
Le 31 octobre 2018 j'ai en main l'ouvrage de Marie-Céline Ray, docteur en microbiologie moléculaire, agrégée de SVT.
Titre de l'ouvrage : Infections, le traitement de la dernière chance Quand les antibiotiques n'agissent plus, les phages peuvent vous sauver la vie.
Le livre de Marie-Céline Ray n'est pas du tout un réquisitoire, c'est un inventaire rigoureux des recherches scientifiques sur les phages, la phagothérapie et les bactéries multirésistantes aux antibiotiques.
Mais l'objectif des 5 pages du présent article - comme des 8 articles précédents - est 1. De comprendre la situation scientifique de la phagothérapie 2. D'imaginer l'évolution des lois et règlements pour que cesse le massacre - des milliers de patients victimes de bactéries multirésistantes aux antibiotiques.
Les éléments recensés par Marie-Céline Ray sont repris dans cette perspective politico-sanitaire.
Le dispositif rédactionnel de l'article est rigoureux :
- Les éléments scientifiques sont regroupés par thèmes politico-sanitaires
- A la fin du présent article on trouve des citations prises dans l'ouvrage ou des résumés classés selon les pages du livre
Pour se faire vraiment une idée de ce grave problème il est conseillé de lire l'intégralité de l'ouvrage qui est fort intéressant et d'un abord agréable.
Un massacre est un massacre
On trouve sous la plume de Marie-Céline Ray - comme de la plupart des auteurs - le doux euphémisme "impasse thérapeutique". p. 41
Il y a trois types d'impasse thérapeutique quand la bactérie est multirésistante aux antibiotiques :
- la mort du patient
- l'amputation
- l'invalidation par destruction d'un organe par la bactérie - oeil, oreille, testicule, etc.
Massacre local & global, massacre en augmentation
L'étude de Jim O'Neil p. 32 reprise par l'OMS prédit pour chaque année 10 millions de décès au niveau mondial en 2050.
C'est tellement incroyable que voici le schéma du rapport :

On se rappelle que la Première Guerre Mondiale a entrainé environ 5 million de morts chaque année.
On annonce donc aujourd'hui le double de décès chaque année et ce pour une durée infinie / indéfinie.
Actuellement on a en France :
- 12 mille décès par an
- 60 mille amputations et invalidations - chiffre à valider
La phagothérapie existe depuis des millions d'années !
Chaque corps humain contient un phagéome, c'est à dire une réserve naturelle de phages-gardiens qui sont les prédateurs des bactéries dangereuses pour l'organisme. p. 101
Ce point est de première importance.
En effet soigner un patient par phagothérapie c'est juste imiter un processus naturel qui existe quotidiennement - citation de Félix d'Hérelle p. 87
Lorsque certains parlent de fabriquer des phages ils sont dans un mauvais film qui a débuté autour des années 2000 : l'idée que l'on peut fabriquer des phages soit à partir de protéines soit en réalisant des phages génétiquement modifiés OGM. p. 133
En réalité on peut seulement cultiver des phages. p. 44
On soigne les patients par transplantation de phages. p. 141
La thérapie par les phages est contagieuse.
Non, ce n'est pas une faute de frappe.
Dans les hôpitaux, dans les villages où l'hygiène n'est pas excessivement stricte, les patients se transmettent les phages : la thérapie par les phages est contagieuse. p. 81.
Exemple ici. Si j'ai une maladie bactérienne et que je serre la main d'une personne qui vient de guérir de la même maladie elle me transmet des phages qui vont m'aider à guérir.
Quand une pratique dite médicale lutte contre la guérison naturelle
La pratique médicale juste
Si un médecin associe le bon antibiotique avec le bon phage on a une synergie qui amène la destruction des bactéries nuisibles. p. 111-2
La pratique médicale pathogène
Si un patient prend un antibiotique inadapté celui-ci va détruire les phages qui sont acteurs de toute élimination de bactérie.
Par ailleurs on sait que souvent le régime alimentaire des patients est carencé de telle manière que les phages ne peuvent pas vaincre les bactéries. p. 111-2
Un tissu de mensonges sur la phagothérapie
Dans les années 1920, des amateurs et des escrocs se sont mis à cultiver des phages et à les mettre sur le marché, en particulier aux Etats-Unis.
