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Billet de blog 28 juillet 2022

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« Quand le tonnerre gronde, nous ne pensons pas à la pluie, mais à la guerre »

Un témoignage sur la façon dont se fait l’accueil des réfugiés venant d’Ukraine à Moscou, et sur ce que ressentent ceux qui les aident. Compassion, culpabilité. Révolte, aussi, ne serait-ce qu’en écrivant le mot dont l’emploi est puni en Russie, celui de guerre. Et Solidarité et action.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dans mon précédent billet, j’ai écrit qu’une partie de la société civile russe s’est mobilisée pour le bon accueil des réfugiés venant d’Ukraine, en faisant parfois de cette solidarité l’expression de son hostilité à la guerre. 

Je traduis ici un témoignage le montrant. Je l’ai trouvé sur Facebook, il y a été posté, avec de nombreux autres, par un responsable d’une NKO, ces associations, organisations non commerciales pour traduire ce sigle, qui portent une grande partie de l’action sociale en Russie, et dont j’ai parlé à plusieurs reprises dans ce blog, la dernière fois dans cet autre billet.

C’est aussi une personne dont la parole, sincère et engagée, compte, et dont les publications sur ce réseau social étaient avant qu’il ne soit bloqué en Russie très suivies. Elles le sont encore, celle qui suit a été elle-aussi appréciée et commentée des centaines ou des milliers de fois. 

« Depuis le début de la guerre, toutes mes pensées vont vers l'Ukraine. Le VPN de mon téléphone l’a deviné, d’une manière ou d'une autre, et il a choisi que mon Internet passerait par l'Ukraine. Quand je regarde les prévisions météo le matin, c’est le temps à Kiev qu’il me montre ». 

« Il y a 4 mois, j'ai commencé intervenir comme bénévole auprès de réfugiés ukrainiens. Au début, j’échangeais simplement avec les réfugiés et leur donnait de l’argent. Puis j'ai pensé que si nous étions plusieurs, ensemble nous pourrions aider plus de réfugiés. Aujourd'hui, nous sommes 140 intervenants bénévoles. De 6 familles, nous sommes passés à 600. Cela représente près de 2000 personnes »

« Pendant ces 4 mois, après mon travail, j'ai fait toute la nuit, jusqu’au matin, ce qui est devenu une routine. Je trie les nouveaux messages de réfugiés qui s'adressent à nous. Je relis comment les intervenants ont rempli les questionnaires. Je regarde les demandes de soutien humanitaire et les mets en relation avec des personnes prêtes à acheter quelque chose pour eux. Cette activité me prend environ 10 heures par jour, elle pourrait paraître monotone : je copie les informations reçues sur WhatsApp, je les colle dans un tableau. Je copie ensuite depuis le tableau, et je colle dans Telegram ».

« Mais je parcours aussi environ 20 récits de guerre chaque jour. J’apprends ce qui est arrivé à des êtres humains depuis le 24 février. Les bombardements, la fuite dans les sous-sols, la peur, le verre brisé, la mort de l’un et la blessure de l’autre. Ma vie est maintenant pour moitié dans ces histoires ». 

« Aujourd'hui à Moscou, il y a eu un orage terrible, et du tonnerre. J’étais dans la rue et parlais au téléphone avec un réfugié. J'ai pensé qu’il entendrait ce foutu grondement et qu’il aurait peur. Tout comme les autres réfugiés, dans la rue, avaient probablement aussi peur ».

« Une nuit, j’ai lu ce qu’avait raconté une femme venue en Russie depuis l'Ukraine via la Pologne. Elle a vécu en Pologne 3 mois. Elle n’a pas se fixer, on lui a fourni un logement pendant 3 mois, puis elle a dû payer son loyer, elle n'avait pas d'argent. Sa maison en Ukraine a complètement brûlé, Elle n’a nulle part où retourner. Elle a décidé d'aller en Russie, car elle a de la famille ici ». 

« C'est loin d'être le seul cas de réfugié arrivé en Russie via l'Europe, car les problèmes de logement et de travail ne sont pas résolus là-bas. Il ne faut pas penser que tous les réfugiés qui sont en Russie, et que la meilleure chose à faire pour eux est de les envoyer à l’Ouest. Toutes ces histoires sont différentes ». 

« À propos du tonnerre. Cette femme racontait qu'en Pologne, elle vivait dans une maison avec d’autres personnes. Un jour, il y a eu un orage et du tonnerre. Elle a bondi, s’est précipité vers le propriétaire, a crié que la guerre était là, elle ne pouvait pas se calmer ». 

« Beaucoup a déjà été écrit sur le stress post-traumatique chez ces personnes confrontées à la guerre. Pas de ballons, car ils éclatent, et ce bruit rappelle celui de la guerre. Et il existe de nombreuses autres choses qui déclenchent la panique »

« Mais on n’a pas encore fait une description médicale de personnes qui se sentent coupables de cette guerre, devant chaque victime, et ne pensent qu’à cela. Nous n’en touchons pas le bout, la guerre continue, et nous en souffrons tous les jours. Nous éclatons en sanglots au milieu des conversations, quelque qu’en soit le sujet. Nous cherchons à nous convaincre à voix haute que la culpabilité et la responsabilité sont différentes, que nous n'avons pas de le pouvoir de changer le cours des choses, d'une manière ou d'une autre... Mais quand le tonnerre gronde dans le ciel de Moscou, et nous ne pensons pas à la pluie, mais à la GUERRE ».

Compassion, culpabilité. Révolte, aussi, ne serait-ce qu’en écrivant le mot dont l’emploi est puni en Russie, celui de guerre. Mais je retiens de cela d’abord la solidarité et l’action : « Aujourd'hui, nous sommes 140 intervenants bénévoles à aider les familles de réfugiés. De 6 familles, nous sommes passés à 600. Cela représente près de 2000 personnes ».

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.