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Billet de blog 28 juin 2023

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Arrêtez le massacre ! (3) : déni et retour de la violence

Alors que les chiffres concernant la maltraitance infantile sont préoccupants, en particulier pour les enfants en situation de handicap, un certain discours voudrait exclure l'éventualité d'abus lorsqu'un trouble du neurodéveloppement est diagnostiqué, au risque de négliger des situations à risque

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

"La vérité doit triompher des tabous, de tous les tabous. Donc aussi du caractère intouchable des parents" Günther Anders

Comme on l’a souligné précédemment, l’idéologie hégémonique concernant les troubles du développement de l’enfant met exclusivement l’accent sur les déterminismes génétiques et neuronaux, en occultant les facteurs environnementaux, relationnels, affectifs, sociaux, politiques, etc. A travers ce cadre normatif et autoritaire, il s’agit alors de dénier les dimensions traumatiques, les abus, les maltraitances, les violences, etc. – ce qui suppose, en contrepartie, de refuser de protéger, de nommer, de traiter, d’intervenir, en se polarisant sur des besoins univoques de rééducation et de remédiation…

Ce faisant, des aspects essentiels concernant le développement infantile sont tout simplement occultés :

- D’une part, la réalité tragique, omniprésente, scandaleuse, des maltraitances et des abus exercés sur les enfants tend à ne pas être suffisamment considérée. Or, lutter contre la violence faite aux mineurs suppose inévitablement de la regarder en face, plutôt que de détourner les yeux, en se réfugiant derrière des paravents idéologiques…Voici cependant quelques faits très concrets : en 2016, 67 enfants sont décédés dans un cadre intrafamilial, soit un enfant tous les 5 jours (4 enfants sur 5 avaient moins de 5 ans). En 2021, en France, le nombre de victimes de violences intrafamiliales a augmenté de 14%, avec 157 500 faits constatés sur l’année, après des hausses déjà marquées en 2020 (+10%) et en 2019 (+14%) (source : ministère de l'intérieur janvier 2022). D’après une enquête de la Haute Autorité de Santé datant de 2021, chaque année, 130 000 filles et 35 000 garçons subiraient des viols ou des tentatives de viols, en majorité incestueux. Par ailleurs, 400 000 enfants sont également co-victimes de violences conjugales (HCE). Chaque jour, 200 enfants subiraient des maltraitances d’après l’UNICEF. 10 000 enfants seraient également en situation de prostitution sur notre territoire selon la Fondation de France. L’incidence du syndrome du bébé secoué se situerait entre 22,1 et 52,4 cas pour 100 000 enfants de 1 à 11 mois….

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Et, quand les enfants parlent pour dénoncer les maltraitances, la justice place les plaintes sans suite dans les trois-quarts des cas. De surcroit, en situation épidémique, les mesures de confinement ont encore contribué à surexposer les enfants à la violence intrafamiliale dans un contexte d’affaiblissement des services de protection de l’enfance. Dans son « Histoire de la Violence », J.-C. Chesnais rapportait déjà qu’aux aux Etats-Unis, dans les années 70, un homicide sur quatre se déroulait dans le cadre familial ; et qu’en France, au XIXème siècle, on notait déjà parmi les violences mortelles qu’une moitié des délits graves portait sur l’ensemble parricides / infanticides…

De surcroit, les enfants présentant un handicap et des troubles du développement sont particulièrement exposés à la violence, et à sa scotomisation. Ainsi, un enfant handicapé sur trois subirait des violences. Comme le rappelle la ciivise, « parmi les enfants, ceux qui sont en situation de handicap, plus vulnérables encore, ont un risque 2,9 fois plus élevé d’être victime de violences sexuelles et les enfants dont le handicap est lié à une maladie mentale ou à une déficience intellectuelle sont 4,6 fois plus victimes (OMS, 2012). A cette survictimation s’ajoute une « sursilenciation» car les violences sexuelles faites aux enfants handicapés sont l’objet d’un déni plus sévère encore »….