Les phages "commerciaux" n'étant pas assez pertinents et/ou assez virulents et/ou assez nombreux les décès de patients sont fréquents. p. 84
Ce sont des décès par produits frelatés, pas par phagothérapie !
A ce moment là, aux Etats Unis, des études dites scientifiques prétendent évaluer les phages.
Elles devraient étudier les bonnes pratiques de Félix d'Hérelle et de ses élèves en Géorgie, au Brésil, etc..
Il n'en est rien, elles étudient des phages commerciaux américains frelatés. p. 93.
Au lieu de dire "les phages frelatés sont inefficaces" ils disent "la phagothérapie est inefficace".
En 2018, ce dénigrement de la phagothérapie est encore repris par certains.
Il y a également la "concurrence" entre chercheurs / laboratoires.
Certains privilégient d'autres hypothèses cliniques p. 91-2 et la phagothérapie est dénigrée.
La culture clandestine des phages en France
Ce sujet n'est pas traité comme tel par Marie-Céline Ray.
Le lecteur attentif se pose cependant quelques questions.
Les réussites décrites par l'auteur ont eu lieu essentiellement en Géorgie
Or, lorsque l'on enquête en France sur les réussites de la phagothérapie, on trouve des cas pour lesquels on ne sait pas d'où viennent les phages.
On est alors amené à s'interroger sur une culture clandestine de phages en France.
Les lieux où il y a des phages sont nombreux
Marie-Céline Ray cite :
1. Lieux de recherche sur les phages "en général" pour l'humain ou l'animal.
2. Les projets PhagoBurn, PhagOs, PhagoPied, etc.
3. Des hôpitaux civils - HCL Lyon, etc. - et plusieurs Hôpitaux militaires.
4. Des entreprises : Pherecydes, etc.
5. Les laboratoires de l'Institut Pasteur.
6. etc.
Imaginons un médecin ou un pharmacien qui a des phages sous la main.
Imaginons que la cousine de ce praticien soit en impasse thérapeutique = on va lui couper la main prochainement.
Il n'y a pas besoin d'une imagination débordante pour penser que le praticien va sauver sa cousine c'est à dire utiliser les phages "hors la loi".
En effet l'utilisation "dans la loi" est complexe et la main de la cousine est déjà coupée quand la réponse arrive - voir ANSM.
300 mille bacheliers savent cultiver des phages
C'est au programme du bac STL Sciences et techniques de laboratoire depuis 2011.
Imaginons un bachelier + une cousine condamnée ... on a le scénario précédent.
La culture des phages est à la portée de n'importe quel bricoleur
On a le même scénario.
Des phages standards en vente en ligne
Si les phages sont de bonne qualité et en quantité suffisante, si l'on a une maladie "standard", on peut être sauvé de la mort ou de l'amputation par un petit sachet de phages pas chers !!! p. 142
Mais souvent il faut cultiver le phage spécifique pour la bactérie spécifique
On doit :
1. prélever la bactérie au lieu où se trouve l'infection
2. cultiver la bactérie 3. identifier le phage spécifique
4. cultiver le phage 5. administrer le phage
C'est un processus qui est totalement en dehors de la logique industrielle et ne peut être réalisé que par :
1. un petit laboratoire
2. local
3. proche du service public. p. 125
Proximité du lieu de traitement du patient et du lieu de culture des phages
Souvent on trouve des dynamiques complexes d'attaque bactérienne.
Il faut réagir vite et bien.
Par exemple une attaque bactérienne peut sembler être dans un organe et avoir son foyer actif dans un autre organe. p. 137
Essai randomisé en simple aveugle
Nous avons vu dans un précédent article la question du changement de paradigme.
Dans le paradigme précédent on a étudié des maladies simples et des molécules simples.
Dans ces cas il est possible de prendre par exemple 100 patients atteints de la maladie simple.
A 50 de ces patients on administre la molécule simple tandis qu'on administre un placebo - produit sans effet aux 50 autres.
Le processus est dit "simple aveugle" car seuls les patients ignorent ce qu'ils prennent.
Il y a "double aveugle" quand les médecins près du malade ne savent pas non plus qui reçoit le placebo.
On compare l'amélioration de l'état de santé des patients des deux groupes.
