J’ai indiqué à plusieurs reprises dans ce blog, notamment dans ce billet, qu’il n’y avait pas d’éducation sexuelle dans l’enseignement secondaire russe. C’est vrai, et cela ne l’est pas complètement. Revenons un peu plus sur le sujet. L’occasion m’en est donnée par le licenciement récent d’Olga Chtchegoleva, professeure de biologie à l’école attachée au conservatoire Rimski-Korsakov de Saint-Pétersbourg. Il lui avait été demandé de choisir entre son emploi et la tenue de son blog, consacré à l’éducation à la sexualité.
Commençons par le cadre juridique, international et fédéral, qui s’applique en Russie. Elle a ratifié en 2014 la convention relative aux droits de l’enfant — une de ces normes internationales dont on nous explique maintenant qu’elles ne doivent pas primer sur droit national — qui prévoit l’introduction de l’éducation sexuelle à l’école. Cela n’a pas eu de suite, la vice-première ministre qui suit les questions de santé, Tatiana Golikova, y serait favorable, le ministère de l’éducation et la déléguée aux droits des enfants, Anna Kouznetsova, qui vient de quitter ses fonctions, y étaient hostiles.
D’autres obstacles s’y opposent, notamment une loi de 2012 sur la protection des enfants contre les informations nuisibles à leur santé et à leur développement, qui interdit de décrire des actes de nature sexuelle à des enfants de moins de 16 ans. Sa modification serait sans doute nécessaire, elle parait hors de portée, compte tenu du durcissement idéologique et du poids pris par les lobbies traditionalistes et réactionnaires.
Dans la toute fin de la période soviétique, très tardivement donc, une présentation du système de reproduction humain a cependant été introduite dans les programmes scolaires russes, et y figure toujours. Elle a lieu en 8ième classe, l’équivalent de notre troisième. Olga Chtchegoleva le faisait dans son cours de biologie, et en fait la présentation suivante dans un interview donné à Takie dela :
« Dans ces cours, [j’essayais] d’apporter aux enfants le plus possible d’information, en restant dans le cadre de la loi et du programme. Il y a très peu d’enseignants qui le fassent. La plupart des professeurs de biologie n'abordent pas le sujet du système reproductif. Ils ont peur de parler, ils ont honte parce que les enfants rient […]. La huitième classe est le pic de la puberté et, bien sûr, les enfants sont intéressés. Lorsqu’ils comprennent qu'on leur parle de la bonne façon, ils arrêtent de rire ».
Ce ton devait être le bon, et ce qu'elle a fait dans ses cours, n’a pas été critiquée. Le blog qu’elle a ouvert ensuite l’a en revanche été. Interdit aux moins de 18 ans, et destiné aux adultes, parents, enseignants et éducateurs, il avait pour but de les aider à apprendre à parler aux adolescents d’éducation sexuelle, à pallier le manque d’information qui les mettent en danger, et à combattre les croyances fausses ou fantasmatiques sur la contraception, du jus de citron au bicarbonate de soude.
Des parents se sont plaints, en mettant notamment en avant une photographie d’elle en soutien-gorge qui illustrait un billet sur le cancer du sein. Sommée de choisir entre son poste et son blog, Olga Chtchegoleva a finalement signé une lettre de démission.
On croit devoir se résigner à cette chape de plomb et d’hypocrisie qui pèse sur la Russie, et dont les victimes sont ses enfants et ses adolescents. La situation d’Olga Chtchegoleva a été évoquée dans plusieurs médias, et a également été dénoncée en séance plénière devant la Douma d’État par le président du parti libéral-démocrate de Russie, Vladimir Jirinovski [Le parti libéral-libéral démocrate de Russie est une des composantes de « l’opposition systémique », c’est-à-dire soutenant le pouvoir]. Il l’a fait en ces termes :
« À Saint-Pétersbourg, une enseignante de biologie a été licenciée pour avoir tenu un blog éducatif, "Не стыдно" [ce n’est pas honteux]. Elle abordait des questions que les enseignants doivent aborder. Nous ne voulons pas introduire dans les écoles une matière en relation avec la famille, les relations, le papa, la maman, et tout le reste. Et l’enseignante qui a décidé de l’expliquer elle-même a du démissionner. C’est une sorte d’obscurantisme, le Moyen-âge. Je demande au comité de l’éducation [de la Douma] de la rétablir dans ses fonctions ».
Le président de la Douma a pris acte de cette demande, et a saisi la présidente de la commission pour enquête. On sait que le renvoi en commission peut être une forme d’enterrement, l’échange permet en tout cas de comprendre que malgré ce que j'appelle une chape de plomb, la question de l’éducation sexuelle reste débattue.
Quant à Olga Chtchegoleva, il semble qu’elle ait du renoncer à son blog, devenu la cible de plaintes et de commentaires haineux. On peut toujours lire ses publications dans un autre projet, collectif, ici, et également là. Surtout, un fil documentaire lui a été consacré, le voici, en russe.
Elle y raconte une enfance et une adolescence marquée par la violence, et on comprend une des raisons de son engagement. Elle explique, dans des termes choisis et mesurés – la forme du #MeToo russe –, avoir été violée à 15 ans, et ne l’avoir alors dit à personne. Et elle reproche à sa mère une éducation qui a abouti à ce silence. Tout les parents devraient entendre cela, les États aussi.
Takie dela (13 octobre 2021) - Fontanka (13 octobre 2021) - Douma TV (14 octobre 2021) - Novaïa gazeta (14 octobre 2021)