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Dès lors, on peut s’étonner de l’absence totale de prise en compte de ces réalités dans les orientations officielles concernant la prise en charge des enfants présentant des Troubles du Neurodéveloppement, lesquelles tendent, au contraire, à favoriser prioritairement les suivis à domicile, avec une position familialiste affirmée venant occulter de façon systématique la possibilité de mauvais traitements de la part des parents…

- D’autre, part, l’affirmation développementale d’un enfant est toujours empreinte d’une certaine violence interactive, ne serait-ce que sur le plan pulsionnel et fantasmatique.

Or, on peut faire l’hypothèse d’une forme de contre-investissement de plus en plus massif de cette violence maturative fondamentale et de l’ambivalence parfois agressive qu’elle suscite, du fait de certains enjeux socio-historiques et idéologiques. Comme le soulignait Jean Bergeret, cette dénégation consiste à se voiler la face, à faire « comme si la violence n’était pas d’abord naturelle et même d’importance vitale, dès la naissance, chez chaque humain et comme si cette violence pouvait être intégrée, résorbée, une fois pour toute, sans réactivation possible ». Il y aurait là un fondement anthropologique insupportable, qu’il conviendrait d’effacer pour rendre l’être humain conforme à l’image qu’on veut s’en donner. Par exemple, selon Bergeret, « les chrétiens, en accord avec l’évolution de la socioculture occidentale, ont eu besoin d’opérer une dénégation de la violence instinctuelle et d’établir un certain nombre de formations réactionnelles ». Cependant, on peut faire sortir la violence par la porte, mais elle rentrera par la fenêtre…Et, dès lors cette violence occultée demeurera non intégrée, non élaborée, non mobilisable, restant à l’état flottant, et susceptible de se décharger ou de se retourner. De fait, non-reconnue, la violence ne peut pas être liée ; elle reste clivée. Ce qui n’est pas sans rapport avec l’expression insidieuse d’une forme de haine de l’enfance...

Au fond, les orientations actuelles dans le champ du handicap infantile entérinent cette tendance d’au moins deux façons :

D’un côté, il s’agit prioritairement de rééduquer, de faire en sorte que l’enfant rentre dans un moule normatif, en imposant des protocoles de remédiation suite à un repérage précoce des déviances. Là, les velléités d’affirmation subjective et les divergences doivent tout simplement être éliminées.

D’un autre côté, il convient désormais de nier, purement et simplement, les enjeux relationnels et affectifs dans le développement infantile, ainsi que les éventuels dérapages du côté de l’emprise ou de la maltraitance. Les enfants présentant des TND, soit 1 sur 6 d’après la délégation interministérielle à l’autisme, ne pourraient donc souffrir que d’un programme génétique défaillant, et non de circonstances interactives ou environnementales défavorables. En conséquence, ces enfants devraient prioritairement être reconditionnés, mais surtout pas protégés par rapport à l’éventualité de dynamiques relationnelles délétères, voire de mauvais traitements…

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Voici par exemple certaines recommandations que l’on peut trouver dans un « kit pédagogique » sur le site handicap.gouv, de façon à éviter les signalements abusifs…

« Un enfant autiste ou TDAH peut faire des crises très violentes et bruyantes sans qu’il y ait la moindre maltraitance de la part de ses parents : tant qu’ils n’ont pas le « mode d’emploi » de leur enfant, les parents sont démunis, ne savent pas prévenir ou désamorcer les crises et assistent, impuissants, à des comportements violents. Ils peuvent aussi, être nerveusement à bout, adopter des gestes inadéquats pour faire cesser les crises ou adopter des stratégies inopérantes qui renforcent les difficultés de leur enfant (punitions à répétition par exemple). Dans ce cas, les travailleurs sociaux qui se déplacent à domicile ont à démêler une situation particulièrement complexe et qui, sans éclairage sur l’hypothèse d’une suspicion de TND, peut de fait déboucher sur une suspicion de maltraitance ». Visiblement, il y aurait exclusion mutuelle entre handicap et maltraitance, alors que, dans la réalité, ces deux dimensions peuvent s’auto-renforcer. Par ailleurs, envisager des mesures de protection ne signifie pas accabler ou accuser un parent, bien au contraire…Il s’agit prioritairement d’entendre le désarroi, l’impuissance, la violence que certaines situations douloureuses peuvent charrier. Il s’agit aussi de nommer, plutôt que de se maintenir dans le déni, ce qui ne serait un soutien ni pour l’enfant, évidemment, ni pour la famille…

