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Collaborateur de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.

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Billet de blog 29 août 2025

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Indonésie : Crise sociale et manifestations explosent

L’Indonésie s’embrase : des manifestations massives éclatent de Jakarta à Medan, attisées par la pauvreté, la corruption et l’arrogance des élites. Tandis que la roupie chute et que les investisseurs fuient, le président Prabowo mise sur la propagande économique. Mais jusqu’où pourra-t-il contenir la colère d’un peuple à bout ?

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Indonésie : Crise sociale et manifestations explosent

Depuis la fin août 2025, l’Indonésie s’embrase. Des foules immenses occupent les rues de Jakarta, Medan, Pati et d’autres villes, défiant les autorités dans une atmosphère de plus en plus électrique. Au cœur de la colère : des hausses d’impôts jugées insoutenables — jusqu’à 250 % sur les taxes foncières à Pati —, des coupes budgétaires drastiques, des privilèges indécents accordés aux parlementaires et une gouvernance perçue comme autoritaire et déconnectée.

La contestation a pris un tournant tragique lorsqu’un conducteur de moto-trajet a été mortellement percuté par un véhicule blindé de la police lors d’une manifestation devant le Parlement. La scène, filmée et largement partagée sur les réseaux sociaux, a embrasé la jeunesse étudiante, déjà en première ligne des mobilisations. Gaz lacrymogènes, routes bloquées, heurts violents entre forces de l’ordre et manifestants : la rue indonésienne rappelle aujourd’hui les heures les plus sombres de la contestation sociale en Asie du Sud-Est.

À Pati, au cœur de Java central, plus de 100 000 personnes sont descendues dans la rue, contraignant le pouvoir local à reculer sur la hausse d’impôts et poussant le gouvernement à ouvrir une enquête contre le régent. Mais ce recul partiel n’a pas suffi à apaiser une colère nationale qui s’étend désormais comme une traînée de poudre.

La chute de la roupie : symptôme d’une instabilité plus large

Les marchés financiers n’ont pas tardé à réagir. Le JCI, principal indice boursier, a plongé de plus de 2 %, tandis que la roupie indonésienne a perdu près de 1 %, atteignant un plancher inédit depuis le début du mois. Pour tenter de contenir la débâcle, Bank Indonesia a annoncé des interventions massives sur le marché des changes et des obligations. Mais ces mesures n’ont guère calmé les esprits : pour de nombreux investisseurs, l’Indonésie est entrée dans une zone de turbulences politiques et économiques prolongées.

Derrière la volatilité immédiate, c’est la crédibilité de la trajectoire économique vantée par le gouvernement qui vacille. Les chiffres de croissance à 5 % martelés par le président Prabowo Subianto apparaissent désormais comme une façade fragile, incapable de masquer la défiance des marchés et la colère de la rue.

L’investissement étranger en berne

Cette instabilité se traduit déjà par un recul alarmant des capitaux internationaux. Au deuxième trimestre 2025, les investissements directs étrangers ont chuté de près de 7 % par rapport à l’an dernier — une première depuis 2020. Les multinationales réorientent leurs projets vers le Vietnam ou la Thaïlande, jugés plus stables, laissant l’Indonésie isolée dans son tumulte.

Dans un pays qui ambitionnait de devenir un moteur économique régional, ce retrait des capitaux sonne comme un signal d’alarme.

80 ans d’indépendance, mais la pauvreté persiste

Alors que l’Indonésie fête les 80 ans de son indépendance, la fracture sociale est criante. Les statistiques officielles parlent de 24 millions de pauvres, soit 8,5 % de la population. Mais les chiffres de la Banque mondiale dressent un tableau plus inquiétant : près de 172 millions d’Indonésiens, soit 60 % de la population, vivraient sous le seuil de vulnérabilité internationale.

Un contraste saisissant entre le discours officiel, qui vante des succès économiques, et la réalité des familles qui peinent à acheter du riz ou à payer l’école de leurs enfants.

Corruption et privilèges : l’arrogance des élites

La contestation puise aussi sa force dans l’exaspération face à une élite jugée corrompue et déconnectée. Les révélations sur les indemnités parlementaires ont choqué l’opinion : 50 millions de roupies par mois (près de 3 100 dollars) pour un logement, dans un pays où le salaire minimum peine à dépasser 200 dollars.

Ce décalage obscène entre le quotidien des élites et celui du peuple alimente un ressentiment profond et met en lumière l’écart béant entre une démocratie parlementaire surprotégée et une société civile fragilisée.

Prabowo face à l’épreuve de la rue

Confronté à cette crise, le président Prabowo a tenté un exercice d’équilibriste : présenter ses condoléances après la mort du manifestant, ordonner une enquête, tout en défendant bec et ongles ses réformes et son discours triomphaliste. Mais pour beaucoup, cette stratégie relève davantage de la propagande que d’une réponse réelle aux défis structurels du pays.

Les critiques dénoncent une gouvernance autoritaire, militarisée, davantage tournée vers la mise en scène de la puissance que vers la résolution des fractures sociales.

Conclusion

L’Indonésie se trouve à un carrefour historique. Entre les manifestations de masse, la chute de la roupie, la fuite des investisseurs et l’explosion des inégalités, le régime Prabowo fait face à un test décisif. La propagande économique et les statistiques triées sur le volet ne suffiront plus à masquer une réalité devenue insoutenable.

Si des réformes structurelles profondes et un dialogue véritable ne sont pas engagés, la colère populaire pourrait bien s’enraciner et transformer cette crise passagère en véritable séisme politique.

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