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Billet de blog 25 août 2022

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Deux questions vives pour l'école primaire

De nombreuses évaluations nationales et internationales permettent d’établir un diagnostic peu satisfaisant sur le niveau scolaire des élèves de l’école primaire. L’école primaire ne va pas bien et c’est l’ensemble du système éducatif qui en est fragilisé.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Deux questions vives pour l’école primaire

De nombreuses évaluations nationales et internationales permettent d’établir un diagnostic peu satisfaisant sur le niveau scolaire des élèves de l’école primaire. L’école primaire ne va pas bien et c’est l’ensemble du système éducatif qui en est fragilisé.

En mathématiques et en sciences, une note ministérielle de 2020 indique qu’en CM1 « Les résultats français se situent sous la moyenne, tant des pays de l’Union européenne que des pays de l’OCDE. Les élèves français obtiennent un score moyen de 485 en mathématiques et de 488 en sciences. Ces scores ne sont pas statistiquement différents de ceux observés quatre ans plus tôt. Ils demeurent significativement inférieurs aux points centraux des deux échelles TIMSS fixés à 500 en 1995… Lorsque l’on ordonne tous les élèves des 24 pays européens participants en fonction de leur score et que l’on découpe cet ensemble en quatre groupes de même taille (quartiles), les élèves français se trouvent surreprésentés dans le quartile le plus faible : au lieu des 25 % attendus, ils sont 45 % en mathématiques et 41 % en sciences »[1]. Une étude de 2019 sur les performances en calcul des élèves de CM2 indique que les résultats sont « en baisse quelle que soit l’origine sociale des élèves » [2].

En compréhension de l’écrit, une note ministérielle de 2017 montre que « Les résultats français se situent sous la moyenne, tant des pays de l’Union européenne que des pays de l’OCDE : avec un score de 511, la France se situe environ 30 points de score en deçà de la moyenne de ces pays »[3]. Cette note rappelle que, pourtant, à cette étape de la scolarité, « la lecture continue à faire l’objet d’un apprentissage systématique : phrases ; textes scolaires ; textes informatifs et documentaires ; textes littéraires. L’élève apprend à comprendre en reformulant et en répondant à des questions. Il appuie sa compréhension sur les éléments du texte (sujet, personnages, événements), et sur une analyse précise (titre, organisation, ponctuation, mots de liaison, pronoms, temps verbaux, champs lexicaux) »[4].

Disons tout de suite que le niveau préoccupant de ces résultats ne signifie en rien que c’était mieux avant. L’inspection générale de l’éducation nationale[5] le rappelle en 2005, « La maîtrise de la langue et particulièrement celle de la lecture ont toujours été la grande affaire de l'école. Ne nous laissons pas abuser par la nostalgie jusqu'à imaginer que les élèves de l'école primaire de la Troisième République aient tous été de grands lecteurs : les instructions officielles du 20 septembre 1938 justifient la nécessité de poursuivre un exercice pratique de la lecture au cours supérieur : "Des constatations faites dans de nombreuses écoles il résulte que la lecture courante n'est pas encore complètement acquise à dix ans par la moyenne des élèves.[…] Dans la deuxième année du cours supérieur, et même dans la première année des écoles primaires supérieures, on voit encore des élèves qui n'ont pas cette perception rapide et globale des mots et des phrases qui, seule, permet une lecture courante intelligente"[6]. Observons que la « perception globale des mots » est ici un indice de bonne acquisition de la lecture donné en 1938 sous le ministre Jean Zay et n’est pas une invention « pédagogiste » post 1968. Et la lecture « courante et intelligente » de 1938, c’est ce qu’on appelle aujourd’hui dans notre jargon contemporain la « fluence » …  Il faut donc avoir un peu de recul historique pour ne pas glorifier à tort un passé qui est rarement celui qu’on imagine. A l’affirmation de 1938 : « la lecture courante n’est pas encore complètement acquise à dix ans par la moyenne des élèves », répond en effet cette observation de 2021 : « Seul un peu plus de la moitié des élèves entrant en sixième atteint les attendus en fluence de lecture de fin de CM2 »[7].

Mais ce n’est pas parce que ce n’était pas mieux avant que la situation n’est pas pour autant inquiétante. Il faut d’ailleurs ajouter à ce tableau peu glorieux une spécificité qui n’est pas à l’honneur de notre pays, à savoir l’importance des inégalités de réussite liées à l’origine sociale, et ce dès le début de la scolarité. En 2022, « dès l’entrée en CP on observe des scores plus élevés pour les élèves issus d’une famille favorisée ou très favorisée, ceux qui entrent dans le secteur privé, ceux dont au moins l’un des parents dispose d’un diplôme du supérieur, ceux dont les deux parents sont nés en France, ou qui vivent dans un foyer où il y a au moins trente livres. Leurs scores moyens excédent systématiquement le score moyen de 250, que ce soit en français ou en mathématiques. À l’opposé, les résultats sont nettement moins bons pour les élèves qui entrent dans une école appartenant à l’éducation prioritaire ou pour les élèves d’une famille défavorisée, approchée par la PCS des parents, leur diplôme ou le nombre de livres à la maison. On retrouve ces constats en CM2. Mais les écarts observés ont tendance à se creuser en mathématiques et à se stabiliser, voire se réduire en français »[8].

L’engagement professionnel des enseignants du premier degré n’est absolument pas en cause. Pour avoir été au contact de très nombreux enseignants du primaire tout au long de notre carrière, nous connaissons leur engagement et nous savons qu’ils sont les premiers à vouloir la réussite de tous les élèves et à être désolés de ne pouvoir y parvenir de façon satisfaisante. 