En janvier 2021, la Haute Autorité de Santé publiait un cadre national de référence pour l’évaluation globale de la situation des enfants en danger. Or, ce référentiel évoquait à nouveau la question des troubles du neuro-développement, « dans la perspective de bien les distinguer avec la maltraitance ». Dans l’évaluation d’une situation à risque, il faudrait donc repérer des signes d’un TSA ou d’un TDAH, pour ne pas confondre…car, « les comportements synonymes de maltraitance de ceux qui indiquent un TND (…) sont souvent similaires ». On imagine l’intensité du lobbying qui a permis qu’on en arrive à ce genre d’aberration. En arrière-plan, se profile donc un désaveu pur et simple des professionnels qui pourraient oser pointer l’éventualité de maltraitances dans des situations de handicap infantile, sans pour autant établir de lien de causalité. A cette fin, « un annuaire de médecins référents en matière de TND est diffusé ce mois de mars 2022 aux cellules départementales de recueil des informations préoccupantes (Crip) et aux magistrats pour mettre fin à la confusion entre maltraitance et TND »…

On en arrive finalement à une situation tout à fait paradoxale, dans laquelle il deviendrait problématique, voire interdit, de supposer qu’un enfant autiste puisse être victime de maltraitance – ce qui, soit dit en passant, ne revient pas à imputer l’étiologie de son trouble autistique à d’éventuelles « négligences » parentales…

Claire Compagnon, ex-déléguée interministérielle à la stratégie nationale pour l’autisme, cherchait ainsi des « témoignages pour attester de la réalité des informations préoccupantes et signalements dont les parents d'enfant autiste ou TDAH font l'objet », insupportable discrimination…De fait, d’après certains médias « un parent d’enfant autiste ou TDAH, souhaitant défendre les droits fondamentaux de son enfant, peut être la cible des institutions et devenir l’objet d’une information préoccupante (IP). Les services de l’aide sociale à l’enfance, ignorant les problématiques liées à autisme, rendent des rapports à charge, souvent contre les mères, niant les diagnostics et estimant que les troubles des enfants sont liés à une carence éducative ». Par exemple, les professionnels, évidemment incompétents et mal formés, auraient tendance à interpréter les troubles du comportement comme un défaut d’autorité parentale…Quelle bande de buses ignares, prenant des lanternes pour des vessies ! Il faudrait donc leur expliquer que des enfants négligés sur le plan de l’hygiène, de l’alimentation, du sommeil, ou présentant des marques corporelles, ne devraient pas mobiliser une vigilance particulière si un handicap spécifique a été diagnostiqué. Ainsi, « les enfants autistes peuvent aussi se blesser par maladresse ou s’automutiler pour essayer de réguler leurs angoisses »… Donc, circulez, y-a rien à voir, sinon, « face à l’organisation de ce système, les parents autistes plus que les autres sont victimes d’une discrimination liée à leur handicap ». La priorité est ainsi clairement énoncée : ne pas discriminer, quitte à laisser des enfants subir une maltraitance insidieuse…

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Pourtant, les professionnels de la protection de l’enfance ne sont pas mandatés pour énoncer des hypothèses quant aux causes du handicap, mais bien pour protéger les enfants, handicapés ou non…Rappelons d’ailleurs qu’il y a obligation pour toute personne de signaler par une Information Préoccupante toute situation d’enfant « pouvant laisser craindre que sa santé, sa sécurité ou sa moralité sont en danger ou en risque de l’être ou que les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises ou en risquent de l’être. La finalité de cette transmission est d’évaluer la situation d’un mineur et de déterminer les actions de protection et d’aide dont ce mineur et sa famille peuvent bénéficier ». Il ne s’agit donc pas de vilipender ni de condamner, mais de soutenir et de protéger…Et la loi y contraint chaque citoyen, professionnel de l’enfance ou pas…Suite à la réception d’une Information Préoccupante, la CRIP (Cellule de Recueillement des Informations Préoccupantes) peut demander une enquête pour avoir davantage d’éléments permettant d’apprécier la situation. Au décours, plusieurs options sont possibles :

-Classer l’affaire sans suite s’il n’y a aucune preuve de mise en danger de l’enfant

-Maintenir une mesure d’évaluation prolongée

-Proposer une protection administrative ou judiciaire, avec un accompagnement spécifique dans le cadre de la prévention socio-éducative, médico-sociale ou sanitaire

-Alerter le procureur de la République en cas de danger immédiat et avéré pour l’enfant, ce qui peut éventuellement aboutir à un placement spécifique, en foyer ou sur un lieu de soins.

