Le Théâtre de la Renaissance d'Oullins est sans doute l’un des lieux de création et diffusion artistique du spectacle vivant les plus aimables. Pas seulement parce que son équipe a un véritable sens de l’accueil (profitons-en ici pour saluer à la fois son Directeur, son administratrice, sa Secrétaire générale et les relations publiques, les techniciens) sans afféteries mais avec ferveur, respect et considération pour tous. Ce qui, en ces temps de bagarres crispées à fleurets mouchetés pour conquérir maints spectateurs, se pousser du coude et réussir la gageure de se maintenir à un vrai degré d’exigence tant artistique que du sens du service public, n’est pas si aisé.
CONTEXTE ET CONFORT
Puisque, à la différence de bien d’autres équipements des autres départements de Rhône-Alpes/Auvergne, qui ne disposent bien souvent que d’une, voire deux scènes, la concurrence est forcément plus âpre, quoique dignement polie, dans l’agglomération lyonnaise et tant l’offre est pléthorique.
Lyon a toujours privilégié les arts musicaux et chorégraphiques. Un peu moins l’art dramatique, à force d’hésiter, de procéder à des nominations pas toujours cohérentes à la tête de ses institutions, cédant aux plus retors et ambitieux, congédiant un Centre dramatique national pendant plusieurs années (le Théâtre du VIIIè), voulant hisser de petits lieux et autres théâtres de poche dans divers quartiers pour finalement les délaisser, donnant l’impression d’improviser au gré à gré sans réelle volonté de politique culturelle lisible, sinon probante. La situation dure depuis bientôt 30 ans mais on peut volontiers remonter aux décennies encore précédentes, celles qui ont vu un Roger Planchon ou un Marcel Maréchal se résoudre à quitter une ville qui dédaignait ces « saltimbanques illuminés », pour séduire et convaincre d’autres municipalités plus accueillantes (Villeurbanne, Marseille…).
Le Théâtre de la Renaissance semble trouver, au contraire, des oreilles plus qu’attentives de la part de la Mairie d’Oullins, puisque, après réfection de la petite salle et d’autres espaces, des travaux d’envergure vont être engagés pour la rénovation de la scène principale dont les caractéristiques architecturales et techniques ne permettent plus l’accueil de spectacles qui prennent désormais en compte les évolutions scénographiques d’aujourd’hui. L’équipement est en effet municipal mais La Renaissance fait partie du réseau des Scènes conventionnées avec l’Etat et la Région qui ont orienté son cahier des charges sur le développement à la fois conjoint ou respectif de spectacles musicaux et théâtraux. Ce dont s’acquitte, depuis cinq ans de manière évidente et loyale, Gérard LECOINTE, son Directeur artistique.
Précisons enfin, pour refermer ce chapitre relatif aux aises et au confort procurés par la Renaissance qu’elle a eu la bonne idée d’être accessible, depuis quatre ans, facilement, pour bien des publics, par les Transports en commun, puisque elle se situe à quelques mètres de la station terminale de la ligne B du métro de Lyon, à la Gare d’Oullins (à peine un quart d’heure de trajet depuis la Part-Dieu). Avantage non négligeable surtout quand les soirées se prolongent, ce dont ne disposent pas les autres scènes de l’agglomération.
GÉRARD LECOINTE UN ARTISTE INTENDANT
Gérard LECOINTE, après des études au CNSM de Lyon et en d’autres fiefs tout aussi éminents, a fondé, il y a trente-cinq ans, Les Claviers et Percussions de Lyon. Formation unique puisque assez inédite qui a fait ses preuves en de nombreuses occasions. Et, lorsque on a le loisir de converser longuement avec lui, à la faveur d’un entretien particulier accordé pour questionner les caractéristiques de son royaume en apparence modeste, on se rend vite compte que l’artiste ne s’abrite en l’ombre d’aucune tour, que son verbe est franc, tenu, réfléchi. Et que son attachement à la valeur littéraire d’un propos, d’un spectacle, n’est pas coquetterie ni pose intentionnelle. Connaissez-vous, d’ailleurs, beaucoup de Directeurs de théâtres publics qui s’attèlent, eux-mêmes, à la rédaction des présentations des spectacles dans la brochure saisonnière ? Une particularité qui n’est pas innocente, comme ne l’est pas, certains soirs, la présence de l’Administratrice (Nicole Poullelaouen) ou de la Secrétaire générale (Nicole Lévy) à l’accueil du public et qui saluent chaque spectateur après avoir vérifié et froissé chaque billet tendu à la porte des salles. Preuve supplémentaire – s’il en fallait – que l’équipe permanente, somme toute assez réduite pour gérer un tel lieu, et a contrario d’autres scènes qui hiérarchisent à l’excès les personnels dévolus à ces diverses tâches, ne se gausse pas de l’idée qu’on peut rendre familier un Théâtre, en osant faire fi des échelons qui voudraient qu’on distingue nettement les artistes et les personnels annexes ou purement administratifs.