Les causes de cette situation sont évidemment anciennes et sont en quelque sorte le bilan de plusieurs décennies de gouvernements et de majorités successifs. Ce qui appelle à une certaine retenue, voire modestie, tous ceux, dont nous sommes (équipes ministérielles mais aussi partenaires sociaux), qui ont exercé une responsabilité ces trente dernières années. La responsabilité est collective. Au vrai, notre pays a l’école primaire qu’il a voulue et donc qu’il mérite. Nous n’avons jamais (sauf depuis 2013) donné la priorité budgétaire à l’école primaire. Notre pays marche sur la tête : nous dépensons plus pour la fin de la scolarité, 35% de plus que les autres pays européens pour le lycée, et moins pour le début, 8% de moins que les autres pour l’école primaire. Nous avons ainsi des effectifs plus chargés qu’ailleurs en maternelle et en élémentaire et nos enseignants y sont scandaleusement sous-payés. On peut difficilement faire plus mal. Il faudra bien se résoudre à donner enfin les moyens nécessaires à l’école primaire et mieux payer ses enseignants. Mais cela ne saurait suffire. Sans prétendre épuiser un sujet aussi vaste, nous pensons qu’il faudra répondre à deux questions certes difficiles mais qui nous semblent déterminantes si l’on veut que les résultats s’améliorent : le temps scolaire et son utilisation d’une part, la formation initiale et continue des professeurs des écoles d’autre part.

  1. Le temps scolaire et son utilisation

Les horaires d’enseignement en Français et Mathématiques sont-ils suffisants ?

Les écoliers français manquent-ils de temps pour apprendre le français et les mathématiques, est-ce pour cette raison que les résultats sont décevants ? La réponse est évidemment négative. Il faut en effet observer, comme nous l’avons rappelé dans notre dernier livre, « que la France est la championne d’Europe pour l’enseignement de ce qu’il est convenu de nommer les « fondamentaux »[9] : 73 % du temps de la scolarité obligatoire est consacré chez nous aux disciplines dites « fondamentales » contre 50 % en Europe » [10]. La France est en outre le pays qui consacre le plus de temps à la lecture et à l’écriture en primaire : 37 % du temps contre 25 % en Espagne ou en Finlande.

Si l’horaire consacré aux « fondamentaux » est important en France, il convient de relever des différences notables dans les temps d’enseignement selon les écoles, ce qui pose soit dit en passant les questions de l’égalité des droits sur le territoire et de l’encadrement du premier degré. Un récent rapport de l’inspection générale de l’éducation nationale sur l’enseignement au cours moyen fait le constat que le temps consacré aux fondamentaux empiète le plus souvent sur les autres enseignements, mais de façon inégale selon les écoles[11] : « Les inspecteurs généraux ont constaté des écarts fréquents entre les temps d’enseignement prescrits pour les différentes disciplines enseignées au cours moyen et les durées effectives consacrées à ces disciplines en classe, soit au travers des emplois du temps, soit en consultant les cahiers des élèves. Les disciplines pour lesquelles les durées sont particulièrement inférieures au temps prescrit sont : les sciences et la technologie, l’EPS, les arts plastiques et, dans une moindre mesure, les langues vivantes » [12].

Les inspecteurs généraux ont pu observer les différences entre les horaires officiels et ceux observés dans les classes. Si l’horaire attendu est inférieur aux horaires officiels, c’est qu’il faut décompter le temps des récréations (30 mn par jour) pris, en principe, sur l’horaire de toutes les disciplines[13]. Or, les inspecteurs généraux observent que, « En français et en mathématiques, les horaires médians constatés correspondent exactement aux horaires officiels. En moyenne, les choses se passent donc comme si les temps de récréations étaient pris uniquement sur les disciplines autres que le français et les mathématiques »[14].

Au total, les écoliers français ont davantage d’heures de « fondamentaux » qu’ailleurs en Europe, mais ils ont en conséquence moins de temps pour les sciences, les langues, l’art… Augmenter le temps consacré à ces « fondamentaux » comme certains le demandent n’a donc aucun sens. En la matière, il ne faut donc pas davantage mais il faut, à coup sûr, beaucoup mieux.

Le temps scolaire de l’école primaire est-il organisé dans l’intérêt des élèves ?

Historiquement, l'aménagement du temps scolaire a toujours été, comme le rappelle avec une certaine ironie l’inspection générale, « une démarche d'articulation du fonctionnement du système scolaire avec le fonctionnement du système socio-économique. Les considérations professionnelles (travail et congés) sont dominantes et l'intérêt des enfants est, la plupart du temps, considéré comme inclus dans celui des adultes et des modes de vie »[15].

Tandis que les écoliers français vont au maximum 144 jours en classe (souvent moins en réalité avec les jours fériés), les jeunes espagnols sont scolarisés 175 jours, les allemands 188 jours, les anglais 195 jours, les italiens 200 jours, etc., répartis sur des semaines de 5 jours, parfois de 6 jours. Notre pays a fait le choix de concentrer le temps scolaire sur une courte semaine de 4 longues journées de 6h. En France, les adultes se débarrassent du temps scolaire à l’école primaire en le compactant sur le plus petit nombre de journées possible. Une folie qu’aucun pays au monde a songé à imiter. Pour mettre en place la semaine de 4 jours en 2008, le monde des adultes « s’est entendu sur le monde des enfants »[16], comme a pu le dire à l’Assemblée nationale en 2010 le directeur général de l’enseignement scolaire (DGESCO) de l’époque[17].

La semaine de 4 jours a été rendue possible en 1990 dans le seul intérêt des adultes

Mais l’histoire de la semaine de quatre jours ne commence pas en 2008. C’est le décret du 6 septembre 1990 modifié par celui du 22 avril 1991 qui a laissé pour la première fois aux écoles la possibilité de transférer les cours du samedi au mercredi et le droit d’instaurer la semaine de quatre jours en récupérant le temps manquant sur 12 jours de vacances pour garder le volume horaire annuel réglementaire. Dans le même temps, la semaine scolaire des enfants passe de 27 à 26 heures pour l’ensemble des écoles primaires. En 2000, ces nouveaux rythmes scolaires sont adoptés dans environ un quart des écoles primaires[18]. Le rapport de l’Inspection Générale de l’Éducation Nationale note que « parmi l’ensemble des écoles qui ont adopté la semaine de quatre jours, 88,5% d’entre elles bornent leur expérimentation à la simple suppression de la classe du samedi matin et à sa récupération par allongement de l’année scolaire. » Cela signifie donc que dans près de 90 % des cas, l’aménagement de la semaine n’a pas été accompagné de la moindre réflexion sur le temps ainsi libéré : « on s’est contenté de libérer les élèves sans prévoir leur accueil dans des structures post ou périscolaires. Il apparaît encore plus clairement que la réflexion n’a pas mieux été engagée sur la réorganisation du temps scolaire, sur une nouvelle répartition hebdomadaire, trimestrielle ou annuelle des apprentissages ». Autrement dit, la nouvelle organisation du temps de la semaine et de l’année scolaire rendue possible en 1990 n’a été que très rarement pensée et organisée pédagogiquement. 