Or, pour certains mouvements familialistes, ce système gradué de protection de l’enfance « s’est transformé en machine à broyer des familles bienveillantes car il comporte un nombre important de failles, permettant à différents acteurs de ce processus de s’appuyer sur des preuves peu tangibles de danger ». « Cela aboutit à des situations dramatiques ou des enfants sont retirés de leur famille aimante pour être placés dans des lieux inadaptés »…En l’occurrence, ce que nous observons sur le terrain a davantage trait à une inertie et une inaction tout à fait problématique, laissant des enfants maltraités en « placement à domicile », réitérant sans cesse des mesures d’évaluation, interrompant les mesures d’accompagnement éducatives parce que les parents ne sont pas compliants et ne viennent pas aux rendez-vous…. Certes, l’Aide Sociale à l’Enfance peut dysfonctionner, sans aucun doute – du fait notamment d’un manque tragique de moyens…Mais en général, cela pêche essentiellement du côté du déni, du retard et de l’incohérence.

Dans la même logique, comment appréhender les refus de soin, avec des parents qui décident d’interrompre des prises en charge contre l’avis des professionnels ? Selon les mouvements défendant absolument les familles, les parents devraient toujours être souverains, et susceptibles de rompre à tout moment le lien avec un soignant qui pourrait venir questionner certaines dynamiques éducatives ou relationnelles. D'ailleurs, en 2014, la Haute Autorité de Santé indiquait qu'à  peine 5% des signalements pour maltraitance des enfants provenaient du secteur médical...ce qui témoigne sans doute d'un défaut de signalement des professionnels de la santé -notamment dans les cas de violence sexuelle-, plutôt que d'une impériosité à solliciter les services socio-éducatifs à la moindre rupture thérapeutique...

Des faits divers sont régulièrement instrumentalisés pour alimenter cette antienne ressassée jusqu’à la nausée : les institutions soignantes, éducatives et l’Aide Sociale à l’Enfance auraient comme finalité de broyer les familles…

Ainsi, dans « Libération », journal qui avait pu en son temps promouvoir la libération sexuelle à l'égard des enfants, le placement de trois enfants est imputé sans nuance au motif que leur mère « serait responsable de leurs troubles du développement » - alors même que ses enfants présenteraient des troubles autistiques, ce qui éliminerait d’office l’éventualité de carences éducatives…Danièle Langloys, présidente d’Autisme France dénonce ainsi les dérives de l’Aide Sociale à l’Enfance : « il y a globalement des placements abusifs mais, dans le champ de l’autisme, ça devient systématique », avant de basculer dans un délire aux forts relents complotistes : « la dictature psychanalytique a été ébranlée. Les psychanalystes n’ont pas accepté [les recommandations de bonnes pratiques de la HAS], ils se sentent menacés et se retournent contre les familles. Il y a un acharnement haineux. C’est leur pouvoir et leur argent qui est en jeu. Ils se sentent implicitement désavoués ». En l’occurrence, la psychanalyse a toujours tort : d’un côté, Freud et ses disciples sont accusés d’avoir négligé les abus sexuels infantiles, alors même que le père de la psychanalyse avait mis le doigt dessus à une époque où cela était inentendable. De l’autre, on l’accuse de vouloir systématiquement culpabiliser les parents en abordant les enjeux relationnels et affectifs dans le développement infantile…Par ailleurs, les décisions des juges, des assistantes sociales, des services éducatifs, sont imputées à l’influence psychanalytique, qui consisterait à prendre en compte les liens et les dynamiques groupales…Penser qu’un parent puisse être impliqué dans les troubles de son enfant ne signifie pas qu’il en est la cause, mais que cette situation éprouvante mobilise des affects, des ressentis, des fantasmes, qui s’intriquent inévitablement avec les symptômes infantiles.

