonctions de la Commission.
Même un tel système serait insuffisamment efficace car la Cour ne pourrait agir qu’à posteriori. Or, il est bien connu que tout système d’enforcement qui intervient à posteriori est sous-optimal. La sanction intervient trop tard et ne constitue donc pas un levier suffisant pour s’assurer de l’exécution à temps de la politique voulue. Le système produirait ainsi régulièrement des conflits politiques entre institutions fédérales et Etats-membres, mais aussi entre ces derniers, et atteindrait très rarement ses objectifs. Par ailleurs, la contrainte européenne attiserait (à juste titre) les réactions hostiles à l’Union sur le plan domestique. Aucun système de coordination ne peut fonctionner correctement dans un tel contexte.
Mais le plus grand problème avec un tel système se trouve ailleurs. Quand bien même un tel système serait soumis à la procédure législative ordinaire (et jouirait donc de la légitimité démocratique supérieure que confère l’adoption d’une mesure par le Parlement européen), il déposséderait partiellement les exécutifs et les parlements des Etats-membres de leurs pouvoirs en matière budgétaire. Or, cela est difficilement envisageable d’un point de vue démocratique. Un tel système tendrait beaucoup trop vers le centralisme autoritaire.
La réforme optimale est le fédéralisme fiscal
Voici donc qui nous ramène au débat des années 1970 sur le régime fiscal qui doit accompagner l’union monétaire. Très clairement, le fédéralisme fiscal est l’option optimale par rapport à un système de coordination contraignante. Faire adopter et exécuter un budget fédéral d’environ 7% du PIB ne présente pas de difficulté politique particulière. La Commission propose un budget en tenant compte des équilibres politiques au sein du Conseil et du Parlement, et des majorités (respectivement, qualifiée et simple) s’y dégagent pour l’adopter ou l’amender. Les clivages politiques que ce processus engendrera seront des clivages politiques classiques autour de l’axe gauche-droite, comme dans les Etats-membres, ce qui peut produire des conflits politiques mais en aucun cas dresser des obstacles à l’exécution de la politique décidée.
Le fédéralisme fiscal ne présentera pas non plus de difficulté démocratique particulière, si la procédure législative par laquelle cela doit avoir lieu est la procédure législative ordinaire, contrairement à la situation actuelle où les recettes du budget pluriannuel de l’Union sont décidées à l’unanimité des Etats-membres après simple avis du Parlement tandis que les dépenses requièrent l’unanimité et l’accord du Parlement. La procédure législative ordinaire octroierait la légitimité démocratique qui découle de la participation pleine et entière (vote aussi bien des recettes que des dépenses avec pouvoir d’amendement) du Parlement dans la définition de la politique fiscale fédérale.
La règle de l’unanimité constitue également un obstacle politique majeur à l’efficacité d’un système de fédéralisme fiscal, car elle conduit à des compromis fondés sur la logique du plus petit dénominateur commun. Le plan de relance NGEU illustre cela très clairement, car le compromis imposé par les Etats-membres dits « frugaux » (Autriche, Danemark, Finlande, Pays-Bas, Suède) est insuffisant en termes de volume du fonds et de modalités de distribution des ressources (seulement un peu plus de la moitié seront distribuées sous forme de transferts, le reste le sera sous forme de prêts).
L’adoption du plan de relance modifie donc profondément le débat sur la réforme du pacte de stabilité. Ce plan fournit l’occasion de dépasser l’impasse que constitue le choix d’organiser la politique économique européenne sur la base d’un système de coordination macroéconomique. Ce choix ne finit pas de faire la démonstration de son inefficacité, voire de sa nocivité. Il s’est régulièrement avéré incapable de déboucher sur une politique économique européenne d’ensemble optimale, d’organiser l’effort de redistribution interrégionale que requiert la stabilité d’une économie européenne intégrée, de garantir un niveau suffisant d’investissement public et même d’éliminer les querelles politiques entre Etats-membres et leurs effets délétères (aiguisement des tendances politiques centrifuges et du chauvinisme).
Pour saisir cette occasion, il faut donc commencer par expliquer que quand bien même les réformes du pacte de stabilité proposées de toutes parts sont les bienvenues (car elles faciliteraient la relance des dépenses publiques d’investissement), elles sont foncièrement insuffisantes car elles ne s’attaquent pas au problème de base qui est l’insuffisance même d’un système de coordination macroéconomique. Le plan de relance peut être le début d’une réforme radicale qui débouche sur un système de fédéralisme fiscal tel qu’envisagé dans le rapport MacDougall : un budget fédéral substantiel financé par une fiscalité européenne et une dissociation des politiques économiques des Etats-membres de cette politique fédérale. Chaque niveau de gouvernement pourrait alors définir de manière pleinement démocratique sa politique. On éviterait également les problèmes (politiques et économiques) de type aléa-moral qui découlent de la mutualisation fiscale. Chaque Etat-membre pourrait redevenir pleinement responsable de ses propres dettes, car l’essentiel de l’endettement public désormais serait le fait du niveau fédéral, ce qui permettrait de stabiliser le système financier en fournissant un actif financier sûr (un safe asset) autour duquel les bilans des institutions financières pourraient s’organiser.
Comment une telle réforme se réaliserait-elle ? En révisant les traités pour soumettre les recettes et les dépenses du budget de l’UE à la procédure législative ordinaire dans l’objectif explicite de pérenniser et accroître l’effort fiscal commun que représente le plan de relance. Une telle réforme serait autrement plus radicale et donc plus appropriée aux défis qui se posent aujourd’hui qu’un ajustement à la marge ou même une refonte complète du pacte de stabilité.
[1] Le pacte de stabilité est un ensemble composé de deux règlements du Conseil adoptés en 1997 et révisés pour la dernière fois en 2011 par le Conseil et le Parlement. Sa révision implique donc de suivre la procédure législative ordinaire (accord du Conseil et du Parlement, à la majorité qualifiée pour le premier et la majorité simple pour le second).
[2] Dans les années 1970, deux visions s’étaient opposées sur le processus devant aboutir à l’union monétaire. La vision « monétariste » défendue par la France (et qui n’a aucune parenté intellectuelle avec le monétarisme de l’Université de Chicago) consistait à expliquer que des mesures de solidarité monétaire favoriseraient la convergence réelle des performances macroéconomiques jugée nécessaire pour réaliser l’union monétaire. La vision « économiste », défendue par l’Allemagne, voyait les choses en sens inverse : il fallait que les Etats-membres convergent d’abord par leurs propres efforts. Ce débat reproduisait quasi-exactement les visions opposées qui se sont affrontées en 2010-12 dans le cadre de la crise de la zone euro.