Les évolutions sur le plan de la santé psychique des enfants sont dramatiques : aggravation du mal-être, délitement du soin, aveuglement des pouvoirs publics et négligences collectives, dérives des pratiques avec notamment un recours de plus en plus extensif à des prescriptions massives de psychotropes…
Or, si on en arrive à cette situation tragique, il faut bien reconnaitre que certains ne s’en offusquent pas comme il se devrait, voire même que des acteurs tout à fait identifiables ont pu contribuer à banaliser, mais aussi à revendiquer et à accentuer les tendances ayant mené au désastre, en faveur de leurs intérêts privés… Petit tour d’horizon
Compromissions de la pédopsychiatrie
Commençons par faire le ménage devant notre porte… De fait, il faut bien reconnaitre que, pour des raisons carriéristes, idéologiques, ou encore de reconnaissance universitaire, médiatique et politique, certains représentants de la pédopsychiatrie ont été partie prenante dans le sabordage du soin. Ainsi, je dois avouer que les bras m’en sont tombés lorsque j’ai pris connaissance du communiqué de presse de la « Société Française de Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent et Disciplines Associées » (SFPEADA), en réaction au rapport du Haut Conseil de Famille, de l’Enfance et de l’Âge (HCFEA). En effet, le Dr Jean Chambry, président de la SFPEADA, manifeste principalement une crainte de diabolisation des médicaments et de stigmatisation des jeunes qui en prennent…De fait, sur le plan scientifique, « les données concernant l’augmentation des prescriptions de psychotropes en France dans la population pédiatrique sont connues. Le phénomène est constant depuis plus de 10 ans, bien documenté par l’étude EPI PHARE et dans de nombreuses études scientifiques », donc pas de problèmes. Par ailleurs, les enfants et les adolescents allant de plus en plus mal, il parait tout à fait logique de voir exploser la consommation de psychotropes dans cette population vulnérable, tout cela est basé sur des données probantes…Circulez, y-a rien à voir…Tout est normal, démontré, rassurant, et il faudrait donc continuer ainsi, sans aucun questionnement…Néanmoins, la larme à l’œil, « la SFPEADA pense aux enfants, adolescents et leur famille qui ont su vaincre leur réticence, pour accepter un traitement médicamenteux et qui aujourd’hui se sentent mieux, ont une meilleure insertion amicale, sociale, scolaire ou professionnelle » - du fait exclusivement de leur médication, cela va de soi. Il est tout de même dommage que la SFPEADA ne pense pas non plus à tous les enfants qui reçoivent des psychotropes à la place d’un soin psychothérapeutique véritable, qui en subissent les effets indésirables sur le long terme, et qui se retrouvent totalement passivés et silenciés par rapport à leur mal-être…Il est également regrettable que la SFPEADA ne s’inquiète pas des répercussions de certaines orientations socio-politiques sur l’état affectif des mineurs…tout en prétendant en corriger les effets délétères à coup de médocs…
Ainsi, le Dr Jean Chambry s’insurge-t-il de la « présentation partiale de ce rapport pourrait être de nature à inquiéter et représenter une nouvelle forme de stigmatisation de la maladie mentale et de la souffrance psychique » …Vraiment, ce n’est pas bien de s’inquiéter alors qu’on bourre les gamins de psychotropes ! C’est méchant ! Il ne faudrait surtout pas venir ébranler les pratiques instituées, normalisées, validées, « neutres », quand bien même elles témoigneraient de dérives sociales et de complicités nauséabondes avec un certain ordre du monde…
Néanmoins, le Dr Chambry accuse le rapport du HCFEA de partialité, ce qui constitue un contre-sens terrible, dans la mesure où ce document très référencé prône pourtant des approches thérapeutiques et éducatives humaines, décentes, ajustées, respectueuses, singulières, déstigmatisantes, etc. Ce qui est partial, au contraire, c’est de maintenir des pratiques désubjectivantes, aliénantes, sous l’influence de conflits d’intérêts manifestes – sans parler des perfusions de financements par l’industrie pharmaceutique…
