Derrière les mauvaises nouvelles du jour (à l'heure où j'écris ces lignes, le Middle East Eye parle de 119 Palestiniens tués), il y a la famille.
Au cours des derniers mois, Rawan m'a fait part à plusieurs reprises de sa peur de mourir. Il y a quelques semaines, c'est la tente voisine de la leur qui avait été touchée et avait brûlé - les voisins avaient pu fuir, mais avaient tout perdu. Et il y a deux jours, entre deux photos de leur vie d'avant, après m'avoir montré la photo d'une amie très belle, très jeune, dont Rawan venait d'apprendre la mort, Rawan m'a demandé si je me souviendrai d'elle si elle mourait.
Au 666ème jour du génocide, ça a été leur tour : c'est la tente de Lina, Rawan et leur famille qui a été bombardée ce matin. Et malheureusement, ils n'ont pu fuir à temps. D'autres personnes autour sont mortes, dont un couple qui laisse trois jeunes orphelins. Lina et son mari ont été gravement blessés. Rawan a été blessée au dos et aux mains.
C'est le choc, mais pas la surprise. Comme le disait bien Rawan, tout cela n'était qu'une question de temps.
Puisqu'il s'agit d'un génocide, tout se tient. Ce que vit Rawan et sa famille est parfaitement logique : privés de tous leurs droits, de leur logement, de toutes leurs affaires, privés d'alimentation saine, d'alimentation tout court, privés de soins médicaux, privés d'éducation - deux années scolaires durant -, privés de leurs proches tués à un rythme croissant, entourés de souffrance et de deuil...
Et maintenant le peu qu'il restait part aussi. Dans la violence du bombardement qui mutile leurs corps, intentionnellement. Dans le temps que prend l'ambulance pour venir, forcément, et le sang que Lina perd, perd, perd. Dans les contraintes des hôpitaux et des soignants qui font ce qu'ils peuvent dans ce qui reste de ce système intentionnellement détruit. Dans notre incapacité à les secourir puisque les Israéliens les détruisent à merci derrière les frontières qu'ils ont fermées. Puisqu'on nous empêche de les voir, qu'on nous empêche de les faire venir. Puisqu'on tergiverse toujours, près de vingt-deux mois plus tard, sur les mesures qu'éventuellement, il pourrait, peut-être, être justifié de prendre, si le coût (politique, économique) n'est pas trop élevé.
Mais putain qu'est-ce que nos représentants attendent ? Qu'ils les achèvent tous ? Ou le plus grand nombre ? Il faut qu'on m'explique. Il faut surtout que ça s'arrête.
On a les normes internationales qu'il faut. On a les moyens logistiques qu'il faut. C'est le courage qui manque, et l'imagination. Avoir le courage d'imaginer une alternative à la destruction folle de tout un peuple sous nos yeux, le courage de dire non, le courage d'arrêter toutes les collaborations, d'exiger la fin immédiate du blocus et des bombardements, l'ouverture des frontières, et d'utiliser tous les moyens nécessaires à la réalisation de ce but.
De nombreuses personnes le font déjà à leur échelle. Comment se fait-il que ceux qui représentent officiellement la France et l'UE n'y arrivent pas?
Moi j'ai en face de moi Rawan. Elle a maintenant 19 ans et c'est sa vie qui s'effondre jour après jour.