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La 23ème édition de la Mousson d'été a fait fleurir deux noms, venus de l'imagination des auteurs : liberté et identité. Pour définir le premier, il faudrait connaître jusqu'où peut-on aller trop loin dans sa confrontation avec autrui ? Et pour le second doit-on ouvrir son passeport ?
Ce sentiment de liberté, de qui et de quoi dépend-il ? Il y a bien sûr comme le dit la philosophie : une liberté définie par la possibilité de choisir. Mais quand le choix est impossible (l'Âne de Buridan), la liberté se cherche d'autres actions dans une réalisation volontaire (être pour ou contre). En fin de compte l'essentiel serait de pouvoir se reconnaître et comme disait ce cher Descartes " changer ses désirs plutôt que l'ordre du monde". Ce qui fait que le second nom alimenterait le premier et vice-versa.
Mais assez de philosophie ! parlons théâtre. Celui de la Mousson d’été se veut résolument contemporain et pour le coup peut clamer en toute liberté, haut et fort, son identité dans le temps présent. La liberté de choisir nous mène du consentement mutuel à la protestation subjective d'une œuvre théâtrale, qui en amont a déjà été consentie ou protestée par le comité de lecture* présidé par Michel Didym, créateur du festival en 1995.
Cette réflexion a fait que nous avons choisi de vous donner, dans l’ordre du programme, la synthèse de ce que nous avons vu du 25 au 27 août 2017, avec consentement ou protestation. Pour revenir à l'Âne de Buridan, nous avons, dans cette Mousson d'été, plus ou moins assouvi notre faim de textes inédits. Car si la Mousson d'été bon an, mal an, peut parfois se tromper dans ses choix, elle reste absolument indispensable pour tous les amateurs de bon théâtre. Nous ne prétendons pas changer l'ordre du monde, mais nos désirs peuvent changer, si des formes nouvelles et talentueuses sont proposées.
Cette année nous avons lu, vu et entendu les textes de sept auteurs : Lola Blasco, Pauline Peyrade, Marie Henry, Rasmus Lindberg, Roland Schimmelpfennig, et Christophe Pellet. Avant de vous parler de leur pièce, il est important de féliciter le talent des comédiennes et comédiens de la Mousson, et de les citer tous : Quentin Baillot, Camille Garcia, Éric Berger, Marie Levy, Nelson-Rafaell Madel, Julie Pilod, Grégoire Lagrange, Maud Le Grévellec, Catherine Matisse, Glenn Marausse, Julien Masson, Charlie Nelson, Johanna Nizard, Christophe Brault, Bruno Ricci, Ariane von Berendt. Voici donc le récit de trois jours passés au festival de la Mousson d'été, raconté par notre faim et soif de théâtre.
Vendredi 25 août 2017
"Canicule" de Lola Blasco, l'intime d'un évangile apocryphe
lecture dirigée par Laurent Vacher
C'est un jour de canicule. Ils sont six frères et sœurs. Le troisième est interné dans un hôpital psychiatrique à la suite d'une "indisposition". Les deux sœurs sont jumelles, mais elles n'ont rien à voir ensemble, l'une est plus grande que l'autre, ce qui lui donne une silhouette plus fine. Elles gardent la porte de la chambre du troisième, comme un cerbère bienveillant, dans ce qui semble « déjà-vu", connectées par un champ de forces de ce qui pourrait être déjà vécu. Dans la salle d'attente l’Aîné, Celui du milieu, et le Plus Petit de la fratrie sont assis sur un canapé trop étroit, qui fait dire à l'Aîné : "on s'en serait mieux sortis avec Franco !". Ces six larrons contemporains cherchent le pourquoi de la vie, dans le Golgotha de leur quotidien, face à la dépersonnalisation de la croyance dans le divin. À l'horizon dans la vision du Troisième, un calvaire, une occasion de chute. Pourtant à l’épilogue brille le soleil des femmes, mais en avons-nous la certitude ? En tant que lecteur, la pièce nous avait mis à satiété. Comment se fait-il que Laurent Vacher, dans cette lecture dirigée, n'assouvit pas notre soif ?
Poings de Pauline Peyrade, une relation sexuelle, aux quatre points cardinaux
lecture dirigée par Véronique Bellegarde
Poing est un combat en cinq rounds de l'est à l'ouest, après une séparation amoureuse. Une femme en état de choc nous parle de sa rencontre avec un homme, de sa servitude volontaire dans une relation sexuelle et perverse qui cherche le sens de son histoire. Déjà vu, déjà entendu pourrait-on dire. Seule la mise en espace de Véronique Bellegarde nous a gardé en éveil. Nous sommes donc rester sur notre faim. À signaler tout de même une curiosité. Si vous lisez la pièce, l'écriture façon partition musicale, tout en colonne et annotations peut vous intéresser.