En revanche, quand un expert psychiatre remet en cause le diagnostic, il s’agit forcément d’un rapport « complètement accusatoire », comme si aucun doute n’était permis quant à la caractérisation des troubles d’un enfant…

En 2015, Danièle Langloys avait déjà rédigé un rapport sur « le broyage des familles d’enfants autistes » et les violations de droits par l’Aide Sociale à l’Enfance. Cette présidente de l’association « Autisme France », décorée de la légion d’honneur, membre du CNCPH (Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées), membre titulaire du Conseil de la CNSA (Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie) , experte auprès de la Haute Autorité de Santé ou de l’ANESM (Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux), et formatrice, a construit toute sa carrière et sa notoriété médiatique sur des prises de position très idéologiques concernant l’autisme. Pour Mme Langloys, « les services sociaux des départements sont des zones de non-droit, où l’on peut s’acharner contre des victimes innocentes, dont la défense est parfois impossible, sans contrôle. Les personnels n’y ont pas vraiment de formation adaptée, le handicap n’y est pas connu, l’autisme y relève encore souvent d’une vision psychanalytique de comptoir, on peut y accuser sans preuves des mères de pathologies inventées de toutes pièces, avec la complicité́ de l’appareil judiciaire, et des experts qu’il nomme ». En outre, « les menaces de signalement y sont fréquentes, dès lors que la famille conteste le diagnostic posé ou les interventions proposées ». La protection de l’enfance et la lutte contre la maltraitance infantile, en dépit de leurs insuffisances multiples, sont donc appréhendées comme des instances persécutrices, sous l’égide d’une psychanalyse occulte et satanisée…Il est tout de même étonnant que des personnes attisant ainsi de virulentes chasses aux sorcières pour imposer autoritairement des méthodes conformes, validées, basées sur les preuves et les recommandations de bonne pratique, puissent, dans le même temps, affirmer des élucubrations quasi délirantes sans aucun fondement ni données probantes. Par exemple, « si la mère souhaite obtenir un diagnostic de trouble neuro-développemental, c’est forcément qu’elle nie sa culpabilité́ : elle doit donc être dénoncée et sanctionnée ». Pour rappel, une information préoccupante n’est ni une dénonciation, ni un appel à sanction, mais l’expression d’une inquiétude et d’un besoin de protection concernant un enfant suspecté d’être en danger…Cependant, pour Mme Langloys, il s’agit tout simplement d’un « déni par la structure qui fait le signalement du diagnostic d’autisme ou des craintes de la famille », voire d’un « acharnement à décrire la mère comme malfaisante et perverse ». Au final, dans le champ de l’autisme, les familles seraient littéralement « maltraitées » par les services socio-éducatifs, qui peuvent même, sans aucun fondement, pousser « à la judiciarisation, avec son cortège de drames » … Soulignons au passage qu’un juge des enfants est là pour protéger, et non pour sanctionner.

Illustration 5

En ce qui concerne les manifestations d’emprise et de violences psychologiques sur enfant, Mme Langloys incite à une prudence légitime, qui ne devrait cependant pas basculer dans une forme de déni alimenté par un militantisme idéologique ;  « le caractère subjectif de cette définition de la violence psychologique pose problème : par exemple l’attitude fusionnelle extrême, laissée à l’appréciation d’assistantes sociales ou psychologues avec une formation inadaptée, réduite à de vagues connaissances freudiennes, peut entrainer de graves accusations ». Certes, il faut reconnaitre qu’il est parfois difficile d’évaluer, et qu’il faut nécessairement adopter une posture d’humilité et de tact. Mais rappelons-le : il est parfois criminel de laisser perdurer une situation dans laquelle la maltraitance peut se déployer de manière insidieuse, avec des conséquences tragiques sur le devenir d’un enfant…

Selon Mme Langloys, les troubles autistiques peuvent s’exprimer à travers des symptômes susceptibles d’être confondus avec des négligences éducatives : habillement mal adapté, hématomes (sic), absentéisme, conduites à risques et tentatives de suicide, etc. Sans doute, mais cela suppose tout de même de pouvoir évacuer le fait que ces manifestations puissent être surdéterminées, et impliquer à la fois des spécificités neurodéveloppementales, mais aussi des formes de maltraitance non intentionnelles, non causales, et traduisant le désarroi de parents ayant besoin d’être soutenus. Selon Mme Langloys, les traumatismes ne pourraient jamais être liés à des abus intrafamiliaux, mais plutôt aux conséquences des services de protection de l’enfance… « L’aboutissement de ces investigations lancées par la justice est le plus souvent dramatique : familles et mères montrées du doigt, calomnies qui tournent en boucle, engrenage monstrueux où tout ce que peut dire une personne se retourne systématiquement contre elle, enfants traumatises, vie permanente sous la menace du placement des enfants ».