Le même rapport de 2000 pointe quelques avantages de la semaine de quatre jours qui concernent, notons-le, essentiellement les adultes : une vie familiale facilitée, « en libérant les samedis et en diminuant les périodes de congés scolaires, elle répond à une demande sociale forte et favorise la relation entre parents et enfants » ; un dispositif simple à mettre en œuvre pour un moindre coût, « elle est par ailleurs simple à mettre en œuvre et son coût, aussi bien pour l’État que pour les collectivités territoriales, apparaît généralement moins élevé que celui d’autres aménagements. »

Des inconvénients bien réels sont relevés et ceux-là concernent les élèves. « Une répartition problématique des disciplines dans les emplois du temps (certaines risquant de disparaître comme la découverte du monde et les enseignements artistiques), une fatigue et un problème de concentration des élèves, une réduction du temps effectif d’enseignement du fait d’un absentéisme important durant les jours récupérés, …. une organisation pédagogique inchangée de la part des maîtres : ils proposent en quatre jours ce qu’ils proposaient préalablement en quatre jours et demi, ne revoient que très rarement leurs programmations trimestrielles et annuelles, quitte à exprimer ensuite le sentiment de ne pouvoir assumer l’ensemble du programme (!) ; l’abandon de toute autre réflexion sur les rythmes scolaires, particulièrement sur le rythme hebdomadaire et l’emploi du temps ….  Le renoncement à la récupération des 12 jours apparaît parfois comme une sorte de revendication, tant de la part des familles que des enseignants : cela réglerait, disent-ils, la question très sensible du manque d’harmonisation actuel entre le premier et le second degré, celle de l’absentéisme des élèves durant les jours récupérés, celle du raccourcissement des congés intermédiaires et du déséquilibre de l’année scolaire ! La question des effets sur les apprentissages scolaires est, quant à elle, totalement évincée… »  L’inspection générale ajoute néanmoins que « Les réserves les plus vives sur la poursuite de l’expérience de la semaine de quatre jours sont exprimées par les enseignants exerçant en cours préparatoire et/ou en réseau d’éducation prioritaire, c’est à dire auprès des enfants les plus fragiles. Les conséquences éducatives du samedi libéré sont très diverses : si cela semble ne poser aucun problème en zone rurale ou semi-rurale, certains élèves apparaissent trop souvent livrés à eux-mêmes le samedi matin dans les zones urbaines sensibles. Enfin l’absentéisme durant le temps scolaire pris sur les congés est très souvent préoccupant »

Finalement, face aux inconvénients et dysfonctionnements repérés dans la semaine de quatre jours, l’Inspection générale préconise de ne plus développer ce type d’organisation du temps scolaire. Sans envisager un retour à la semaine de cinq jours dans l’ensemble des écoles de France, abandon « qui provoquerait un très fort mouvement de protestation notamment de la part des enseignants en bénéficiant actuellement ».

En 2002, un autre rapport indique que, « face aux incertitudes actuelles, aux dysfonctionnements évidents dans bien des écoles fonctionnant sur quatre jours, étant donné la quasi impossibilité de revenir en arrière lorsqu’elle a été organisée et en l’absence d’études fiables sur les effets de cette organisation du temps scolaire sur les résultats et les comportements des élèves, il serait donc prudent de ne pas l’étendre et d’en stopper le développement »[19].

En 2009, un an après la généralisation de la semaine de 4 jours, qui entraîne au passage une nouvelle réduction du temps scolaire pour tous les élèves du primaire qui passe de 26 h à 24 h par semaine (les 2h d’aide personnalisée qui s’ajoutent aux 24 h ne concernent que les élèves en difficulté), l’inspection générale confirme ses observations précédentes et parle clair : « Les conséquences du resserrement du temps scolaire se font sentir : sur la fatigue des élèves et des enseignants : les constats effectués dès le premier trimestre scolaire ont été confirmés à l’issue de l’année, conduisant parfois à la suspension de l’aide personnalisée les semaines précédant les vacances scolaires. Sur la réduction du temps de dialogue avec les parents : le samedi matin est supprimé, les enseignants, pris par l’aide personnalisée ou par une autre activité, ne sont plus disponibles à la sortie de l’école le soir.  Sur le temps de concertation des enseignants : des doutes sont exprimés par l’encadrement sur la qualité (voire la réalité) des concertations qui ont lieu le vendredi soir à la fin d’une semaine chargée. Enfin, et surtout, sur le temps consacré aux enseignements : au terme de l’année scolaire, il se confirme que, de l’avis général des enseignants, le temps manque pour faire tout le programme d’enseignement, ce qui était d’ailleurs prévisible. L’année scolaire n’est plus que de 144 jours théoriques (quatre jours pendant 36 semaines), et 140 jours en fait, alors que la moyenne européenne est de 185 jours (Regards sur l’éducation - OCDE 2008). L’évolution souhaitable de la situation n’est pas dans le retour au samedi matin, que personne ne revendique, mais dans la scolarisation du mercredi matin, en vue d’alléger la journée de travail scolaire dans une semaine rééquilibrée »[20].

De 2010 à 2012, plusieurs textes ont à leur tour dénoncé la semaine de 4 jours.

