Je reviens sur la question des obstacles en train d’être mis aux interruptions volontaires de grossesse en Russie. Je l’ai déjà abordée à plusieurs reprises, dans un récent billet faisant état des portions prises lors du dernier congrès social de l’Église orthodoxe russe, mais aussi dans de plus anciens, celui-ci, celui-là et cet autre. Je compte aussi traduire cet article publié en novembre 2005 par Viktoria Sakevitch dans Demoscope Weekly, il décrit magistralement les conséquences de l’interdiction de l’avortement en 1936 en URSS par Staline.
Mais d'abord, regardons les statistiques sur le recours aux IVG en Russie. J'avais inséré en 2016 le graphique qui suit dans l'article de Wikipédia Avortement en Russie. J'y ai ajouté quatre années, jusqu'en 2019, les lecteurs de Mediapart ont la primeur de son actualisation.
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Division par plus 6, donc, entre 1989 (4,2 millions d’IVG) et 2019 (621 000). La baisse avait commencé sous le régime soviétique, peu ou prou avec l’arrivée au pouvoir de Leonid Brejnev. Le niveau le plus élevé a été atteint en 1965, avec 5,4 millions d’IVG, la hausse qui avait précédé faisait suite à la légalisation de l’avortement, en 1955, après 19 ans d’interdiction, marqués par la multiplication des avortements clandestins et la montée de la mortalité maternelle.
Ces deux périodes de baisse, la soviétique et la post-soviétique, la seconde plus encore, sont bien sûr principalement liées à la diffusion de l’information sur la contraception et à sa maitrise par les femmes. On peut aussi penser que les hommes russes y ont contribué. Notons qu'elles se sont produites malgré l’absence d’éducation à la santé et à la sexualité dans les établissements d’enseignement secondaire russe.
Par son ampleur, parce qu’elle a aussi changé la vie des femmes, celle-ci est un fait social majeur, et cela montre que la libération de la parole, dans la sphère privée ou dans la sphère publique, l’éducation ou l’auto-éducation aux choix, l’ouverture à soi-même et aux autres, sont ce qui transforme et améliore nos conditions de vie.
Pourquoi alors vouloir dissuader, contraindre, faire peur, humilier les femmes, comme le font les différentes mesures proposées en Russie par les plus réactionnaires et plus traditionalistes, et que les autorités russes ont en partie reprises, semblent prêtes à reprendre pour d’autres ?
Pourquoi ? Sans doute à cause ce jeu auquel s’adonnent si facilement les pouvoirs temporels et spirituels, leurs thuriféraires, leurs pervers compagnons de route et faiseurs d'emprise. Monter ou importer des débats idéologiques. Se gonfler de mots et de valeurs intolérantes et méchantes. Méconnaitre la réalité, se refuser à chercher à la comprendre. Interdire et réprimer, c'est devenu un pli de la pensée. Et au passage s’en prendre plus particulièrement aux femmes et à leur liberté, parce qu’ils ne les aiment pas libres et disposant d’elles-mêmes, de leur esprit et de leur corps.
Rosstat - Indicateurs socio-économiques de la Fédération de Russie de 1991 à 2019