Le prosélytisme de Mme Langloys se déploie également devant les parlementaires, à l’Assemblée Nationale, en toute impunité. Évoquant à nouveau les informations préoccupantes abusives, « auxquelles les élèves autistes leurs familles payent un très lourd tribut », Mme Langloys accuse désormais les « membres de l’Éducation nationale qui les formulent dès lors qu’ils repèrent une difficulté de comportement, au lieu de se demander – mais encore faudrait-il qu’ils soient formés pour cela – si un trouble neurodéveloppemental n’est pas à l’origine de cette difficulté de comportement. Faute de culture – je n’assassine personne, je constate – on en déduit une carence éducative ou, pire encore, une carence affective. Évidemment, c’est toujours la mère qui « prend » dans ces cas-là, car la France baigne encore dans une culture psychanalytique très machiste : la mère est toujours coupable ». Donc, pour Mme Langloys, un professionnel qui exerce sa mission en témoignant d’inquiétudes à l’égard d’un mineur et de sa situation familiale chercherait « à les punir et à leur faire honte en leur expliquant que ce n’est pas ainsi qu’on élève un enfant ».

Illustration 6

La désinformation peut aller très loin, malgré les retards d’intervention et les dommages qu’une telle propagande peut induire…Lors d’une « Mission d’information de la Conférence des présidents sur l’aide sociale à l’enfance » en mai 2019, plusieurs représentants d’associations regroupant des parents qui, à divers titres, contestent les décisions de placement de leurs enfants, étaient auditionnés à l’Assemblée Nationale – sans représentants de l’Aide Sociale à l’Enfance ou professionnels de terrain pour apporter une quelconque contradiction.