Sous la plume du Dr Chambry, la SFPEADA réagit également au récent rapport de la cour des Comptes, en saluant « ce travail très complet marquant l’intérêt de l’État pour notre discipline et, plus largement, pour la santé mentale des enfants et des adolescents, qui concerne 1.6 millions d’individus ». On croit rêver : comment peut-on se féliciter de « l’intérêt de l’État » pour la pédopsychiatrie ?! Là, c’est vraiment du foutage de gueule de première classe, un très grand numéro de lèche derche. Par ailleurs, le Dr Chambry est-il vraiment sérieux, ou consomme-t-il des substances psychodysleptiques, lorsque qu’il souligne que « la politique d’appel à projets développée depuis 2017 a pu être utile pour permettre, rapidement, de combler les manques ». Visiblement, pour s’approcher des sphères du pouvoir, certains sont prêts à accepter de larges concessions, à arrondir tellement les angles qu'à la fin cela devient une véritable cerclitude du carré, à faire preuve d'un tel consensus mou qu'on risque de se noyer dans le gras du bide, à dénier la réalité, à vendre leur âme en toute impunité…
La SFPEADA s’autorise néanmoins quelques propositions révolutionnaires, du type : « nous appelons donc à la nomination d’un Psychiatre d’Enfants et d’Adolescents dans cette nouvelle délégation inter-ministérielle ». Purée, ils sont vraiment énervés, là, ils vont tout péter, il va falloir condamner fermement cette violence non légitime ! Mais peut-être est-ce tout simplement un appel du pied ? Mon destin m'appelle vers de plus hauts horizons, à bon entendeur...
En l’occurrence, le Dr Jean Chambry a également coordonné la rédaction des dernières recommandations de la Haute Autorité de Santé concernant le Trouble Déficit de l’Attention avec Hyperactivité. Or, ces directives officielles coïncident justement avec une augmentation inquiétante de la consommation de psychostimulants chez les enfants. Nonobstant, la HAS ne préconise pas de modifications des indications de cette molécule suite à sa réévaluation en 2021…Pour le Dr Jean Chambry, il convient avant tout « d’affirmer l’existence du trouble, de sensibiliser et de permettre aux médecins de première ligne, généralistes, pédiatres, médecins scolaires, face aux plaintes des parents, à leurs difficultés, d’avoir une analyse plus fine, qui ne renverrait pas à un simple manque de limites ou de difficultés éducatives. Pour qu’ils puissent ainsi les accompagner vers des services plus adaptés ». Un sacré regard critique, une position engagée particulièrement affirmée ! Le gars est un vrai rebelle, prêt à en découdre, faites gaffe !
Il faut dire que le Dr Jean Chambry a manifestement le désir d’être absolument moderne, progressiste et dans l’air du temps. Ainsi, ce chef de service a-t-il pu signer une tribune troublante dans laquelle les approches psychothérapeutiques éventuellement proposées aux enfants dysphoriques de genre ou en situation transidentitaire se voient tout simplement assimilées à des thérapies de conversion…
Décidément, il s’agit de court-circuiter tout recul réflexif, toute élaboration, et d’agir, de prescrire, d’aller toujours dans le sens du vent…
Et le Dr Jean Chambry n’est évidemment pas un cas isolé dans le champ pédopsychiatrique, avec des « cliniciens » qui défendent activement les pratiques remises en question de façon circonstanciée et documentée dans le rapport « outrageux » du HCFEA : surprescription, parcours balisés et coordonnés par diagnostics, consultations spécialisées appliquant des protocoles systématiques à la chaîne, etc. Du soin de qualité, certifié conforme, qu’il ne faudrait surtout pas remettre en cause…
Citons par exemple le Pr Delorme, expert FondaMental et à l’institut Montaigne, « Head of the Excellence Centre for Autism & Neuro-developmental Disorders, Head of the Child and Adolescent Psychiatry Department, Human Genetics and Cognitive Functions à l’Institut Pasteur, responsable du Centre d’Excellence InovAND », qui a récemment publié une tribune dans Les Échos invitant à financer la science, l’éducation et la médecine du futur pour l’enfance par les entreprises et à « favoriser une dynamique d’investissement tissant des liens renforcés avec des acteurs privés, pour dépasser les exigences économiques et parfois contraintes des fonds publics »…Sans commentaire.
