Je reviens sur la question des tests et leur place en Russie dans la lutte contre le Covid-19. Je l’avais déjà abordée dans ce billet. Je voudrais en parler de façon plus organisée, bien qu'il soit difficile de croire pouvoir accéder à une information fiable et complète de Paris, même avec l’internet. Essayons cependant. L’occasion m’en est fournie par la publication, il y quelques jours, de la 5ième version des Recommandations méthodologiques temporaires du ministère de la santé [russe] sur la prévention, le diagnostic et le traitement de la nouvelle infection par le coronavirus (Covid-19). Une page et demi est consacrée à la question des tests.
Avant, cependant, quelques chiffres. Ma source est ici, dans la Wikipédia en langue anglaise. Elle est actualisée régulièrement.
Au 13 avril 2020, 1 359 993 tests du Covid-19 ont été réalisés en Russie [*], ainsi maintenant en deuxième position mondiale pour cet indicateur, derrière les États-Unis (2 833 051 tests), et maintenant devant l’Allemagne (1 317 887, mais cette statistique date du 8 avril) et l’Italie (1 010 193 tests au 12 avril). La France était à 333 807 tests le 7 avril. La Russie est montée assez rapidement à 100 000 tests par jour, comme le montre le graphique suivant (fait à partir du site Our world in data).
[* 3 723 807 tests au 1er mai 2020, plus de deux millions de tests donc en 15 jours, source ici, je n'actualise pas les autres chiffres de l'article, les graphiques l'ont été à la date du 26 avril]
Agrandissement : Illustration 1
Ces chiffres ne prennent pas en compte les écarts de population. Affinons, donc, en prenant le nombre de tests pour 1000 habitants. Cela donne le graphique suivant. L’indicateur permet de comparer des pays de taille différentes, sans biais de présentation, j’ai fait le choix de nations européennes, plutôt d’Europe centrale et du Nord, pour faire la transition avec la Russie (qui est aussi en Europe, ne l'oublions pas).
Agrandissement : Illustration 2
On voit que la Russie est dans une position intermédiaire, avec 8,2 tests pour 1000 habitants, au-dessus de la France (5,1 tests), mais très en deçà de la Norvège (22,8 tests) ou l’Allemagne (15,9 tests, mais au 5 avril). Sa progression est rapide, mais moins que l’Estonie et la Lituanie, ou encore la Norvège, au moment où elle a accéléré son programme de test.
Au passage, une interrogation, sur le rang de la France : je comprends que nous soyons en retard sur l’Allemagne, nous sommes en temps de guerre, et notre histoire commune a montré que nous avions dans ces périodes de ce coté du Rhin plus souvent comme chefs des Gamelin et des Weygand que des Clemenceau. Mais la Lituanie (13,5 tests pour 1000 habitants) ? Mais l’Estonie (22,6 tests pour 1000 habitants) ? Ce qu'elles peuvent faire nous serait-il aussi hors de portée ?
Soulignons aussi que la présentation de ce graphique comporte un biais favorable aux petits pays. À son démarrage, l’épidémie est forcément localisée dans un ou plusieurs foyers. C’est la que l’on doit tester, pas sur tout le territoire. Dans un pays peu étendu, ou de quelques millions d’habitants, cela peut revenir au même.
Venons-en aux recommandations du ministère russe de la santé. Celles-ci prévoient que le test doit obligatoirement être réalisé dans les 6 situations suivantes :
1/ Retour dans la Fédération de Russie avec des signes de maladie respiratoire ;
2/ Contact avec un malade atteint du Covid-19 ;
3/ Diagnostic de pneumonie extra-hospitalière ;
4/ Personnes de plus de soixante ans consultant pour des symptômes de maladie respiratoire ;
5/ Personnels médicaux susceptibles de contracter le Covid-19 sur leur lieu de travail, une fois par semaine, et dès l’apparition de symptômes ;
6/ Résidents dans des établissements d’hébergement collectifs, quelle que soit leur statut juridique (internats des établissements d’enseignement, écoles militaires, maisons de retraites et établissements médico-sociaux, établissements pénitentiaires), dès l’apparition de symptômes.