A cette occasion, Mme Danièle Langloys a pu ressasser son discours habituel : « beaucoup de placements sont systématiques, au sens où l’on ne se demande pas ce que l’on pourrait faire d’autre ». Il s’agirait là d’un « engrenage diabolique par lequel on s’acharne parfois sur certains types de familles dans certaines situations » - en l’occurrence, cette discrimination concerne surtout les origines et le niveau socio-économique familiaux…. Reconnaissons-le, le secteur de l’Aide Sociale à l’Enfance connait effectivement de graves dérives, en rapport avec un délaissement de plus en plus dégueulasse de la part des pouvoirs publics. La plupart du temps, des enfants subissant des maltraitances avérées restent tout simplement à domicile, sans mesure réelle de protection…Et les familles maltraitantes peuvent exercer leur destructivité avec une certaine impunité, sans être inquiétées. Manifestement, la souveraineté parentale prime sur la défense des enfants. Dans d’autres circonstances, on peut aussi constater une certaine précipitation, avec des mesures de placement très abruptes et sans préparation – alors même qu’il n’y a pas forcément de dangerosité immédiate. Mais ces situations concernent très majoritairement des familles précaires, issues de l’immigration, sans capital économique ou symbolique…De surcroit, les enfants placés par l’Aide Sociale à l’Enfance peuvent désormais se retrouver accueillis sur des Maisons d’Enfants à Caractère Social géré par des entreprises d’intérim, à but lucratif, avec une précarisation à tous les niveaux…Par ailleurs, ce type de structures expérimentales se proposent de recevoir à bas coûts tous les profils de mineurs, indépendamment des traumatismes, des manifestations psychopathologiques, des risques de passage à l’acte, des besoins de soins spécifiques…Il faut dire que cela coûterait de trois à cinq fois moins cher qu’une place dans une institution dédiée à des enfants très vulnérables et polytraumatisés… C’est donc officiel : la souffrance infantile est désormais un secteur à forte potentialité lucrative, susceptible de dégager de juteux profits…Bref, ce tableau catastrophique n’est pas en rapport avec le manque de connaissance des professionnels vis-à-vis des Troubles Neurodéveloppementaux, mais davantage avec des orientations politiques délibérées de désengagement collectif à l’égard de l’enfance en souffrance…Mais ce n’est évidemment pas le dogme que remâche Mme Langloys : « l’absence de formation des travailleurs sociaux me paraît être le problème majeur, parce que c’est d’abord à cause d’eux que s’enclenchent ces engrenages. Ils n’ont pas d’autre formation que la psychanalyse, ce catéchisme misogyne qui accuse les femmes d’être des mères fusionnelles, de ne pas laisser leur place aux pères » - quel magnifique résumé de la psychanalyse ! Évoquant par exemple une situation de placement d’enfants, Mme Langloys affirme que « le CMP s’est vengé » à travers une information préoccupante, parce que la mère aurait insisté pour faire diagnostiquer ses enfants contre l’avis des professionnels. On pourrait sans doute imaginer qu’il y avait vraisemblablement d’autres éléments d’inquiétude en jeu…Et, pour votre gouverne, Mme Langloys, une information préoccupante n’est pas une vengeance, mais l’implication éthique d’une personne qui assume sa responsabilité de faire part d’un souci en termes de protection de l’enfance, et qui sollicite une évaluation tierce. Ce type d’écrit et très cadré par la Loi, il est impossible de divaguer ou de régler des comptes.... D’ailleurs, suite à cette information préoccupante, une mesure éducative s’est effectivement mise en place – ce qui signifie que la CRIP l’a jugée nécessaire…Mme Langloys voudrait cependant faire croire que la seule problématique de cette famille tournait exclusivement autour de la question du diagnostic, et que les professionnels n’étaient là que pour s’opposer au droit de la mère à faire diagnostiquer ces enfants…En tout cas, la mesure éducative a finalement abouti à un signalement judiciaire, et à une expertise psychiatrique pointant certains dysfonctionnement dans le fonctionnement familial et suggérant un « syndrome de Münchhausen par procuration ». Cela fait tout de même un sacré nombre de professionnels qui se sont préoccupés pour cette famille, avant qu’un placement soit décidé ; souvent, il n’y a pas de fumée sans feu …. Mais toutes ces instances pluriprofessionnelles convergeant dans leur préoccupation à l’égard des enfants étaient sans doute aveuglées par leur méconnaissance des TND, et endoctrinés par la psychanalyse selon Langloys, « système de croyance fondé sur des notions archaïques : le père organise le rapport à la loi, la mère est fusionnelle … ». Sans oublier « de-ci de-là, des travailleurs sociaux pervers qui harcèlent les enfants et les parents », quand ils ne sont pas « victimes d’une chaîne : quand ni le médecin ni l’Éducation nationale n’ont fait leur travail ». Que d’incompétence et de haine à l’égard des familles chez tous ces travailleurs de terrain…

Dès lors, la priorité, plutôt que de redonner des moyens effectifs aux structures de prévention, de soins, à la justice, au médico-social, à l’Aide Sociale à l’Enfance, etc., serait de « reformater » les professionnels déconnants : « les psychologues, les travailleurs sociaux mais aussi les médecins et particulièrement les pédopsychiatres, dont les conceptions sont idéologiques, doivent être formés à la prise en charge des troubles neurodéveloppementaux ».

Dans cette logique, l’école pêche également par son manque d’expertise concernant ces troubles, ce qui l’amène à s’impliquer de manière inadaptée dans le repérage et la prévention des situations de maltraitance : « l’Éducation nationale est, de loin, le premier pourvoyeur d’informations préoccupantes : plus de la moitié en provient. L’école repère des difficultés de comportement en classe, qu’elle attribue globalement à des carences éducatives car elle n’a pas d’autres critères ».