Le 19 janvier 2010, l’Académie nationale de médecine a publié un rapport qui affirme sur des bases scientifiques que la semaine de 4 jours est néfaste, qu’elle fatigue les enfants. Luc Chatel, alors ministre de l’éducation nationale, a réuni une conférence nationale sur les rythmes scolaires de juin à décembre 2010, conférence qui a rendu un rapport sans ambigüité en janvier 2011 : « La journée est trop longue et fatigante, à tous niveaux […]. La semaine de quatre jours à l’école primaire est inadaptée et fait l’unanimité dans la description de ses inconvénients […] ». Parallèlement, la mission d’information parlementaire sur les rythmes de vie scolaire présidée par la députée Michèle Tabarot rend des conclusions identiques le 8 décembre 2010 : « S’agissant de la semaine de quatre jours, elle devrait être […] interdite. […] cette mesure […] enverrait un signal fort de prise en compte de l’intérêt de l’enfant. Car la semaine de quatre jours a été choisie par les seuls adultes alors qu’elle est préjudiciable aux apprentissages […] ». Et avant cela, en octobre 2010, le réseau des villes éducatrices et la Ligue de l’enseignement, avec une quarantaine d'organisations d'enseignants, de parents, d'associations d’éducation populaire, péri-éducatives, de mouvements pédagogiques, de lycéens et d'étudiants, avaient lancé l’Appel de Bobigny. Ce dernier avait demandé que l’on prenne « en compte les préconisations de l'Académie de médecine à propos de l'école primaire. Il faut donc alléger la journée et adapter le travail scolaire aux temps favorables aux apprentissages […] ». Enfin, l’Institut Montaigne écrit en avril 2010 qu’il faut « revenir immédiatement à une semaine de cinq jours de travail, incluant le mercredi ». Tant d’unanimité était rassurante, presque touchante, l’intérêt des enfants semblait enfin premier.

En résumé, de 2000 à 2012, on entend un chœur unanime fustiger la semaine de quatre jours et s’apitoyer sur le triste sort fait aux enfants de ce pays, mais on retrouve la même unanimité ou presque pour surtout ne rien changer parce que cette semaine de quatre jours arrange en définitive de nombreux adultes. Un bel exemple d’hypocrisie collective. Ce contexte explique en grande partie pourquoi le retour en 2013 aux cinq jours de classe a été difficile. Finalement, au-delà des prises de position théoriques sur l’intérêt des élèves, la semaine de quatre jours n’a jamais foncièrement contrarié la majorité des citoyens de notre pays, enseignants, élus, parents. Une exception mondiale. Et l’historien de l’éducation Antoine Prost qui publiait le 28 mai 2008 dans le journal Le Monde une tribune intitulée « Un Munich pédagogique » voyait juste quand il dénonçait à la fois « une catastrophe » mais aussi un « lâche consentement des adultes », ajoutant que cette semaine de quatre jours risquait d’être « irréversible ». La facilité avec laquelle les adultes se sont précipités sur la possibilité d’un retour à la semaine de quatre jours en 2017 lui a donné raison, provisoirement espérons-nous.

Quand la semaine de 4,5 jours a été mise en place en 2013-2014, certains ont avancé que le nouveau rythme scolaire fatiguait les enfants. Cette « fake news » reprise par tous les médias en 2013-2014 avait été démentie, par anticipation en quelque sorte en 2010 par l’académie de médecine qui fustigeait alors la semaine de 4 jours, source de fatigue pour les enfants, et même depuis 2000 : « on commence tout juste à admettre que la fatigue scolaire est également une question liée aussi au domaine extra-scolaire. Par exemple, la semaine de 4 jours rompt le synchronisme des rythmes chronobiologiques ; surtout, elle offre plus d'occasions de regarder la télévision, de se coucher tard et de pratiquer plus d'activités motrices intensives lors du temps libre. Ce n'est pas parce que la fatigue se manifeste lors de tâches scolaires qu'elle est provoquée principalement par le travail scolaire. Les loisirs peuvent également être générateurs de fatigue »[21].

S’agissant des parents, une étude récente du ministère de l’éducation nationale a montré que les parents les plus favorables à la semaine de 4 jours sont les parents des classes moyennes et favorisées et que, pour la semaine de 4 jours et demi, « les opinions positives l’emportent quand la personne de référence du ménage est ouvrier non qualifié (57 %) ou inactif (65 %) »[22]. Les parents pauvres savent bien qu’ils n’ont que l’école pour émanciper leurs enfants, eux qui n’ont pas les moyens de leur payer le conservatoire, les leçons de tennis ou de poney club le mercredi et encore moins des cours particuliers payants et déductibles fiscalement. Mais les milieux populaires ne disposent pas des relais politiques et médiatiques pour peser sur les politiques publiques et ne jouissent donc pas de moyens pour orienter ces politiques vers l’intérêt général.

Il faudra bien que notre pays se ressaisisse et qu’il revienne à un temps scolaire qui corresponde mieux aux rythmes d’apprentissage des enfants. Nous ne pensons pas que la situation soit irréversible. Certes, le retour de la semaine de 5 jours ne s’est pas effectuée sans difficultés en 2013 et des erreurs ont sans doute été commises dans les débuts de la mise en œuvre, mais en 2017 la situation était stabilisée. Être revenu, sans concertation aucune (et pour faire plaisir à qui ?), à la semaine de 4 jours en 2017 est une déscolarisation institutionnelle de fait, qui nuit à tous les enfants et qui pénalise gravement les plus démunis d’entre eux. Comment espérer améliorer les résultats scolaires avec aussi peu de journées de classe ? Comment améliorer durablement les résultats des enfants des REP en dédoublant certes leurs effectifs mais en leur supprimant dans le même temps une matinée de classe profitable aux apprentissages ?

2. La formation des enseignants du premier degré 

Rappelons ce propos plus que jamais d’actualité de Jules Simon : « C’est le Maître qui est l’Ecole. Avoir de bons maîtres ! Le reste… Il n’y a pas de reste. Vous êtes chargés de la lourde responsabilité de l’enseignement populaire en France ? Votre devoir est tout tracé ; vous n’en avez qu’un, un seul, mais redoutable : choisir des hommes ! Le jour où vous serez sûrs que votre recrutement est bon… soyez tranquilles sur vous-mêmes et sur l’avenir du pays ; et si ce jour-là on peut entasser en un monceau les règlements, les circulaires, les comptes-rendus de quinzaine et de trimestre, qu’on en fasse un feu de joie ! »[23].