Pour les bactéries et les phages il y a 6 mille à 8 mille couples bactérie / phage.
Il est difficile de constituer un groupe homogène de patients avec telle bactérie et leur administrer tel phage.
Demander que soient faits des essais randomisés pour la phagothérapie est de la folie pure.
Folie qui se définit simplement : ce qui était vrai/possible dans le paradigme précédent est totalement hors-jeu dans le nouveau paradigme. p. 120 & 124
Remarque : ce paragraphe est un exemple typique de "traitement" de l'information apportée par Marie-Céline Ray.
Elle apporte deux ou trois cas précis.
De notre côté nous présentons le "paysage paradigmatique".
On comprend à la fois les cas précis par la situation paradigmatique et le changement de paradigme grâce aux cas.
Essai comparatif "par hasard"
En Inde, un village est touché par le choléra. Une partie des habitants acceptent d'être soignés par les phages et 92 % survivent p. 81
Dans un autre village on met les phages dans les puits alors que l'eau des puits du village proche n'est pas ensemencée de phages.
Le nombre de guérisons dans le premier est majeur tandis que dans l'autre village se sont les décès qui prévalent. p. 82
Un paradigme avec situations standards et situations spécifiques
Dans certains cas la bactérie est "standard" = courante d'où l'existence de cocktails contenant les phages pour ces bactéries standards.
D'où la possibilité d'une certaine "industrialisation" de la culture des phages standards.
D'ou le projet Pherecydes p. 133
Nous avons vu le cas tout à fait autre où le patient est atteint par une des 6 mille à 8 mille souches de bactéries.
Dans ce cas il faut une banque de phages dans chaque région de France = suffisamment près des patients.
Nous avons vu que la dynamique est alors locale, spécifique.
Par exemple la Californie du sud crée son centre local p. 106
Si demain un Ministre est sauvé par la phagothérapie il n'y aura plus de problème
Marie-Céline Ray cite le cas de Tom Patterson en Californie, imaginons une situation comparable en France.
Une maladie à bactérie multirésistante est souvent spectaculaire.
En effet, comme la phagothérapie n'est pas organisée en France, on "laisse trainer" trop longtemps au lieu de traiter dans les meilleurs délais comme on le fait en Géorgie pour les Géorgiens, en Pologne pour les Polonais, en Russie pour les Russes, etc.
En France on n'agit que lorsque la maladie a pris des proportions dramatiques - c'est la règle édictée par l'ANSM.
Il va se passer pour notre Ministre ce qui s'est passé pour le professeur américain Tom Patterson p. 106.
Le Ministre va avoir un processus accéléré et sera sauvé par la phagothérapie.
La question va venir en commission des lois, etc. en fait au bon endroit pour que la phagothérapie soit mise en place, comme en Californie.
Nous avons également imaginé la situation d'attentat bactériologique.
Pour éviter la mort ou l'amputation : direction la Géorgie - 4444 km de Paris
En 2013 TF1 diffuse l'histoire de Caroline Lemaire sauvée de l'amputation par la phagothérapie en Géorgie p.16
La même année Christophe a évité de la même manière l'amputation de sa jambe p. 15
Histoire détaillée de Caroline p. 110
Histoire de Mathys, 13 ans p. 115
Histoire dramatique de Valérie p. 121
Lindsay p. 129 Patti p. 136 Elodie p. 137
La phagothérapie est efficace, sans effet secondaire et pas chère
Des chercheurs de l'Hôpital universitaire Balgrist à Zurich Suisse étudient les phages cultivés en Géorgie.
Ils précisent : "les préparations commerciales {géorgiennes} testées sont disponibles depuis une cinquantaine d'années et ont été utilisées des millions de fois sans que des effets secondaires notables n'aient été signalés : leur utilisation est donc très sûre." p. 136
A chaque ouvrage publié, la question devient plus brûlante : pourquoi ce massacre ?
Plusieurs ouvrages ont déjà été publiés sur les phages et la phagothérapie.
L'ouvrage de Marie-Céline Ray est remarquablement à jour et didactique.
Tout lecteur comprend clairement les enjeux : en France on meurt, on est amputé ou invalidé, en Géorgie et ailleurs on est soigné sans effet secondaire.