Alors soyons clairs. Il ne s’agit pas de diaboliser toute prescription de façon systématique et réflexe. Parfois, il peut être utile, voire nécessaire, de soulager la détresse, l’intensité de l’angoisse, de gérer les menaces de passage à l’acte, de réduire l’intensité des troubles du sommeil, d’éviter les explosions comportementales, etc. Mais toute médication suppose un cadre strict de surveillance, une grande vigilance, des évaluations très minutieuses…Par ailleurs, la posologie doit être réduite au minimum, et la durée de prescription être la plus courte possible. Prescrire suppose au préalable de connaître parfaitement son patient, d’avoir établi une véritable alliance thérapeutique et de rester très rigoureux sur les indications, les limites, les effets indésirables, les risques iatrogènes. En effet, les psychotropes ne sont que des traitements symptomatiques, qui doivent permettre d’investir le soin et les autres accompagnements thérapeutiques, sans se substituer à eux…Et il ne faut pas oublier que toute prescription s'inscrit dans une dynamique transférentielle, induisant notamment une efficacité symbolique qui ne se réduit pas aux effets psychopharmacologiques...Dès lors, ne pas se préoccuper ni s'insurger des prescriptions exponentielles chez les enfants, qui plus est pour un pédopsychiatre, constitue une aberration sur le plan clinique et médico-légale, ainsi qu'une compromission dramatique au niveau éthique. Point barre.
Complicités des « experts »
En dehors du champ pédopsychiatrique, certains « experts » autoproclamés ont aussi largement contribué à la mise à mal de la clinique et des soins, à travers leurs interventions médiatiques et politiques. Mr Franck Ramus en est une caricature particulièrement symptomatique : directeur de recherche au CNRS et professeur attaché à l’ENS, il travaille au Laboratoire de sciences cognitives et psycholinguistique, dirigeant l’équipe « développement cognitif et pathologie ». Il est également membre du conseil scientifique de l’Éducation nationale. Ses recherches portent sur le développement cognitif de l’enfant, ses troubles (dyslexie développementale, trouble spécifique du langage, autisme), ses bases cognitives et cérébrales, et ses déterminants génétiques. Comme il le précise lui-même sur son site, il n’est ni médecin, ni psychologue, n’a aucune expérience clinique ni pratique du soin. Ce qui ne l’empêche pas de faire des ingérences assez systématiques hors de son champ de compétence, pour dénigrer tout approche thérapeutique qui ne serait pas alignée à ses présupposés, à savoir l’Evidence Based Medecine – et ce en dépit des nombreuses limitations épistémologiques de cette approche en psychiatrie, avec notamment un « risque de standardisation des pratiques thérapeutiques, éducatives et sociales réduites à une série de protocoles » (Rapport HCFEA). Ainsi, une démarche critique de ces fondements méthodologiques et idéologiques dans le champ de l’enfance en souffrance soutient au contraire la nécessité d’en revenir à des pratiques cliniques plus empiriques, prenant en compte la singularité, la complexité des processus en jeu, les surdéterminations, etc. En conséquence, « autour de la question des modèles opératoires, l’approche statistique et evidence based dans une vision « santé mentale/santé publiques », doit pouvoir cohabiter avec des modèles mieux adaptés à la spécificité d’une approche « souffrance psychique des enfants » à soutenir fortement en termes de pratique, de recherche et de politique »…
Voici cependant les propos que peut tenir Franck Ramus, cet éminent expert, drapé de toute son omniscience dédaigneuse : « L’idée d’orienter les troubles dys de manière privilégiée vers la pédopsychiatrie est inacceptable, quand on sait que cette spécialité, sous sa forme psychanalytique encore prédominante, concentre les plaintes des familles pour refus de diagnostic, retard au diagnostic, diagnostic erroné (dysharmonie, troubles de l’attachement…) et mise en accusation inappropriée des parents. Les CMPP se sont malheureusement largement illustrés dans cette forme d’incompétence. Si le gouvernement a vraiment à cœur la qualité des soins pour les enfants et des adolescents, il doit écarter les CMPP de tout réseau de prise en charge des troubles dys » - manifestement, nos gouvernants ont bien intégré le message...