Ce que dit l’Inspection générale de l’Éducation nationale en 2013 des difficultés rencontrées par les enseignants pour mettre en œuvre les programmes de l’école primaire de 2008 est à méditer : « La qualité disparate de la mise en œuvre des programmes s’explique par le niveau de maîtrise très hétérogène des outils conceptuels et didactiques par les professeurs des écoles, pour mettre en œuvre les programmes tels qu’ils existent et pour donner à leur enseignement toute l’efficacité attendue. La mission d’inspection générale relève des améliorations en mathématiques ou en sciences particulièrement. Mais dans tous les autres domaines, la logique d’activités prend le plus souvent le pas sur une logique d’apprentissage. Le déficit de formation continue autour des programmes, et plus largement en matière de didactique des disciplines, est patent. Quantitativement, les services déconcentrés ont souvent accordé une place de choix à la maîtrise de la langue et depuis peu aux mathématiques, mais des disciplines comme l’histoire, la géographie ou l’instruction civique et morale ont été totalement négligées. Qualitativement, c’est l’ensemble des disciplines qui ne bénéficient pas d’un accompagnement suffisant »[24].

Plusieurs explications possibles aux difficultés rencontrées par les professeurs des écoles.

La polyvalence, identité de l’enseignant du premier degré, nécessite une solide formation et le temps manque pour cela

Le professeur des écoles est un enseignant polyvalent qui a en responsabilité l’enseignement de l’ensemble des activités et disciplines au programme de l’école maternelle et de l’école élémentaire. La notion de polyvalence s’est à juste titre élargie à celle de polyvalence d’équipe dans des écoles à plusieurs classes où des échanges de service peuvent permettre des spécialisations partielles.

L’inspecteur général Philippe Claus dit toute la difficulté de cette polyvalence en tant qu’identité de l’enseignant du premier degré : « La polyvalence, identité de l’instituteur, puis du professeur des écoles est aujourd’hui interrogée. Le nombre de disciplines qui sont ou devraient être enseignées par le même maître n’a cessé de s’élargir en même temps que s’alourdissent les exigences de mise en œuvre. En 1997, l’inspection générale définit ainsi la polyvalence : « la maîtrise par un maître unique des procédures d’enseignement et des techniques d’évaluation telle qu’elle permette, conformément aux programmes de l’école primaire, la construction cohérente des compétences disciplinaires et transversales attendues des élèves »[25]. On comprendra aisément la tension qu’une telle ambition peut créer entre une identité professionnelle, encore prégnante, et les appels de plus en plus nombreux à des apports externes à la classe, par le biais de décloisonnements ou d’intervenants extérieurs, qui tendent à réduire le champ de la polyvalence »[26].

Le rapport Filatre de 2018 énonce clairement l’importance fondamentale de cette polyvalence : « la polyvalence essentielle à l’école est celle de l’élève, qui doit acquérir des connaissances et des compétences dans des matières différentes. La polyvalence de l’enseignant en découle. Elle est son aptitude à enseigner ces matières à l’élève et ne nécessite pas pour autant qu’il soit un spécialiste de chaque discipline. Il faut en revanche qu’il ait les connaissances de base lui permettant de maîtriser ces disciplines, d’en comprendre les enjeux, leur contribution aux grandes questions d’aujourd’hui, et leur transversalité, et qu’il en connaisse les mécanismes d’apprentissage et leur didactique. […] Elle doit être abordée par une problématisation des enjeux et par l’appropriation des gestes professionnels adaptés, La compréhension de la manière dont ces disciplines se combinent et s’enrichissent mutuellement, contribuent à la compréhension du monde et des êtres humains, et préparent à la vie en société »[27].

Pour préparer à cette polyvalence, il faut d’abord du temps en formation initiale. Et, depuis la création des IUFM en 1990, ce temps fait défaut.

Rappelons que la formation des enseignants du premier degré avait été portée à quatre années en 1986 : deux années de DEUG préparé à l’Université et, après le concours de recrutement, deux années de formation professionnelle en Ecole normale en tant que fonctionnaire stagiaire. Directeur de l’école normale des Ardennes de 1986 à 1990, nous avons eu à mettre en place un plan de formation initiale de 1890 heures sur deux ans qui comprenait 1404 heures de formation théorique et pratique et 486 heures de stage : trois stages en observation de trois semaines chacun, un stage terminal de huit semaines et un stage d’observation en collège d’une semaine. A ces 486 heures s’ajoutaient deux stages effectués pendant les congés scolaires : un stage en centre de loisirs ou centre culturel et un stage en « milieu de travail ». Nous avons pu comparer ce volume horaire avec celui d’un INSPE en 2020. En trente ans, de 1990 à 2020, le volume horaire de la formation générale théorique et pratique des enseignants du premier degré a diminué d’environ 40 %, et celui des stages dans les écoles de 30 %[28]. Et en 2020, il n’y plus de stage en collège, de stage en entreprise, ni de stage en centre de loisirs ou culturel. Malgré l’engagement des formateurs des IUFM, des ESPE et aujourd’hui des INSPE, le temps a manqué et manque encore pour une formation suffisante des professeurs des écoles. En 1990, en devenant professeurs des écoles, ce qui a constitué certes une revalorisation salariale substantielle, les instituteurs ont perdu non seulement une année de formation professionnelle mais ont perdu aussi, en n’ayant plus qu’une seule année sous statut de stagiaire après le concours en fin de licence, une année de salaire, et donc d’ancienneté pour leur carrière. Et, au passage, ils ont aussi perdu le logement de fonction ou l’indemnité de logement, ce qui n'a pas amélioré leur situation financière.

La réforme de 2013 qui a placé le concours en fin de M1 a certes rétabli une année de formation en tant que fonctionnaire stagiaire en M2 (année supprimée comme on s’en souvient de 2009 à 2012, c’est le moment où notre pays a cru utile de faire des économies sur la formation de ses enseignants !) mais elle n’a pas permis de rétablir deux véritables années de formation professionnelle. Comme le dit le rapport Filatre en 2018, « D’autres évolutions sont nécessaires parmi lesquelles, à n’en pas douter, la cohérence entre la place du concours de recrutement des professeurs des écoles et la temporalité du cursus de formation. En effet, une grande partie des préconisations présentées dans ce rapport répondent aux difficultés liées au positionnement d’un concours au milieu du cursus de formation master. Les membres du comité national de suivi considèrent qu’il est urgent de se pencher sur cette question et une très grande majorité d’entre eux plaide pour qu’il soit placé en amont de la formation »[29]. On fait exactement le contraire aujourd’hui en plaçant le concours en fin de M2. Un retour désolant de dix ans en arrière.