Lors de cette audition à l’Assemblée Nationale, Mr Sylvain Moraillon, vice-président de "Violette Justice", défendant les parents d’enfants placés abusivement, soulignait tout de même, par honnêteté, qu’un nombre non négligeables de sollicitations pouvaient émaner de  « " fausses victimes" : parents réellement défaillants, plus rarement maltraitants ou cherchant à instrumentaliser l’association pour nuire à leurs ex-conjoints ; personnes présentant des troubles psychiatriques variés – mythomanie, tendances schizophrènes, propension à la mégalomanie – ou individus en quête de reconnaissance ». Comment, il pourrait exister d’authentiques maltraitances familiales, et pas simplement des abus des professionnels de la protection de l’enfance ?!

Illustration 7

Et Mme Perrine Goulet, la rapporteure, s’est sentie obligée de ramener certains éléments de réalité par rapport aux assertions de certains représentants associatifs : « S’agissant de la rupture du lien, que vous présentez comme systématique, je me suis rendue dans plusieurs instances où j’ai pu constater que, même en cas de difficultés parentales, les parents ont accès à leurs enfants.
L’idée selon laquelle plus il y aurait d’enfants placés et plus les départements y gagneraient en financements est une idée fausse »…

Parfois, en revenir à la réalité des faits peut avoir du bon…

Mais il faut dire que, par rapport à ces enjeux de la protection de l’enfance, l’État s’est mis dans une position très paradoxale.
Car, d’un côté, il faudrait garantir l’absolue souveraineté des familles, et accepter sans limite le choix des parents en termes d’éducation au sens large.

D’un autre côté, les maltraitances intrafamiliales constituent à l’évidence une problématique à la fois éthique, mais aussi de santé publique voire socio-économique. Les enfants victimes d’abus présentent davantage de problèmes socio-affectifs ou comportementaux : troubles dépressifs, alimentaires, anxiété, faible estime de soi, colère, idées suicidaires, agressivité, impulsivité, comportements d’opposition, violences dans les relations intimes, délinquance, consommation importante d’excitants et de stupéfiants, etc. Des effets négatifs sur le plan du développement neuro-cognitif sont également observés : dégradation de la capacité d’attention, ralentissement du développement du langage, troubles des apprentissages…

Dès lors, les pouvoirs publics incitent à « libérer la parole », tant des enfants mais également des adultes témoins ou encore des professionnels soupçonnant de quelconques actes potentiels de maltraitance – tout en mettant concrètement des bâtons dans les roues, ou en manifestant de la suspicion à l’égard des « lanceurs d’alerte »…Certains pédopsychiatres ont ainsi été condamnés par le Conseil de l’Ordre pour avoir signalés certaines situations préoccupantes…
Par ailleurs, contrairement à certains discours, « les caractéristiques mêmes de l’autisme représentent un facteur de risque de maltraitance dans le milieu familial, en constituant dès les premiers mois de vie un facteur de stress supplémentaire pour les parents »…Ainsi, le repérage d’un Trouble Neurodéveloppemental ne devrait pas faire baisser la garde quant à l’éventualité de mauvais traitements, bien au contraire, dans la mesure où ces familles sont plus vulnérables, ressentent du désarroi, de l’impuissance, et ont souvent besoin d’être aidées et soutenues.

Cependant, pour en revenir à l’autisme, les méthodes « validées » et recommandées dans la prise en charge se polarisent autour de la gestion et de la normalisation des « comportements-problèmes », « comportements culturellement anormaux (...) qui limitent probablement ou empêchent l’accès aux services ordinaires de la communauté » (E. Emerson). L’objectif sera alors de diminuer l’apparition de ces manifestations comportementales, à travers des stratégies de rééducation très normatives. Ainsi, l’ABA vise principalement « l’augmentation de l’apparition des comportements socialement acceptés », et « la diminution de la fréquence d’apparition des comportements inadaptés », c’est-à-dire une mise en conformité très validiste à l’égard des normes socio-culturelles. N’y-a-il pas là une certaine forme de violence, comme peuvent d’ailleurs en témoigner de nombreuses personnes décrivant des symptômes post-traumatiques au décours de ces méthodes de dressage ? A force de nier la violence, on risque tout simplement d’en nier la prégnance…


« Je ne comprends pas que nous puissions rester aveugles à l’ubiquité de l’agressivité et de la destruction non erotisées et négliger de leur accorder la place qu’elles méritent dans l’interprétation des phénomènes de la vie » Sigmund Freud, Malaise dans la civilisation

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