« Pourtant, aujourd’hui encore, on compte de nombreux enfants « dys » en situation d’errance diagnostique et/ou thérapeutique, notamment dans les Centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP). Ces enfants sont souvent pris en charge suivant une grille de lecture exclusivement psychanalytique, sans diagnostic pluridisciplinaire, sans rééducation adaptée, à l’encontre de toutes les recommandations scientifiques et médicales, françaises et internationales. Lorsqu’ils sont finalement diagnostiqués et pris en charge d’une manière adéquate, il est souvent bien tard, beaucoup d’années de scolarité ont été perdues, et au fil des années de nombreuses difficultés se sont superposées au trouble initial : échec scolaire, perte d’estime de soi, troubles psychologiques, conflits familiaux… » - en effet, tout cela, c'est de la faute des méchants et incompétents pédopsychiatres, alors même qu'ils ont tellement de moyens qu'ils se complaisent dans des gabegies indécentes et des messes sataniques....
Bel exemple de mépris, de morgue condescendante, et de méconnaissance crasse…Franck Ramus a-t-il la moindre donnée probante, la moindre preuve, pour avancer de telles calomnies, lui qui est tant attaché aux évidences ? A-t-il la moindre légitimité pour parler des soins qui se pratiquent sur les institutions thérapeutiques ? Non, mais ce qui compte, c’est sa position d’expert ; la concordance avec les faits n’est manifestement qu’une option – ce qui en dit long sur la rigueur scientifique de ce « spécialiste ».
Autre exemple de prise de position dans laquelle la suprématie idéologique et la conviction autoréférencée suffisent pour affirmer des contre-vérités absolues : « prendre position publiquement contre la psychanalyse est impensable pour 99 % des psychiatres. Ceux qui pratiquent des bilans dans des centres de ressource autisme voient des enfants se présenter après des années d’errance diagnostique dans un institut médico-éducatif ou un centre d’action médico-sociale précoce, où les psychiatres n’ont jamais offert de diagnostic, ou en ont donné un inapproprié. De nouveaux psychiatres corrigent donc le mauvais diagnostic, réorientent les prises en charge, font des recommandations, mais ils sont obligés de conserver des relations relativement bonnes avec leurs confrères de toutes obédiences, de manière à assurer un lien entre les différents lieux de prise en charge et faire passer des messages vers les équipes thérapeutiques. Il leur faut donc éviter de se fâcher avec leurs collègues, pour préserver des solutions d’accueil pour les enfants. »
Manifestement, pour ce spécialiste de surplomb, pour ce visionnaire hors-sol, tous les cliniciens qui s’investissent dans le soin, qui rencontrent, qui sont de plain-pied avec la réalité et les affects, qui accompagnent au long cours, au quotidien, qui s’engagent, etc., ne sont qu’une bande de branquignoles délurés, alors que les bons psychiatres, eux, ceux des hautes sphères éthérées, font des bilans validés, posent les bons diagnostics basés sur les preuves - parfois jusqu’à six d’un coup - , prescrivent des tas de médicaments à la fois, font des tonnes de recommandations inapplicables…Là, tu en as vraiment pour ton fric !
