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C’est une histoire d’amour qui naît au PMU. Un appel attrapé au vol d’une lecture distraite dans un rade commun. Une invitation saisie par l’auteur à vivre hors de soi grâce à une bestiole à quatre pattes soutenant un pelage tricolore et une tête, irrésistible, comme celle de tous les chiots. C’est d’eux, leurs aînés, et leurs « maîtres » dont ce livre parle. En fait, il parle d'Ubac, un fier bouvier bernois et de l'homme qui l'accompagne, Cédric Sapin-Defour. Au terme du livre, on ne sait d'ailleurs plus trop qui accompagne qui.
Évacuons un doute : il n'est pas besoin (mais il n'est pas interdit) d’être une mémère à son chienchien ou un Instagrameur fasciné par les likes que génère son toutou pour lire ce texte. Un cœur et quelques heures suffisent. L’envie, elle, se nourrit d’elle même, de page en page. Profitez, amies lectrices, copains lecteurs : avec Ubac, le temps file. Trop, puisqu’à la fin, c’est toujours l’homme qui enterre sa bête.
Pour qui aime lire stylo et carnet de notes à la main, ce livre sera un défi. Partout, des aphorismes, des pensées prometteuses (délayées quelques pages plus loin), un humour constant, des descriptions de lieux, de paysages, de visages, de gestes et de silences. Et ces dialogues... Entre le chien et l’homme, la femme et l’homme, l’homme à l’homme. Tout cela enveloppé par le souffle du phrasé, la fraîcheur des beaux mots, le rythme du bon tempo. « Qui mieux que le silence lie les âmes ? Nous les hommes, n'aimons pas trop ce silence, nous négligeons ses services, ne savons pas comment le manier, il a trop le goût de la fin, pour le couvrir nous bavardons, ce peut-être plaisant, mais comme tout exercice de sauvegarde, à la longue, c'est usant. Or il n'y a pas de présence plus chérissable. De vous taire, le chien ne vous en veut pas, il ne croira ni à l'ennui ni au malaise ni à la dégradation de vos rapports, c'est un délice assez unique que cette acceptation que de ne rien dire ensemble ».
Ces phrases, on aurait aimé les écrire. Peut-être avec un peu moins de virgules. Passons, et prolongeons le plaisir : « Ce chien n'est un être ni de substitution ni de projection. Ubac grandit, vieillit, au convertisseur, il est désormais plus vieux que nous. S'il eut été notre fils, il serait alors aujourd’hui notre frère et demain notre père, dans une inversion signant l'absurdité d'y souscrire, le respect de nous-mêmes et d'Ubac en tant qu'être vivant à part entière passe par le rejet de ce type de confusion. Schopenhauer avait fait de son chien Atma son légataire universel. Si l'idée est plaisante, je crois finalement qu'elle dessert la cause des hommes et des chiens, humaniser, ce n'est pas l'humain partout. »
Avec son air de ne pas y toucher, Cédric Sapin-Defour distille un viatique réconfortant : la joie meurt d’être auscultée ; commettre a peu près l’inverse de ce qu’on nous ordonne et se rappeler que le pire n’est pas toujours acquis pour les âmes joueuses, sensibles, douces, précises, aimantes, simples et libres. Voilà sans doute pourquoi il laisse courir ou dormir son chien partout où ça lui chante, manger quand ça lui prend, passant une bonne partie de son temps à se promener avec lui, partager un sandwich au Beaufort et le regarder « transformer les heures en secondes ».
Sur les bancs de STAPS, un jour, Mathilde survient. Avec elle, l'amour simple et vrai, par chance et l'insolence de croire qu'on y est un peu pour quelque chose. Pour les superbes pages qui suivront, que l'auteur soit ici remercié de nous avoir épargné les platitudes émues des romances passionnelles, qui deviennent difficiles et finissent mal. Cédric Sapin-Defour vit à plein ce qu'il doit avec celle qui l'a élu pour compagnon de route. Cela passe par des pâtes au pesto, quelques flacons de vin, des ébats - amoureux ou sportifs - en tous lieux, de la montagne bien sûr, et du grand dehors en général. Pour jouer, toujours, en compagnie d'un chien qui le veut bien.
Comme tout a une fin et que ces bêtes vivent (ou vieillissent) sept fois plus vite que les hommes, il faut amener Ubac chez le vétérinaire. Là encore, que de beaux mots adressés à cette troupe d'êtres talentueux voués à panser une meute bigarrée qui ne sait dire où se cache le mal. Aux traitements et soins de contrôles habituels des premières années, Mathilde, Cédric et Ubac vivent les visites suivantes inquiets. « Au cube » écrit-il. Des petits bobos et angoisses des débuts, survient une épreuve terrible que le hasard d'être réveillé au bon moment et de connaître des vétérinaires orfèvres parviendront à surmonter. Sauf qu'invariablement, nous nous en retournons à la poussière. Et nos chiens avant nous, nous faisant un matelas pour que la terre soit moins raide. C'est aussi ce qui semble filtrer de ces pages. La vie, donc la mort, est chose sérieuse qu'il convient d'honorer avec respect, quitte à la défier.
On a beau rire, s’enthousiasmer, opiner avec Pinpin (surnom donné par ceux qui l'aiment, c'est notre cas) à tout ce qu’il dit sur la vie et son chien, certaines pages arrachent des sanglots. C’est bien. C’est à ça que sert la littérature : émouvoir. Lire pour s'enseigner, s'augmenter, ouvrir son cœur, ses yeux, son ventre et ses glandes lacrymales. Pour tout cela, ce livre est beau. Bienvenue même, puisqu'il réussit le tour de force de vous consoler de pleurer en le lisant. Pour nous, il y eut Chien blanc de Romain Gary, L’appel sauvage de Jack London et Histoires de chien de Séverine. Et maintenant Son odeur après la pluie.
C’est étrange, on la sent son odeur. Pourtant, le livre est fermé. Et il ne pleut plus.
Son odeur après la pluie, Cédric Sapin-Defour, éditions stock, 284 pages, 20,90 €