Les recommandations développent ensuite les conditions de réalisation de ces tests. Il s’agit de tests PCR. Les prélèvements sont faits par frottis sur le nasopharynx et l’oropharinx. À la date de la publication de cette version des recommandations, 10 tests, dont la liste leur est annexée, avaient été enregistrés. En cas de test positif, le responsable du laboratoire doit informer immédiatement Rospotrebnadzor, l’agence fédérale russe en charge du suivi épidémiologique.
Ces recommandations, ou plutôt ces obligations, puisqu’elles sont présentées comme telles, vont pour partie plus loin que ce que nous mêmes appliquons ou appliquerons en France. Sont-elles ou vont-elles être effectivement mises en œuvre en Russie ?
Le nombre global de tests effectués semble le montrer, et c’est l’indicateur à suivre. Ce que l’on peut apprendre par la presse des foyers locaux aussi : j’ai fait avant-hier un billet sur la maison de retraite de Viazma, où un cas de Covid-19 avait été dépisté chez un des employés de l’établissement. Le surlendemain, 306 personnes avaient été testées, et 86, malheureusement, étaient, sous réserve de confirmation, positives. Résultat consternant, qui présage du pire, mais, au moins, on n’a pas attendu pour faire les tests.
Autre exemple, le service fédéral des établissements de privation de liberté (FSIN), l'administration pénitentiaire, a annoncé le 9 avril la mise en place dans ses directions territoriales de 49 laboratoires. Dans les régions sans laboratoire, des accords auraient été conclus avec Rospotrebnadzor. À Moscou, où deux de ces laboratoires fonctionnent, 1 400 tests y auraient été effectués. Disons que l'on commence à savoir comment le 6/ va être appliqué pour les prévenus et les détenus, et pour le personnel pénitentiaire.
S'il y a une dynamique, elle devrait se poursuivre : la Russie peut prendre appui sur une expérience et un savoir-faire épidémiologique, sur des capacités industrielles permettant de produire les réactifs et les tests − elle a, non sans difficultés ni échecs, toujours cherché à maintenir une production locale de médicaments, et je crois savoir que c'est dans le bio-médical que ses résultats sont les plus tangibles.
Elle peut aussi s'appuyer sur des ressources organisationnelles qui nous manquent : elle les trouvera auprès de Rospotrebnadzor, j’en ai parlé dans ce billet, mais aussi dans son organisation fédérale. Ce sont les 85 sujets de la Fédération qui sont compétents sur les question de santé. On parle souvent à leur propos de régions, mais ils sont plus proches, au moins par la taille de leur population, de nos gros départements. L’oblast de Smolensk, par exemple, où se trouve la maison de retraite de Viazma, a un peu plus d’un million d’habitants. Je crois que cette taille est la bonne pour organiser une réponse à une crise sanitaire, et en tout cas plus proche du terrain, qu’il faut connaitre pour agir.
Si nous n’avions pas fusionné trois agences régionales de santé à l’occasion de la création de la région Grand-Est, il se pourrait que la réponse de celle d’Alsace à la flambée épidémique à Mulhouse aurait été meilleure. Paradoxalement, à part la ville de Moscou (12,6 millions d’habitants), l’oblast de Moscou (7,6 millions) et Saint-Pétersbourg (5,6 millions), il n’y a peu de macro-régions en Russie, et c’est peut-être un gage d’opérationnalité.
C'est aussi à cette aune que je lis les bons résultats de l'Estonie, au regard du nombre de tests réalisés, et j'espère de la réponse à la pandémie : une organisation et une culture épidémiologique héritée de l'Union soviétique et de la Russie du XIXe et partagée avec la Russie moderne, mais aussi une taille, 1,3 million d'habitants qui correspond de mon point de vue à la bonne maille pour s'organiser.
Recommandations méthodologiques temporaires du ministère de la santé russe.