Intervention des associations d’usagers, lobbying et conflits d’intérêts
Dans le champ de la pédopsychiatrie, il faut désormais prendre en compte l’influence de plus en plus massive des associations d’usagers, pour le meilleur et pour le pire - on est effectivement plus proche d'une forme de népotisme que d'une quelconque émergence de démocratie sanitaire…. Rappelons déjà qu’il s’agit de représentants d’enfants, c’est-à-dire quasi exclusivement de parents – ce qui déjà pose un certain nombre de questions intéressantes au niveau de la "représentativité". Sur le plan sociologique, ces associations sont cooptées par des familles de classe moyenne ou supérieure, possédant un fort capital économique et culturel, des réseaux, compétentes pour mobiliser les ressources juridiques au niveau local, national ou international, utiliser les médias, intervenir auprès des députés ou des universités, exiger par exemple une modification d’un programme de formation. On peut aussi constater que ces représentants associatifs véhiculent une certaine idéologie, plus ou moins explicite, en rapport avec leur positionnement de classe. Certains de ces représentants font d'ailleurs carrière dans le champ de la formation, du coaching, du lobbying, etc., devenant de véritables autoentrepreneurs à partir du handicap de leur enfant, en tant que parent expert, et déployant des stratégies marketing tout à fait rentables sur le plan financier ou médiatique. Cependant, les familles précarisées, issues de l’immigration, sont majoritairement invisibilisées dans ces mouvements, avec des effets de violence symbolique évidents, et des délaissements tragiques.
De façon assez systématique, les associations les plus actives sur le plan du lobbying affirment l’origine exclusivement génétique et neuronal des troubles infantiles, dénoncent les approches psychanalytiques et le soin institutionnel, revendiquent la désinstitutionnalisation et l’inclusion systématiques, véhiculent une idéologie validiste et normative, érigent en principe absolu l’approche par les droits et les prestations centrées sur la personne – sachant, rappelons-le, qu’il s’agit là d’enfants…-, etc.
Suite à la parution du rapport du HCFEA et à la dénonciation nécessaire de la surprescription de psychotropes dans la population infantile, certaines associations ont donc réagi, témoignant par-là de leur aveuglement partisan. Les loups sortent du bois...
Ainsi, l’association HyperSupers, financés par les laboratoires pharmaceutiques, a-t-elle pu exprimer son indignation par un communiqué de presse intitulé « De qui se moque-t-on ? » : ces nobles défenseurs de l’enfance sont effectivement outrés « des titres anxiogènes », « des divers propos tenus dans la presse », qui vont « à l’encontre du travail effectué par notre association, ses membres, ses bénévoles, ses familles et les centres spécialisés dans ce trouble pour la reconnaissance du TDAH et l’amélioration de l’accompagnement thérapeutique » - c’est-à-dire de la prescription massive, généralisée, hors recommandation et autorisation de mise sur le marché, de psychostimulants...Mais l’association HyperSupers devrait au contraire se réjouir, puisque, entre 2010 et 2021, la prévalence de consommation de psychostimulant chez l’enfant a augmenté de 148%...Très beau résultat, continuez ainsi.