S’agissant des moyens consacrés à la formation continue, si on compare la situation que nous avons connue dans les Ardennes en 1989-1990 et la proposition de formation continue de l’académie de Reims en 2017-2018, la comparaison n’est pas non plus en faveur de la période actuelle. Pour rester sur l’exemple particulier ardennais, on peut considérer qu’en trente ans, l’offre de formation continue des professeurs des écoles de ce département a diminué de plus de 50 %[30].

Des difficultés pour la formation à la polyvalence connues depuis 30 ans mais sans réel effet sur les politiques conduites

Là encore, les rapports de l’inspection générale de l’éducation nationale fournissent de précieux éléments. Prenons cet extrait d’un rapport de février 2003 : « La seule année qui suit le concours est insuffisante pour construire les compétences requises. Si son statut paraît toutefois assez clair pour la formation des professeurs du second degré, l’organisation des études pour les professeurs des écoles donne, pour ce qui la concerne, des signaux incohérents : en effet, tandis que l’essentiel est de construire la polyvalence qui est la référence identitaire principale de ces maîtres, la formation de deuxième année s’appuie sur un substrat trop hétérogène : les stagiaires qui ne sont pas passés par l’IUFM n’ont en effet presque pas abordé l’année précédente cette formation à la polyvalence ;  [le ministère] tolère trop de variations, selon les choix des IUFM, dans la durée de formation des disciplines majeures ou optionnelles (de 96 à 190 heures pour le français, de 48 à 140 heures pour les mathématiques) »[31]. Encore une fois, les formateurs des instituts de formation, successivement IUFM, ESPE et INSPE ne sont pas en cause. Ceux des IUFM n’ont-ils pas longtemps effectué leur métier de formateur sans véritable référentiel des compétences à acquérir en formation ? C’est ce que pointe un rapport de 2003 : « L’Ecole française, école de la Nation et de la République par excellence, a été façonnée par ses instituteurs et ses professeurs. C’est à leurs compétences et à leur engagement qu’elle doit la plus large part de ses réussites … Tous, après une année de préparation aux épreuves des concours, ne reçoivent qu’une année de formation professionnelle. … Les IUFM accomplissent un travail ardu. En effet, en l’absence de véritables référentiels métiers et référentiels de compétences, des oppositions fortes mais peu fructueuses s’expriment toujours »[32]. L’existence d’un référentiel des compétences n’est d’ailleurs pas toujours une garantie. En 2018, le rapport du comité de suivi des ESPE qui doivent, en principe prendre appui sur le référentiel de 2013, écrit en effet que « la formation initiale tout comme la formation continuée doivent mieux en compte le référentiel de compétences professionnelles. Ceci n’a été que partiellement mis en œuvre dans les cursus de formation Master MEEF 1 er degré et s’est opéré avec plus de sérieux lors du renouvellement des accréditations … Enfin, il nous a semblé que la question de la polyvalence devait davantage structurer le modèle de formation des professeurs des écoles … »[33].

Une insuffisante formation pédagogique

L’expert de l’OCDE Éric Charbonnier résume bien la situation atypique de notre pays : « Les enseignants en France sont hautement qualifiés selon les standards internationaux : 70 % possèdent un diplôme de master ou plus, ce qui est largement au-dessus de la moyenne OCDE (45 %). Mais ils sont aussi moins bien préparés sur le volet pédagogique du métier que leurs voisins : seuls 66 % des enseignants actuellement en poste au collège (contre 79 % dans l’OCDE) ont, par exemple, étudié à la fois le contenu disciplinaire et la pédagogie des matières qu’ils enseignent, et ont eu la possibilité de les mettre en pratique face aux élèves »[34]. Un bon niveau universitaire est certes indispensable. Le problème c’est que la France est restée à un mode de formation de ses enseignants atypique en Europe et que la formation professionnelle de ses enseignants vient après cette formation universitaire et non en même temps : « La France a toutefois fait le choix d’organiser la formation de ses maîtres non pas sur le mode « simultané », comme c’est le cas de la plupart des pays européens, mais «successif », c’est-à-dire en distinguant dans la durée, le temps d’une formation de type académique, confiée pour une part majoritaire à l’université, et le temps d’une formation plus étroitement professionnelle. Il convient de remarquer que, à l’intérieur d’un modèle successif, la France se singularise par un déséquilibre entre les deux parties de la séquence quinquennale. Aux trois, voire quatre, années de formation universitaire s’ajoute l’année pleine consacrée à la préparation du concours de recrutement. Une année seulement est consacrée à l’acquisition de la quasi-totalité des compétences avec lesquelles, en d’autres pays, les étudiants commencent à se familiariser quatre ans auparavant … Cette structure porte en elle l’idée critiquable selon laquelle les apprentissages disciplinaires se suffisent presque à eux-mêmes pour devenir professeur, et que la nécessaire sélection doit se faire quasi exclusivement sur eux »[35]. Pour la formation à enseigner à l’école maternelle, la situation est tout aussi inquiétante. Là encore, on le sait depuis longtemps : « La formation à l’exercice du métier en maternelle est insuffisante. La prise en charge d’une classe de Cycle I requiert des compétences particulières dont l’acquisition ne peut se faire sans une formation »[36].

Face à un constat d’une insuffisance notoire dans la formation des enseignants du premier degré, nous avons aujourd’hui deux possibilités.

Première possibilité, parce qu’une véritable formation coûte plus cher, on laisse en l’état une situation qui ne pourra qu’empirer puisqu’on vient de revenir, comme en 2009, à un concours en fin de master 2, source d’économies pour l’Etat. Faute de formation initiale digne de ce nom, les enseignants du premier degré continueront à être empêchés de décider pleinement de leurs choix pédagogiques et ne seront pas en capacité de concevoir leur enseignement dans la totalité des disciplines et au profit d’élèves différents. Ils deviendront alors progressivement de simples exécutants rendus destinataires d’une série de vadémécums, de guides, de méthodes clés en mains, qu’ils n’auront plus qu’à appliquer scrupuleusement[37]. On continuera à faire des économies sur leur formation, mais les maîtres du premier degré seront devenus de simples répétiteurs. Ce n’est évidemment pas comme cela que les résultats des élèves s’amélioreront.

