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Billet de blog 6 décembre 2021

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Russie, Kemerovo, les enfants morts de la Cerise d'hiver

En mars 2018, l’incendie du centre commercial Zimniaïa Vichnia, à Kemerovo, a fait 64 morts, dont 41 enfants. Pourquoi ? À cause de l'incurie des autorités, à cause d'un système d’alarme neutralisé et d'issues de secours verrouillées, à cause de violations flagrantes des règles de construction et de sécurité, sur fond de corruption.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dans un récent billet, Russie, Kouzbass, la mine tue, j'évoquais la catastrophe qui a eu lieu le 25 novembre dans la mine de charbon Listviajnaïa, à Belovo, dans l’oblast de Kemerovo, et qui a fait 51 morts et 109 blessés. Elle a pour origine des infractions caractérisées aux règles et obligations de sécurité. J'indiquais que je reviendrais dans un autre billet – celui-ci – sur un autre drame qui s’est déroulé en 2018 dans un centre commercial de ce même oblast de Kemerovo, et qui a fait 64 morts, dont 41 enfants.

Il est aussi une démonstration de ce mépris de la sécurité et de la vie humaine que peuvent avoir, en Russie ou ailleurs, ceux sur qui pèsent les obligations de sécurité. Je reproduis un texte, non publié par ailleurs, que j'ai écrit en 2019. C'est pour moi aussi l'occasion de décrire — le lecteur patient le lira dans les derniers paragraphes –– un aspect qui me semble important de la relation du peuple russe à ses autorités : ce sur quoi il ne voudrait pas transiger, et que, finalement, le pouvoir sait cyniquement lui faire accepter.

Je commençais aussi par une présentation du district fédéral de Sibérie, et de l'oblast et de la ville de Kemerovo, cela manquait à mon billet précédent, il est toujours bien de situer, géographiquement, ce dont on parle.

Le district fédéral de Sibérie ne recouvre que le centre-ouest de la partie asiatique de la Russie, entre celui de l’Oural et celui de l’Extrême-Orient. Il regroupe 12 sujets de la Fédération de Russie, oblasts, kraïs ou républiques, et comporte environ 17 millions d’habitants, sur un territoire dont la superficie est celle de l’Union européenne.

Riche en ressources minières, industrialisé, mais avec dans sa partie sud une place importante de l’agriculture de subsistance et de l’élevage, il est également caractérisé par des revenus faibles. C’est le seul district dont toutes les régions un taux de pauvreté supérieur à la moyenne nationale (13,6 %), même après correction des écarts de prix, et celui ou le taux maximum est atteint (44 % dans la République de Touva).

La ville de Kemerovo est située dans le sud de la Sibérie, à 800 kilomètres au nord, à vol d’oiseau, du point de convergence des frontières de la Russie, de la Chine, de la Mongolie et du Kazakhstan.

L’oblast a 2,6 millions d’habitants. Il s’agit d’une région industrielle et urbaine, qui s’est développée autour du bassin houiller du Kouzbass, avec une production, dans des mines à ciel ouvert, de 255 millions de tonnes en 2018. La production de houille et sa part dans la production russe sont en accroissement (174 millions de tonnes et environ 30 % de la production russe en 2006, 60 % de la production russe en 2018). Les réserves sont estimées à 725 milliards de tonnes.

L’économie de l’oblast s’est effondrée dans les années 1990, pour connaitre ensuite une reprise alimentée par la réorganisation des mines et de l’industrie métallurgique et chimique. L’oblast reste caractérisé par des problèmes sociaux et sanitaires importants, et perd des habitants. L’espérance de vie à la naissance y était en 2017 de 69,3 années, pour 70,5 pour le district fédéral de Sibérie et 72,7 pour la Fédération de Russie. Il est dans les 3 premières régions russes pour ce qui concerne la prévalence de l’infection par le VIH (1,7 % de la population).

Les problèmes environnementaux sont également majeurs, et la région a connu en 2019 des chutes de neige noire, liée à la pollution par les poussières de charbon.

Kemerovo a également été le lieu d’une crise politique provoquée par l’incendie du centre commercial Zimniaïa Vichnia – la Cerise d'hiver, pour en traduire le nom –, le 25 mars 2018, qui a fait au moins 64 morts, dont 41 enfants. Les témoignages ont montré l'incurie des autorités, avec un système d’alarme neutralisé et des issues de secours verrouillées, et plus largement des « violations flagrantes » des règles de construction et de sécurité, sur fond de corruption. Le président de la Fédération, Vladimir Poutine s'est alors rendu à Kemerovo, où il avait dénoncé « une négligence criminelle »

Ce drame a profondément choqué la Russie, et l’échange qui suit a fusé sur les réseaux sociaux :

Alors que des milliers de personnes prenaient à partie les autorités, un manifestant lance « On traite le peuple comme du bétail ! » à un vice-gouverneur de Kemerovo, Sergueï Tsiviliov, qui réplique « Eh bien, jeune homme, vous cherchez à surfer sur le malheur des gens ? ». L’homme répond alors avoir perdu ses trois enfants âgés de 2 à 7 ans dans la tragédie, ainsi que sa femme et sa sœur.

Sergueï Tsiviliov s'est plus tard agenouillé par la suite devant la foule pour demander pardon

Son interlocuteur a ensuite mis en ligne sur un réseau social la déclaration suivante : « C'est ce régime, dans lequel chaque fonctionnaire rêve de voler autant que Poutine, qui est coupable. On va vite chercher un bouc émissaire et tenter de passer à autre chose. Poutine va punir personnellement les coupables, mais la négligence, la corruption, l'alcoolisme et l'abrutissement de la population ne s'arrêteront pas ».

Le gouverneur, Aman Touleïev a démissionné le 1er avril. Sergueï Tsiviliov a été nommé gouverneur par intérim le 1er avril 2018, puis élu gouverneur à plein titre le 9 septembre 2019. Les autorités se sont alors efforcées de montrer leur bonne volonté et leur compassion vis-à-vis des victimes, non seulement en versant les réparations financières qui avaient été promises, mais également en mobilisant au plus haut niveau le système de soins pour celles qui avaient survécu, et en leur assurant un accompagnement social.

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