Suite à un reportage du Journal Télévisé de France 2 montrant la très grande "légèreté" dans la prescription des psychostimulants aux enfants, l'association HyperSupers a à nouveau manifesté son indignation, soulignant que l’hyperactivité est un sujet très sérieux, qui toucherait 500 000 enfants et 1,5 millions d’adultes en France - d'après des études épidémiologiques menées par les laboratoires...Ainsi, pour cette association militante, il est scandaleux qu'une chaîne publique puisse questionner certaines évolutions préoccupantes, tant sur le plan du surdiagnostic que de la surprescription, en dehors de toute rigueur clinique et éthique : « une chaîne publique n’honore pas sa mission en diffusant des informations qui sont des partis pris contraires aux faits scientifiques établis de longue date et qui nuisent aux intérêts des patients » - ces « faits scientifiques » étant largement contestés par de larges méta-analyses internationales. Par ailleurs, l'intérêt des patients n'est surement pas de recevoir des traitements aux effets secondaires importants, alors même que les études ne montrent pas d'efficacité à long terme...Nonobstant, HyperSupers pousse des cries d'orfraie, et dénonce « l'absence d’éthique jetant le discrédit sur des familles en souffrance, leurs soignants et les associations qui font le maximum pour informer et soutenir »...De fait, « cela fait 20 ans que notre association agit contre l’obscurantisme »…. Sans commentaire. Se targuant d'une caution scientifique, l'association HyperSupers en arrive cependant à balancer des assertions sans aucun fondement, cherchant à mobiliser des affects et à exercer une forme de chantage tout à fait indigne : « que des enfants soient harcelés ou se suicident, parce qu’ils sont différents et mal jugés, cela vous serait-il égal ? »...
Donc, ne pas mettre des enfants sous psychostimulants serait corrélé avec un risque de passage à l'acte suicidaire exacerbé ? Quelles études sérieuses pour le prouver ? Le reportage de France 2 ne chercherait évidemment qu'à « culpabiliser les parents dont les enfants bénéficient d’un traitement médicamenteux et ainsi saper les efforts entrepris pour améliorer leurs conditions de vie au quotidien et leurs apprentissages scolaires » - ce qui est démenti par des études tout à fait approfondies. A l’évidence, « il faut beaucoup de détermination aux familles pour dépasser les idées reçues, afin d’accepter le diagnostic et trouver des solutions pour aider son enfant, après plusieurs années d’errance ». En l’occurrence, ce n'est pas du tout ainsi que cela se passe sur le terrain : les familles nous sollicitent désormais de façon assez systématique pour que nous validions leur diagnostic et le recours à la prescription est largement banalisé...Mais les mêmes rengaines sont toujours ressassées, jusqu'à la nausée, les mêmes ficelles rhétoriques : « il y a 20 ans on disait de l’autisme qu’il était lié à des mères incestueuses … Et maintenant Le TDAH serait-il encore associé aux mauvais parents ? »....Sérieusement
De son côté, la Fédération française des Dys (FFDys) ajoute également sa voix aux critiques de l’insupportable rapport du HCFEA. Ainsi, « c’est bien toute l'approche scientifique des troubles de l’enfant qui fait l'objet, dans ce rapport, d'une remise en cause polémique et agressive, construite sur des sous-entendus et nourrie de la pensée unique ». C’est quand même terrible : depuis des années, ces associations militantes s’acharnent, dénoncent, exercent une influence déterminante auprès des responsables politiques, et pourtant, certains osent encore exprimer des critiques, des voix dissidentes, discuter les « programmes fondés sur les preuves », suggérer d’autres façon de faire, mobiliser d’autres références…. Définitivement, cette démarche ne peut être que « polémique », « agressive », « nourrie de pensée unique »…Heu, sans vouloir faire de la psychanalyse de comptoir, ne s’agirait-il pas là d’un très bel exemple de projection ?
Plutôt que d’ouvrir le débat contradictoire, la discussion, il faut donc imposer, impérativement, de toute urgence, une révision critique du rapport du HCFEA par « des instances nationales expertes en santé reconnues et réunissant des experts reconnus sur le plan national et international dans le domaine des troubles du neurodéveloppement »….
Vous avez dit dogmatisme ?