La phagothérapie est facile à mettre en oeuvre dans des laboratoires locaux publics - elle n'intéresse pas l'industrie capitaliste.
Dans les articles précédents nous avons exploré les questions du changement de paradigme, etc.
Notre questionnement reste de ce type.
Références dans l'ouvrage de Marie-Céline Ray
1. Elles sont classées dans l'ordre d'apparition dans l'ouvrage (n° de page)
2. Un nombre entre parenthèse renvoie à un article scientifique de la bibliographie de l'ouvrage
3. Certains termes sont clarifiées par une explication entre {}
4. Nous sélectionnons les éléments les plus importants et - de ce fait - ne mettons les citations en italique que dans le cas de recopie à l'identique.
p. 41 La multiplication des résistances aux antibiotiques et le peu de nouvelles molécules arrivant sur le marché mettent la médecine en difficulté et de nombreux patients dans des impasses thérapeutiques.
p. 44 {Les phages} peuvent être cultivés en laboratoires avec des techniques simples.
p. 81 En 1927 Félix d'Hérelle est en mission en Inde pour trouver une solution au choléra. Il observe 1. Qu'un patient en début de maladie est dangereusement contagieux car il a les bactéries Vibrio c. mais pas les phages anti Vibrio c. 2. Qu'un patient convalescent - qui a résisté à la maladie - transmet les phages anti Vibrio c : la thérapie est contagieuse.
D'Hérelle attrape le choléra et se soigne avec les phages anti Vibrio c.
En 1927, dans un village près de Lahore au Penjab, les malades qui acceptent les phages survivent - 92 % - tandis que parmi ceux qui refusent les phages 62 % succombent - une partie est sauvée par contagion naturelle des phages Vibrio c.
p. 84 ... si certains scientifiques rencontrent parfois des difficultés à utiliser efficacement les ... bactériophages, c'est que le choix du phage n'est pas le bon ... nécessité de disposer d'un phage particulièrement virulent ... le nombre de phages peut, par exemple, être insuffisant.
p. 91-2 Jules Bordet privilégie l'hypothèse immunitaire. En 1938 John Northrop démonte sans preuve l'hypothèse de Félix d'Hérelle.
p. 93 Certaines préparations commerciales de phages contiennent des conservateurs qui réduisent l'efficacité des phages.
p. 101 Jeremy Barr de l'Université de Monash à Melbourne en Australie a écrit un article dans la revue Science (36) l'organisme possèderait un un "phagéome" (comme on possède un microbiome {une réserve de bactéries indispensables à la vie}) ... Il y a un mécanisme nommé transcytose {par exemples des phages présents dans l'intestin peuvent aller "à la demande" dans le sang" pour aller détruire une bactérie dans le système urinaire, pulmonaire, etc. }.
p. 106. Aux Etats-Unis, l'université de Californie (San Diego) a récemment développé une expertise dans le domaine de la phagothérapie, au point de créer en 2018 le premier Centre de phagothérapie d'Amérique du Nord. Ce projet n'aurait pas vu le jour sans la guérison spectaculaire d'un professeur d'université, Tom Patterson.
p. 111-2 Caroline témoigne de sa guérison d'une infection grave par 1. Streptocoque 2. Staphylocoque doré 3. Bactérie pulmonaire. Elle est soignée en Géorgie où les médecins pratiquent une triple synergie 1. Phage cultivé spécifiquement 2. Antibiotique sélectionné spécifiquement 3. Polythérapie spécifique
p. 133 Entretien avec Jérôme Gabard, directeur général de Pherecydes Pharma.
p. 141-2 Des chercheurs allemands de l'Université de Kiel ont réalisé un filtrat contenant les phages présents dans l'intestin d'un patient "A". Ils ont transplanté ce filtrat vers l'intestin d'un patient B atteint par une bactérie multirésistante. Les phages du patient A ont tué les bactéries qui affectaient le patient B - publication en 2017 (53)
Citer cet article
Bois, Christian. PhagoGate 9 : 176 pages de faits pour un réquisitoire de 5 pages Blogs de MédiaPart Paris MédiaPart ; 2019
https://blogs.mediapart.fr/christian-bois-343/blog/011118/phagogate-9-176-pages-de-faits-pour-un-requisitoire-de-5-pages