Deuxième possibilité, nous affichons clairement que nous ne pouvons nous satisfaire de la formation actuelle des enseignants du premier degré qui ne permet pas une véritable formation à la polyvalence, alors même que c’est le fondement du métier dans le premier degré, et il faut en tirer toutes les conséquences. C’est-à-dire d’abord accepter, répétons-le, de dépenser plus en revalorisant la fonction de façon très sensible et en donnant davantage de moyens à l’école primaire. Ensuite, prévoir une préprofessionnalisation en amont du concours et des aides pour les étudiants des milieux populaires souhaitant dès leur entrée à l’université se présenter au concours. Et programmer enfin, après un concours situé pourquoi pas en fin de licence, une formation initiale de deux années pour les professeurs des écoles stagiaires conduisant bien entendu au master, comme leurs collègues du second degré. Placer le concours plus tôt, ce n’est donc pas renoncer à un niveau master 2 pour les professeurs des écoles, ce n’est pas « abaisser » la fonction de professeur des écoles, c’est au contraire reconnaître la spécificité de ce métier et donner aux maîtres du premier degré une solide formation à la fois universitaire et professionnelle. Cela nécessitera bien entendu une préparation et nous faisons nôtres les remarques du rapport Ronzeau/Saint-Girons : « Si certains arguments présentés par les tenants d’une différenciation entre concours de recrutement des PE et des PLC apparaissent pertinents, les rapporteurs estiment que sa mise œuvre immédiate serait prématurée en l’état actuel de la professionnalisation des parcours de licence. Elle présente par ailleurs des risques importants d’incompréhension de la part de beaucoup d’interlocuteurs, même s’il s’agit seulement d’anticiper le niveau de recrutement des PE par rapport aux PLC et non de revenir sur la mastérisation de leur formation. Ils estiment néanmoins que cette option doit rester ouverte car elle offre la possibilité de mieux prendre en compte la réalité des différents métiers de l’éducation, y compris dans les spécificités qui sont susceptibles de les différencier et de justifier par là même la possibilité pour les candidats d’entrer dans le dispositif de recrutement à différents niveaux du cursus selon le corps auquel ils appartiennent »[38].

Cela fait plus de trente ans que notre pays a pris des décisions pour le moins inopportunes sur ces deux points essentiels, le temps scolaire à l’école primaire et la formation des enseignants du premier degré. Il faudrait qu’on nous explique comment on peut améliorer les résultats des élèves de l’école primaire en leur infligeant un temps scolaire absurde et néfaste, et en formant insuffisamment leurs enseignants. N’y a-t-il pas là une vraie matière à réflexion pour l’ensemble de notre société ? Et, pourquoi pas, une réflexion à conduire dans le cadre du Conseil national de la refondation mis en place par le Président de la République ? Chiche !

Jean-Paul Delahaye, Inspecteur général de l’éducation nationale honoraire 

[1] Ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports, DEPP, TIMSS 2019, Évaluation internationale des élèves de CM1 en mathématiques et en sciences : les résultats de la France toujours en retrait, Note d’information n° 20.46, décembre 2020.

[2] Ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports, DEPP, L’évolution des performances en calcul des élèves de CM2 à trente ans d’intervalle (1987-2017), Note d’information n° 19.08, mars 2019.

[3] Ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports, DEPP, PIRLS 2016 : Evaluation internationale des élèves de CM1 en compréhension de l’écrit, évolution des performances sur quinze ans, Note d’information n° 17.24, décembre 2017.

[4] Ibid.

[5] Nous allons utiliser dans cette note de nombreux rapports de l’inspection générale de l’éducation nationale. Ayant eu l’honneur de faire partie de ce grand corps de l’Etat, nous avons la faiblesse de penser que les rapports de l’inspection générale de l’éducation nationale (IGEN) et de l’inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche (IGAENR), fusionnées dans l’inspection générale de l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR) en 2019, sont le produit d’une observation de terrain objective. La lecture de ces rapports sur une quarantaine d’années permet de constater qu’ils ont été rédigés de manière à informer les ministres de gouvernements politiquement différents, sans rien leur cacher des qualités et des défauts du système éducatif. Cela est particulièrement vrai s’agissant de la situation de notre école primaire : pour en avoir une analyse précise, il suffit de lire ou de relire ces rapports. Tout y est dit.

[6] Inspection générale de l’éducation nationale Groupe de l'enseignement primaire et Observatoire national de la lecture, L’apprentissage de la lecture à l’école primaire, Rapport n° 2005-123, novembre 2005 (La citation des instructions de 1938 est tirée de A. Chervel, L'enseignement du français à l'école primaire, Textes officiels, tome 2, p. 372).

[7] Andreu S. et al, Évaluations de début de sixième en 2021 : des performances en légère hausse en français et des progrès plus marqués en éducation prioritaire renforcé (REP+) y compris en mathématiques", Note d'Information n° 22.04, DEPP, 2022, https://doi.org/10.48464/ni-22-04

[8] Fleury D., Le Cam M., Vourc'h R., 2022, Panel des élèves entrés en CP en 2011 - Performances à l’école élémentaire selon le niveau scolaire initial et l’origine sociale, Note d’Information, n° 22.14, DEPP, 2022. https://doi.org/10.48464/ni-22-14

[9] Commission européenne, Recommended Annual Instruction Time in Full-time Compulsory Éducation in Europe, 2017/2018.

[10] Jean-Paul Delahaye, L’école n’est pas faite pour les pauvres, pour une école républicaine et fraternelle, Editions Le Bord de l’Eau, 2022.

[11] Rappel : enseignement des sciences et de la technologie (1 h 50 min / semaine), enseignements artistiques (1 h 50 min / semaine), EPS (2 h 45 min / semaine), langues vivantes (1 h20 min / semaine),

[12] Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche L'enseignement en cours moyen : état des lieux et besoins, Coord Olivier Hunault, Yves Poncelet, Avril 2022.

