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Billet de blog 5 décembre 2025

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Voltairine de Cleyre, un féminisme sans Dieu ni maître

Dans une Amérique confrontée à la montée des tensions sociales et du mouvement ouvrier révolutionnaire, elle incarne pour les élites une inacceptable dissidence, d’autant plus inacceptable qu’elle refuse d’être ce que la « nature » a fait d’elle : une femme, autrement dit une épouse et mère en devenir.

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Alice Béja, Voltairine de Cleyre. Anarchisme, féminisme et amour libre, Editions de l’Atelier, 2025.

Elle fut l’une des figures de l’anarchisme américain de la fin du 19e siècle. La politiste Alice Béja lui consacre une « biographie intellectuelle » intitulée Voltairine de Cleyre. Anarchisme, féminisme et amour libre.

Voltairine de Cleyre est née en 1866 dans une famille modeste aux idées d’avant-garde. Sa mère est la fille d’un abolitionniste impliqué dans le soutien actif aux esclaves fugitifs, et son père, un socialiste libre-penseur… ce qui ne l’empêchera pas d’envoyer Voltairine étudier dans un couvent catholique1. Cette « expérience fondatrice de l’oppression » fera d’elle une anarchiste et une athée, une féministe qui entend vivre, et pas seulement professer, les idées qu’elle porte.

Illustration 1

Dans une Amérique confrontée à la montée des tensions sociales et du mouvement ouvrier révolutionnaire2, elle incarne pour les élites une inacceptable dissidence, d’autant plus inacceptable qu’elle refuse d’être ce que la « nature » a fait d’elle : une femme, autrement dit une épouse et mère en devenir. Pire même : elle abandonnera son fils à son géniteur et partira vivre loin d’eux. Elle ne veut pas d’une vie de couple et d’une maternité castratrices.

Malgré une santé physique et psychologique fragile, Voltairine de Cleyre se lance dans le combat émancipateur avec un engagement qui impressionne. Elle vit chichement en dispensant des cours d’anglais, ne quitte Philadelphie qu’à de rares occasions. Elle écrit beaucoup mais uniquement des articles, des poèmes et de courts essais pour la presse libertaire. Ce n’est pas une théoricienne, ni même une oratrice fougueuse comme Emma Goldman, et elle ne partage d’ailleurs pas ses sentiments sur l’anarchisme. Alors qu’Emma-la-rouge défend l’idée que l’anarchisme s’offre à tout individu humaniste et anti-autoritaire, Voltairine de Cleyre défend une propagande en direction des seuls parias et des prolétaires : son anarchisme sera ouvrier, les alliances avec les classes moyennes et bourgeoise ne peuvent que le dévoyer ; et elle ne condamnera jamais la propagande par le fait, comprise comme une manifestation du refus de subir davantage l’oppression politique et sociale.

Ce n’est pas une activiste qui monte sur l’estrade pour parler aux grévistes ou qui brandit le poing lors des manifestations, et, sans doute, sa santé défaillante en est la raison. Et ce n’est pas le glaive de la Justice bourgeoise qui s’abattra sur elle au début du 20e siècle, mais la jalousie d’un de ses élèves, fragile psychologiquement. Un coup de revolver faillit lui ôter la vie.

Voltairine de Cleyre plaît aux hommes, mais son féminisme radical fixe des limites aux relations intimes qu’elle entend nouer : amour libre, non-communauté de vie.

Alors que certains ont construit l’image d’une Voltairine de Cleyre, romantique voire austère, belle et rebelle, qui n’aurait eu qu’un seul et véritable amant, la révolution libertaire, la vraie Voltairine était une femme qui se débattait dans une société puritaine, patriarcale, pour vivre et aimer librement. Tout simplement...

[version audio disponible]

1 Elle fut placée là après le divorce de ses parents. Son père, accaparé par son travail et incapable de s’occuper d’elle, l’avait inscrite dans ce couvent, dans l’espoir qu’elle en ressorte avec la meilleure éducation possible.

2 Louis Adamic, Dynamite ! - 1830-1930 : un siècle de violence de classe en Amérique, Sao Mai, 2010.

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