Si Gérard LECOINTE souligne qu’à la différence d’un Centre dramatique national, sa position est parfois délicate d’avoir autant à défendre ses libertés artistiques et d'avoir à gérer un lieu, il reconnaît qu’elle est enviable, car, pendant les 35 années où il dirigea les Claviers et Percussions de Lyon, il fut déjà habitué à opérer sur ces deux fronts. Mais la direction du Théâtre de la Renaissance imposa bien vite des considérations et réalités forcément différentes, ce dont il s’est acquitté en s’armant de patience, en prenant soin d’écouter ceux qui l’entouraient de façon bienveillante, d’adapter, au fur et à mesure de sa pratique, ses élans naturels et son aptitude à prendre en considération maints et maints critères ou obstacles en les apprivoisant de manière sereine et assidue. Bâtir l’architecture d’une saison (surtout quand, de nos jours, il s’agit de les boucler, prospectivement, au mitan de l’hiver) ne s’improvise pas. C’est un savoir-faire qui tient forcément compte, d’abord, d’atouts humains, financiers, techniques. Ce qui n’empêche pas de rêver à sa cohérence éventuellement probante.
A ce titre, on ne dira jamais assez souvent qu’un artiste à la tête d’une institution, importante ou plus modeste, est inégalable, surtout s’il assume et endosse, de surcroît, le rôle d’administrateur général : forcément, la sensibilité (et non pas exclusivement des choix ou affinités personnels) de l’artiste finit par émerger dans l’apparente impassibilité d’un programme au long cours. Ce qui est le cas avec Gérard LECOINTE, artiste dont la discrétion n’est pas une feinte, mais une façon sans doute de rester concentré sur ce qui l’importe.
R… comme RENAISSANCE et ROMANTISME
Quoi d’étonnant, dès lors que, sans doute, plus que les précédentes, la saison 2018-2019 fasse ainsi honneur à ce beau nom de « Renaissance ». Puisque, du premier spectacle proposé, en octobre 2018, Stabat Mater jusqu’au dernier, en juin 2019, Les Plutériens, il s’agit bien de questionner la place de l’homme et de faire acte ou s’interroger sur la notion parfois galvaudée de l’humanisme, au sens fort et esthétique du terme ? Ce que ne démentiraient pas les auteurs, artistes qui impriment à la saison leurs diatribes, leurs fictions ou inspirations : Hector MALOT, Roger CAILLOIS, Jack LONDON, Emile ZOLA, Marcel PROUST, Honoré de BALZAC…
A cet humanisme, se mêlent également, -et pas seulement parce que beaucoup des écrivains ainsi choisis sont issus du XIXè siècle, - les effluves d’un romantisme qui ranime l’attention portée à la nature (L’Appel de la forêt de Quentin DUBOIS d’après Jack LONDON, Les Fougères crocodiles d’Ophélie KERN), mais aussi incite à l’introspection (Maja, par le Collectif X, déjà présent la saison dernière voir à ce sujet https://blogs.mediapart.fr/denys-laboutiere/blog/030518/cannibale-par-le-collectif-x-fragments-dun-banquet-amoureux ), Logiquimperturbabledufou (spectacle imaginé par Zabou BREITMAN), explore les hauts faits et les abysses des passions humaines.
S’il y a force évocations du passé, ce n’est pas par vœu frileux de régression, mais au contraire pour mesurer notre temps présent à ce qu’ont pu vivre d’illustres figures qu’elles soient de fiction, ou même de légendes (Sept Reines (épopée d’un crachin d’amour) comme le propose mystérieusement ce beau titre d’un spectacle théâtral du Collectif Le Bleu d’Armand).
UN PIANO AUX PIEDS NUS DANS L’HERBE COMME L'EST UN VAGABOND SANS FAMILLE
Sans compter qu’au seuil de l’hiver, justement, la création de Gérard LECOINTE, Sans famille d’après le roman d’Hector MALOT, va éventuellement croiser, synthétiser une grande part de ces questions et les interrogations légitimes quant à la liberté de création, soucieuse de son indépendance et de son art. Rappelons rapidement l’argument : Rémi, véritable orphelin puisque abandonné à sa naissance, dans un petit village de la Creuse, est bien vite vendu par les Barberin qui l’ont recueilli, à Vitalis, un saltimbanque vagabond et montreur d’animaux (entre autres) qui décide d’éduquer l’enfant et de le considérer comme son assistant. Engagés vers les routes du Sud-Ouest, du côté de Bordeaux et de Pau, Vitalis et Rémi sillonnent les routes, le premier enseignant au second la pratique de la harpe, la lecture, l’art du théâtre et de la comédie. De nombreuses péripéties s’ensuivent qu’il n’est sans doute pas utile de détailler ici. Puisque l’intérêt même de l’œuvre est surtout de prêter une forte attention à ceux qui, partis de rien, n’ayant que leur foi et un goût prononcé pour la poétique, la musique, savent s’allier pour faire front contre les coups infaillibles du sort. Le roman de MALOT a raison d’insister, selon LECOINTE, sur la nécessité de l’aventure, du libre-arbitre, d’opposer à la désespérance la malice même lâche ou furtive du bonheur de vivre et jouir des instants rares et du présent. Grâce à l'Art.