N’oublions pas que ces associations de parents militent pour que les enfants soient assimilés, de plus en plus précocement, à un diagnostic revendiqué comme une assignation identitaire constitutive, qu’il s’agira alors de manager, d’optimiser, de rentabiliser, de performer…Dans cette conception, l’enfant n’est plus un sujet en devenir, en prise avec une histoire et un parcours identificatoire, mais « un sac de compétences » ou de « déficits », en besoin de remédiation et de perfectionnement. Dès lors, l’émergence progressive de l’autonomie infantile, à partir d’une situation de dépendance originaire, ne peut être acceptée et reconnue qu’à la condition de s’inscrire dans une trajectoire normée, de se conformer aux attentes familiales et sociales, de se soumettre à la soumission permanente aux injonctions extérieures.
Quelle place pour le désir, pour la parole, pour la subjectivité, pour la résistance des enfants dans ce canevas idéologique implacable ?
De fait, comme le souligne Nathalie Zottner, « la question de l’autonomie en psychiatrie infanto-juvénile est une question relative à plus d’un titre. Il nous paraît simpliste de considérer que le développement d’un enfant pourrait se réduire à l’apprentissage de normes, qu’il soit atteint d’une maladie mentale ou non. L’autonomie est intrinsèquement liée à un travail de symbolisation chez l’enfant et l’adolescent qui ne peut être séparé des affects et processus psychiques qu’il mobilise (angoisse, mécanisme de projection et de clivage…) ».
« D’une manière générale, une lecture uniquement par trouble au détriment d’une compréhension globale de l’expression de la souffrance de l’enfant conduirait sans nul doute à l’enfermer dans des catégories par ailleurs fort discutables et réductrices »…
Et comme le souligne le rapport si « tendancieux » et « agressif » du HCFEA, « l’essentiel pour aider l’enfant se situe au-delà du diagnostic, du côté d’une meilleure prise en compte de sa manière de s’organiser en fonction de ce qu’il ressent de sa difficulté, et de l’y aider. Et ce, aussi bien en termes de prévention des effets aggravants – comme la stigmatisation ou l’exclusion – que d’aides de soin, d’accompagnement, d’inscription scolaire et sociale »…
« Tenant compte de l’ensemble de ces enjeux, le Haut Conseil réaffirme son attachement aux pratiques psychothérapeutiques, d’éducation et d’intervention sociale qui font le cœur des soins et des accompagnements en pédopsychiatrie. Ces pratiques bénéficient d’un ancrage fort sur le terrain, dans les institutions et dans la formation des professionnels. S’il existe des écarts considérables entre les demandes et l’offre de soin en pédopsychiatrie en France ; un risque avéré de sur-médication de l’enfant et de substitution des pratiques psychothérapeutiques par des pratiques médicamenteuses ; des biais scientifiques, médiatiques et des conflits d’intérêts susceptibles d’influencer les demandes, les pratiques et les politiques de santé mentale à destination de l’enfant… il existe également des pratiques, des savoir-faire, des dispositifs et des institutions particulièrement favorables au soin de l’enfant et à l’accompagnement des familles, qui font leur preuve dans la clinique et constituent l’une des spécificités de la culture des soins psychiques en France ».
« La singularité de l’enfant est un axe cardinal des pratiques de soin psychothérapiques. Le cas par cas est à la fois un optimum et une condition minimale exigée en termes de pratiques de soin adressées à l’enfant, et consiste en l’élaboration de pratiques fondées sur sa singularité, la particularité de la rencontre et des différents moments qui scandent le déploiement du travail pour chacun. Il ne saurait se suffire d’adaptation de méthodes standards. La personnalisation de la relation thérapeutique se spécifie elle-même par « une tessiture » liée aux composantes de la rencontre entre un thérapeute, une structure, des équipes et l’enfant ».
Les rapporteurs du HCFEA sont décidément des idéologues acharnés, partiaux, agressifs, prosélytes, fanatisés…
Agrandissement : Illustration 6
Mais enfin ! De qui se moque-t-on ?
Afin de proposer un droit de réponse ajusté à la violence de ces attaques, nous proposerons prochainement une interview exclusive de Didier Salon-Macraud, nouvellement nommé délégué interministériel au management de l’enfance