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Billet de blog 20 mai 2024

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Éthique (5) ou L'enfant qui a dit non

"‌Éthique", ‌ étendard au nom duquel la suspension des soignants ayant refusé la vaccination covid a durant très longtemps été justifiée.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Plusieurs fois déjà j'ai écrit sur l'éthique, ici ou encore ici, entre autre.

Subitement ce terme ressurgit.

L’autre jour, en réunion hebdomadaire pluridisciplinaire, nous avons poursuivi la préparation à l'évaluation externe du CMPP qui aura lieu prochainement. Au sujet du premier patient évoqué récemment, j'entends qu'il est question de "bientraitance" et d'"éthique", en lien avec les suspensions.

Alors je dresse l'oreille, je demande de quoi il s'agit.

On m'explique que du fait des suspensions, l'équipe a été face à un "dilemme éthique" au moment où elle a dû réfléchir pour décider si des relais devaient être proposé pour les patients et sous quelle forme.

Après la réunion je vais voir de plus près les textes de l'évaluation externe. Dans la thématique "bientraitance et éthique" du chapitre 2 du "Référentiel d'évaluation de la qualité des établissement et services sociaux et médico-sociaux" figure effectivement la formulation suivante : "Les professionnels identifient en équipe les questionnements éthiques propres à la personne accompagnée". Fort bien.

En septembre 2021, au moment de mon éviction brutale, j'avais espéré qu'au CMPP la dimension de l'éthique du soin serait un appui pour dénoncer les suspensions et les ruptures de parcours thérapeutiques qu'elles entrainaient. Mais rien de tel. Et maintenant ma suspension pourrait permettre de faire valoir auprès des évaluateurs une réflexion en équipe présentée comme "éthique".

Alors cela m'interpelle, cela me pousse à réfléchir.

Ainsi que je l'ai déjà exposé, quasiment personne au CMPP ne semble s'être demandé si une suspension sans salaire et pour une durée indéfinie de collègues pour un refus de vaccin était éthique. Mais je m'égare, puisque l'éthique dont il est question ici concerne les patients.
Or à cet endroit, quelle éthique a prévalu ? Quelqu'un a-t-il été réellement inquiet de l'impact pour eux de la disparition de leurs thérapeutes, au point d'en faire état en argumentant et en protestant fortement contre l'application d'une telle mesure ? Non.

Le respect de la loi a toujours primé sur toute autre considération, il a empêché de réaliser le scandale qui était en cours. Mais si appliquer une loi et faire avec ses conséquences est une chose, c'en est une autre de considérer que cela a entrainé une réflexion qualifiée d'éthique.

Ce qui permet en définitive de revenir un peu à la raison et de rétablir un semblant d'ordre, c'est très paradoxalement la façon dont l'enfant en question a réussi à se frayer un passage et à se faire entendre face à une décision de professionnels qui estiment maintenant avoir eu un "questionnement éthique" le concernant.

Car que s'est-il passé pour lui ?

Lors de cette réflexion en équipe il avait tout simplement été décidé au final qu'il n'avait plus besoin de "psychomotricité". Aucun distinguo ne semble avoir été fait entre un relais éventuel avec une autre psychomotricienne et la question d'une reprise, à mon retour, de la thérapie psychomotrice interrompue. Cette distinction avait été éludée, l'enfant "allait mieux" donc il n'avait "plus besoin".

Bien entendu aucune question ne m'avait été posée, je ne faisais plus partie de la scène. Effacée.

Lorsque j'ai été "réintégrée" au mois de mai de l'an dernier, on m'a informée que je pouvais revoir cet enfant une fois pour lui dire au-revoir, que les choses étaient convenues ainsi avec lui et sa mère. J'étais donc mise devant le fait accompli d'un arrêt du travail décidé par d'autres et déjà annoncé.

Sauf que cet enfant n'était en aucun cas en mesure de réaliser ce que représentait cette décision au moment où elle avait été parlée, que de toute évidence elle n'avait aucun sens pour lui et qu'elle ne lui convenait pas. Le jour du "au-revoir" il a repris ce qui était en cours avant la rupture, a réussi à questionner l'arrêt annoncé et à indiquer à sa façon qu'il voulait poursuivre. Sa mère a été à l'écoute et suffisamment sensible à l'importance de ce qui était en jeu pour accepter. Nous avons donc décidé de nous donner du temps et de reprendre les séances.
Lorsque j'ai fait état de cela en réunion il y a bien eu quelques remous, mais personne n'a osé aller contre ce mouvement.
Cet enfant a donc réussi à transformer le au-revoir annoncé en une reprise. Maintenant il est prêt à ce qu'un terme soit mis prochainement à ce travail dans lequel il s'était engagé il y a plus de six ans, alors tout petit enfant sans langage, dans un rapport au monde et un état psychique très préoccupants.

Je laisse chacun apprécier à quel endroit une démarche "éthique" a été mise en œuvre dans cette histoire.

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