Pink Boys and old ladies de Marie Henry, qui porte la robe ?
lecture dirigée par Clément Thirion
Marie Henry nous donne un sujet fort sur la liberté d'être. Peut-on porter des robes, quand on est un petit garçon ? Pourquoi cela serait-il transgressif ? Le petit garçon est élevé en petit garçon, mais lui veut porter des robes. Il faudrait être dans la norme. Mais quelle normalité ? Jusqu'à trépaner son fils ? Pourtant l'enfant ne veut rien d'autre qu'être ce qu'il est… avec une robe. La grand-mère, elle, compte les crocodiles. Nous avons déjà faim de mise en scène pour ce texte, car l'appétit vient en mangeant. Alors vite à table !
Samedi 26 août 2017
Habiter le temps de Rasmus Lindberg
lecture dirigée par Michel Didym
Avec la pièce Habiter le temps le public a été unanime. Les vivats des festivaliers ont foisonné d'enthousiasme et ont longuement vibré dans la salle. Cela a été un grand moment de théâtre. L'histoire se passe dans un lieu unique. Une maison familiale. Trois époques (1913, 1968, 2014) se retrouvent dans le présent de la narration. À la source les grands-parents ont vécu un drame qui influe sur leur fils et leurs petits-enfants. Le passé, le présent et l'avenir dialoguent trois histoires d'un héritage, qui se mélange dans une commune destinée. Les fantômes frôlent parfois les vivants et les corps deviennent un langage parallèle. Peu à peu, une polyphonie transgénérationnelle libère les secrets de cet famille, et nous révèle la vérité de son histoire. C'est passionnant de bout en bout. Et pour ne rien gâter Michel Didym a sublimé les comédiens, tous épatants, dans cette lecture dirigée. Cette pièce est à dévoré jusqu'à la satiété.
Solstice d’hiver de Roland Schimmelpfennig
lecture dirigée par Ramin Gray
À la veille de Noël Corinna arrive chez Albert et Bettina, avec un inconnu, Rudolph, qu'elle a rencontré par hasard dans le train. La mauvaise humeur du couple n'a vraiment pas besoin de cette visite importune. Les belles manières de Rudolph impressionnent Konrad, un ami de la famille, artiste bourré de complexes. La soirée dérape très vite. Dans une ivresse de vin et d’antianxiolytiques le personnage d'Albert laisse toutes libertés à plusieurs fins ouvertes… Ce texte est troublant. Les allusions sur l’Allemagne nazie ne se déguisent pas, ni ne cachent l'idéologie de Rudolph et de Konrad. Solstice d’hiver est une pièce profonde et magistrale qui interroge l'humanité sur les choix et les actions qu'elle fait, ou ne fait pas, quand une menace se dresse devant elle. Que cette pièce passe vite à la mise scène, car notre faim de ce théâtre est inextinguible.
Dimanche 27 août 2017
Aphrodisia de Christophe Pellet
lecture dirigé par l'auteur
Aphrodisia de Christophe Pellet a sa définition : élégie contemporaine, en quête d’une union perdue. Par l’objet symbolique d'une cravate patriarcale, l'auteur convoque les mythes antique, dans l'open space du tout fonctionnel. L'être et le désir viendraient sauver de la dissolution l'individu broyer par le monde du travail. Mais ce chemin mythique nous perd dans les méandres trop parasitées d’un secret d'écriture que l'auteur garde pour lui, hélas ! Nous ne sommes pas resté à table. Nous n'avons pas trouvé l'appétit.
Tenir de Nathalie Papin
lecture dirigé par Leyla Claire Rabih
Ils sont trois : Celui qui reste, L’Autre et Le Type. La maison de Celui qui reste s'effondre pan de mur par pan de mur. L'histoire dit : Il y aura aussi un oiseau, un goura bleu. L'autre se fiche bien de tout cela. Il va, vient, disparaît. Dans cette dévastation Celui qui reste trouve une plume de goura. Est-ce une promesse de vie ? Un être d'une violence extrême arrive, c'est le Type. Dans violence il y a viol. Alors Celui qui reste veut partir de l’autre côté, avec L’Autre. Mais de l’autre côté, qui a-t-il ? Tenir parle de notre monde. De la difficulté face à celui qui l'empêche de tourner (le Type) et de celui qui pour être libre disparaît (l'Autre). Seul Celui qui reste identifie le possible. C'est une fable magnifique ! Allons à table, et régalons-nous de cette histoire.
Nous sommes toujours un peu tristes de quitter ce merveilleux festival, où les auteurs sont rois. Mais leur couronne est fragile, il faut donc les lire et aller voir leur pièce ; car tous ne vivent pas de leur plume. Pour en dire davantage, nous savons que la plupart des auteurs cités sur ce blog ne sont pas connus du grand public. Donc allez au théâtre, passez chez les libraires ; et rencontrez ces conteurs contemporains qui nous parlent si bien de notre humanité.
*Lire le billet sur ce sujet https://blogs.mediapart.fr/dashiell-donello/blog/300817/le-comite-de-lecture-de-la-mousson-d-ete-joue-la-transparence-de-sa-structure
La Mousson d'été
L’Abbaye des Prémontrés
9, rue Saint-Martin
54700 – Pont-à-Mousson
Spectacles (sur réservation 03 83 81 20 22)