Bien sûr, le choix du Directeur de la Renaissance de porter à la scène ce roman n’est pas hasardeux : il lui permet de raffermir sa foi en l’art qu’il soit musical ou théâtral capable de presque tout défier… pourvu qu’on sache le secret de l’itinérance physique ou spirituelle.
On se réjouit donc à l’avance de suivre, en décembre prochain, les pérégrinations de ces deux héros auxquels le PIANO DANS L’HERBE emboîtera le pas par ses pieds ainsi délestés d’un abus de contraintes. Héros qui seront, puisqu’il s’agit d’un spectacle de théâtre musical, accompagnés sinon couvés par les mélodies de Leo DELIBES, Jules MASSENET, Gabriel FAURÉ, pour une adaptation conçue par Emmanuelle PRAGER, tandis qu’illustrations et films (respectivement signés Mickaël DUPRÉ et Pierre GRANGE) viendront compléter, pour cette création, le vœu de trans-disciplinarités auquel tient beaucoup le projet artistique général du Théâtre de la Renaissance.
DISCIPLINES ARTISTIQUES EN DIALOGUES
Car oui, la saison 2018-19 s’ingéniera, comme les précédentes, à faire dialoguer les disciplines : théâtres et musiques en figures de proue qui dispensent elles-mêmes tout un éventail de genres (du drame au vaudeville, du concert classique au jazz, quand ces genres sont mêmes bousculés, à l’instar d’Un Assommoir d’après ZOLA à propos duquel le Collectif O’SO promet de faire… rire !) mais qui seraient bien monochromes si ne s’agrégeaient autour d’eux les autres disciplines du spectacle vivant : lyrique (Stabat Mater de PERGOLESE et David BOBÉE, Les Enfants du levant création de Pauline LAIDET d’après un roman du XIX è siècle ayant pour contexte les centres d’éducation et de patronage de jeunes détenus), les arts de la marionnette (Ponce Pilate d’après Roger CAILLOIS, imaginé par Xavier MARCHAND, Maja déjà cité, Le Bourgeois gentilhomme tel que rêvé par l’Agence de Voyages Imaginaires de Philippe CAR), le cirque, le théâtre d’objet (TURAK), un ciné-concert (avec Charlie CHAPLIN et l’Orchestre de l’Opéra de Lyon)…
Puisque Le Théâtre de la Renaissance a également la volonté de s’allier à des complices institutionnels de la Région : Biennale de la Danse, Opéra de Lyon, Théâtre de la Croix Rousse, Auditorium de Lyon, Conservatoire National Supérieur Musique et Danse de Lyon, Nuits de Fourvière.
Et, surtout, n’oublie pas d’accompagner jeunes artistes et compagnies en les accueillant pour des résidences de trois ans : le compositeur et pianiste Antoine ARNENA, friand de musique orchestrale (il créera, en février 2019, Furvent, un concert de sa composition et de celle de Guilhem MEIER), la metteuse en scène Maud LEFEBVRE et Thierry BALASSE, compositeur qui apparaît deux fois dans la saison, avec Voyage SuperSONique, en novembre et Yi-King, le jeu de la musique et du hasard, en décembre.
A défaut de relever complètement un défi ou vœu d’exhaustivité, citons encore le metteur en scène Guillaume BAILLIART qui conçoit lui aussi deux propositions scéniques et musicales : Je ne suis pas une bête sauvage qui met à l’honneur un homme et artiste hors du commun, Adolf WÖLFII, fantasque auteur d’une biographie de pure invention de 25 000 pages, mais aussi de théories religieuses ou scientifiques improbables, dessinateur enfin salué par le pape de l’art brut, Jean DUBUFFET puis, pour clôturer dix mois de créations et d’accueils artistiques, BAILLIART engagera l’ARFI à le suivre dans un poème d’anticipation opératique avec ces intrigants Plutériens (livret de Charles PENNEQUIN).
Il sera bien temps d’évoquer à nouveau les uns ou les autres, au gré des prochains mois, après la pause estivale et vacancière. Quoi qu’il en soit, si vous êtes, à raison, d’un naturel prévoyant, on ne saurait que vous recommander de souscrire sans trop tarder, à un pass avant la rentrée. Toutes les informations détaillées sont bien sûr disponibles sur le site du Théâtre : https://www.theatrelarenaissance.com