[13] Le temps scolaire n’est pas le temps d’enseignement. La durée effective de classe est amputée par le temps des récréations, soit en principe 2 heures par semaine soit 15mn par demi-journée. Or, avec la fatigue engendrée par la longue journée de 6 heures, le temps des récréations a tendance à dépasser l’horaire officiel. L’inspection générale le relève en 2022 qui constate « des écarts considérables des durées hebdomadaires des récréations dans les emplois du temps élèves, allant d’une heure à plus de trois heures, selon les écoles, induisant des inégalités de traitement des élèves importantes... Sur l’ensemble de la semaine, la durée des récréations est dans 79 % des classes comprise entre 2 h et 2 h 40 minutes ». Les inspecteurs généraux font remarquer que la différence entre la durée minimale de récréation et la durée maximale représente sur une année scolaire de 36 semaines 81 heures d’enseignement en moins, soit le temps dédié à l’enseignement de l’histoire, de la géographie et de l’enseignement moral et civique (EMC) sur une année, ou encore l’équivalent d’un peu plus de trois semaines et demie d’enseignement » (Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche L'enseignement en cours moyen : état des lieux et besoins, Coord Olivier Hunault, Yves Poncelet, Avril 2022).

[14] Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche L'enseignement en cours moyen : état des lieux et besoins, Coord Olivier Hunault, Yves Poncelet, Avril 2022.

[15] Inspection générale de l’éducation nationale, L’aménagement des rythmes scolaires à l’école primaire, rapporteurs Yves Bottin, Michel Delaunay, Sonia Henrich, janvier2000.

[16] Assemblée nationale, Rapport d’information déposé par la commission des affaires culturelles et de l’éducation en conclusion des travaux de de la mission sur les rythmes scolaires et présenté par Xavier Breton et Yves Durand, enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 8 décembre 2010. Audition de Jean-Michel Blanquer, 18 mai 2010. http://www.assemblee-nationale.fr/13/rap-info/i3028.asp

[17] Pour davantage de précisions, voir ce que nous en disons sur notre blog  La réforme des rythmes scolaires 2012-2017. Première partie. | Le Club (mediapart.fr)

[18] Inspection générale de l’éducation nationale, L’aménagement des rythmes scolaires à l’école primaire, rapporteurs Yves Bottin, Michel Delaunay, Sonia Henrich, janvier2000.

[19] Inspection générale de l’éducation nationale Inspection générale de l’administration De l’éducation nationale et de la recherche, Organisation du temps scolaire dans le premier degré, les effets de la semaine de quatre jours, rapporteurs Alain HOUCHOT Yves MOULIN Jean VOGLER, N° 2002-025, Mai 2002.

[20] Inspection générale de l’Education nationale Inspection générale de l’administration de l’Éducation nationale et de la Recherche, Troisième note de synthèse sur la mise en œuvre de la réforme de l’enseignement primaire, rapporteurs Philippe CLAUS, Odile ROZE, Note n°2009-072, juillet 2009.

[21] Inspection générale de l’éducation nationale, L’aménagement des rythmes scolaires à l’école primaire, rapporteurs Yves Bottin, Michel Delaunay, Sonia Henrich, janvier2000.

[22] Ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, Les Organisations du temps scolaire à l’école issues de la réforme de 2013 : quels effets observés ? Les Dossiers de la Direction de l’Évaluation, de la performance et de la prospective (DEPP) n° 207, ministère de l’Éducation nationale, juin 2017, p. 44.

[23] Jules Simon, L’école, 1865.

[24] Inspection générale de l’Éducation nationale, Bilan de la mise en œuvre des programmes issus de la réforme de l’école primaire de 2008, juin 2013.

[25] A. Bouchez, « La polyvalence des enseignants de l’école primaire : un état des lieux », Rapport annuel de l’IGEN, 1997.

[26] Philippe Claus, Une formation des maîtres refondée pour répondre aux défis de l’école primaire, Administration & Éducation 2014/4 (N° 144)

[27] Comité national de suivi de la réforme de la formation des enseignants, Améliorer la formation initiale des professeurs des écoles, Daniel FILATRE Président du comité national de suivi, juillet 2018.

[28] Pour le détail horaire, on se reportera à notre article paru dans la revue des Cahiers pédagogiques : Leçons d’hier pour la formation d’aujourd’hui, Article publié sur le site des Cahiers pédagogiques le 29 mai 2020 - http://www.cahiers-pedagogiques.com/Lecons-d-hier-pour-la-formation-d-aujourd-hui.

[29] Rapport Filatre, op. cité.

[30] Pour le détail horaire, on se reportera à notre article paru dans la revue des Cahiers pédagogiques : Leçons d’hier pour la formation d’aujourd’hui, Article publié sur le site des Cahiers pédagogiques le 29 mai 2020 - http://www.cahiers-pedagogiques.com/Lecons-d-hier-pour-la-formation-d-aujourd-hui.

[31] Ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la recherche, La formation initiale et continue des maîtres, Georges SEPTOURS, Roger-François Gauthier, co-rapporteurs, Février 2003.

[32] Jean-Claude Hardouin, André Hussenet, Georges Septours, Norberto BOTTANI, Eléments pour un diagnostic sur l’École, Document général préparatoire au débat national sur l’avenir de l’école, Haut Conseil de l’évaluation de l’école, Octobre 2003.

[33] Rapport Filatre, op. cité.

[34] Éric Charbonnier, Les inégalités à l’école : ce que nous disent les comparaisons internationales, in Choukri Ben Ayed (dir.), Grande pauvreté, inégalités sociales et école, sortir de la fatalité, Berger-Levrault, 2021, p. 71.

[35] Jean-Claude Hardouin, André Hussenet, Georges Septours, Norberto BOTTANI, op. cité.

[36] Ibid.

[37] Ces guides ne sont pas en cause ici. Ce sont des documents très utiles et accessibles sur le site du ministère, Les guides du ministère de l'Education Nationale - Professeurs des écoles (professeurs-des-ecoles.com)

[38] Monique RONZEAU et Bernard SAINT-GIRONS, Quelles évolutions pour les concours de recrutement des enseignants ? Rapport remis le 18 février 2019. Rapport-Ronzeau-Saint-Girons_478709.pdf (epi.asso.fr)

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