Dipa Arif

Collaborateur de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.

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Billet de blog 27 juillet 2025

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Femmes blanches, hommes indonésiens : fantasmes croisés

Sous les tropiques, un nouveau mythe s’installe : celui de l’homme indonésien conquis par la femme occidentale. Sur les réseaux sociaux comme à la télévision, ces couples captivent. Mais derrière les récits romantiques se cache un miroir postcolonial où s'entrelacent exotisme, domination inversée et quête d'identité.

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Femmes blanches, hommes indonésiens : fantasmes croisés

À Bali, Lombok ou Yogyakarta, une nouvelle scène sociale émerge sur les réseaux : de jeunes hommes indonésiens, souvent issus de milieux modestes, s'affichent fièrement aux côtés de femmes occidentales, parfois plus âgées et généralement plus aisées sur le plan économique. Ces vidéos, largement partagées sur TikTok, Instagram ou YouTube, alimentent un imaginaire romantique globalisé mais aussi des débats sur la dignité, le genre et les traces du colonialisme.

Certains couples deviennent même des célébrités locales, invités à la télévision pour raconter leur “success story”. Ce phénomène, qui pourrait sembler banal dans un monde mondialisé, révèle en réalité des dynamiques plus profondes : des masculinités en quête de reconnaissance et des féminités occidentales en quête d’altérité.

Quand le regard de l’Autre redéfinit la valeur de soi

Dans de nombreux témoignages et commentaires en ligne, une idée revient : “menang bule” (gagner une femme blanche) est une victoire, un symbole de prestige. Ce langage martial — gagner, conquérir — témoigne d’un complexe postcolonial latent, où le désir occidental agit comme validation externe d’une valeur masculine souvent niée dans l’ordre social local.

Mais cette valorisation est ambivalente : les femmes occidentales sont parfois vues comme “bule kesepian” (blanches seules et désespérées), alors que les hommes indonésiens sont réduits à leur virilité, leur exotisme ou leur rôle de “beach boys”. Derrière les sourires TikTok se cachent donc des dynamiques d’objectivation mutuelle.

Le retour des “nyai”... en version inversée ?

Sous les Indes néerlandaises, le terme nyai désignait les femmes indigènes prises comme concubines ou épouses non officielles par les colons européens. Elles servaient à la fois de partenaires sexuelles, de domestiques et de médiatrices culturelles. Aujourd’hui, certains commentateurs indonésiens parlent d’un “phénomène nyai terbalik” — une inversion où l’homme indigène devient le corps désiré, l’objet du fantasme colonial inversé.

Mais cette inversion ne signifie pas renversement des rapports de pouvoir. Dans nombre de cas, les femmes bule gardent un pouvoir économique, culturel et souvent migratoire, qui fait d’elles les détentrices du capital symbolique dans la relation. L’amour y est traversé par des inégalités structurelles que les filtres Instagram peinent à masquer.

Bali, capitale du tourisme affectif féminin ?

Le phénomène ne peut être dissocié de la géographie. Bali, destination spirituelle et hédoniste pour de nombreuses Occidentales, est aussi le théâtre d’un tourisme féminin en plein essor. Des femmes venues d’Europe ou d’Australie y trouvent non seulement le soleil et la mer, mais aussi — selon leurs propres mots — des “hommes attentionnés”, “ouverts à la spiritualité”, et “émotionnellement disponibles”.

Ce type de tourisme affectif, souvent ignoré dans les études sur les rapports Nord-Sud, mérite d’être interrogé : que cherchent ces femmes ? Un partenaire ? Un mythe vivant ? Une parenthèse hors du patriarcat occidental ? Et que reçoivent-elles en retour : une connexion sincère, ou une illusion exotique vendue à bon prix ?

Quand les écrans masquent les déséquilibres

À travers cette tendance, c’est tout un système globalisé de représentation du genre, de la race et du désir qui se joue. Ces couples médiatisés ne sont ni des exceptions ni des simples “amours de vacances”. Ils incarnent un marché de l’intime façonné par les algorithmes, les attentes croisées, et des héritages historiques qui ne sont jamais tout à fait digérés.

L’amour peut être réel, bien sûr. Mais il est aussi instrumentalisé — par les plateformes, par les communautés en quête de reconnaissance, par les fantasmes de chacun.

La tendresse mondialisée ou le mirage romantique ?

Le phénomène des hommes indonésiens en couple avec des femmes occidentales soulève des questions essentielles sur la souveraineté intime à l’époque postcoloniale, sur les échanges Nord-Sud au prisme du corps, et sur les fragilités identitaires dans un monde en quête de sens.

La masculinité indonésienne s’y expose fièrement, parfois stratégiquement. La féminité occidentale s’y projette, parfois naïvement. Et entre les deux, se tisse un tissu d’affections, de tensions, de marchandages émotionnels et d’inégalités invisibles. Le véritable enjeu n’est peut-être pas de savoir si ces relations sont “vraies” ou “fausses”, mais de comprendre pourquoi elles nous fascinent autant — et ce qu’elles disent de nous tous.

Note de l’auteur :

Loin de toute intention de stigmatiser, cette réflexion vise à questionner les imaginaires qui façonnent nos désirs, souvent à notre insu. En replaçant les préférences sexuelles dans leur contexte historique, social et symbolique, il s’agit d’encourager une prise de conscience lucide et nuancée — condition nécessaire pour des relations plus libres, égalitaires et éclairées.

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