Placer la réforme de l’école primaire au fondement de la reconstruction de l’Ecole de la République ne pouvait que réjouir tous ceux qui sont attachés à la qualité et à la démocratisation de l’enseignement. On se prend à douter sérieusement que de tels objectifs puissent être atteints au vu des nouvelles épreuves du concours de recrutement de professeurs des écoles (CRPE).
Celles-ci n’entendent sélectionner systématiquement les candidats que sur leurs compétences en français, en mathématiques (à l’écrit) et en EPS (à l’oral). Une seule option sera choisie à l’oral parmi sept autres « domaines » qui deviennent exclusifs les uns des autres. Il s’agit des sciences et technologie (qui regroupent la physique, les sciences de la vie et de la Terre et la technologie), de l’histoire, de la géographie, de l’histoire des arts, des arts visuels, de l’éducation musicale, de l’enseignement civique et moral. Excusez du peu ! Et encore, les candidats n’auront à présenter lors de cette épreuve qu’un dossier qu’ils auront élaboré à l’avance, seul ou avec des tiers, relatif à une séquence d’enseignement sur un seul sujet inscrit dans les programmes scolaires du « domaine » retenu, dossier qui fera ensuite l’objet d’un entretien mené par un jury.
Ce type d’épreuve ne permet pas de vérifier la maîtrise des notions fondamentales dans les différents « domaines » que les candidats auront à enseigner dès l’année suivante, en cas de réussite au concours. Qui plus est, ce type d’épreuve les incite à focaliser tout leur travail de préparation au concours sur un seul sujet dans un domaine et ce au détriment d’une appropriation des autres notions de ce domaine ainsi que de celles des six autres domaines également au programme de l’école primaire.
Un étudiant titulaire d’une licence de mathématique pourrait ainsi choisir de présenter à l’oral du concours un dossier sur un seul des aspects du programme de sciences et technologie. En cas de succès, il devrait enseigner dès l’année suivante les sciences de la vie et de la terre, la physique, la technologie, l’histoire, la géographie, l’histoire des arts, les arts plastiques, l’éducation musicale et dispenser un enseignement civique et moral, sans avoir reçu de réelle formation en ces domaines. Son dernier contact avec ces disciplines pourra remonter à ses souvenirs des années de lycée, sachant qu’il avait préféré la voie des mathématiques en licence… De même, si un étudiant a suivi un cursus littéraire en licence et s’il présente un dossier en histoire des arts par exemple, ses compétences en sciences et technologie, histoire, géographie, arts plastiques, éducation musicale, enseignement civique et moral, relèveront d’un pari que la lourdeur des premières années d’enseignement transformeront en chimère.
Des enseignements plus diversifiés et obligatoires en Master 1 permettraient-ils de remédier à cette situation dommageable ? Seule la réussite au concours permettant de devenir professeur stagiaire en Master 2, les étudiants, pour optimiser leur chance de réussite, porteront en toute logique leurs efforts sur les enseignements préparant aux épreuves qu’ils auront à affronter. Ils n’auront guère le loisir de s’investir dans les quelques heures de « formation pour plus tard ». Il serait au mieux naïf de prétendre le contraire. Autre illusion, limiter le nombre des « domaines » faisant l’objet d’une épreuve au concours n’est pas un gage d’allègement de la préparation du concours pour les étudiants : le principe concurrentiel d’un concours fait que la quantité d’efforts pour réussir ne sera pas diminuée mais sera concentrée sur quelques disciplines. Enfin, que l’on imagine l’ennui des candidats qui se profile lors de cette année de préparation de concours centrée uniquement sur deux disciplines ; beau tremplin pour une profession déjà bien mise à mal par les réformes précédentes
C’est bien la polyvalence des professeurs des écoles qui est en jeu. Rappelons qu’il ne s’agit pas de former des spécialistes de toutes les disciplines enseignées, mais de leur assurer une formation qui leur permette de transmettre et d’élaborer avec leurs élèves la compréhension des fondements du monde dans lequel ceux-ci vivent et sont appelés à devenir des citoyens actifs. L’école doit très certainement apprendre aux enfants à lire, écrire et compter, mais son objectif ne peut se réduire à cela. Rendre la formation des professeurs des écoles optionnelle en sciences et technologie, histoire, géographie, histoire des arts, arts plastiques, éducation musicale, enseignement civique et moral, c’est refuser de donner aux enfants – surtout à ceux qui n’ont que l’école pour apprendre – le goût de ces domaines, à un moment décisif de leur développement, et des bases solides pour démarrer leurs apprentissages. En rendant très aléatoire la polyvalence effective des professeurs des écoles, l’école primaire ne ferait que renforcer les processus de reproduction sociale : elle accentuerait l’avantage des élèves arrivant au collège qui auront pu bénéficier dans leur environnement familial ou social d’une culture scientifique et technique, historique, géographique, artistique, philosophique.
Parce que nous pensons que les professeurs des écoles doivent être réellement polyvalents, parce qu’il en va de la démocratisation de l’école de la République, nous souhaitons que les épreuves du CRPE soient remaniées et assurent une sélection des candidats sur une réelle maîtrise de la polyvalence, au fondement de la mission et aussi du plaisir d’enseigner des professeurs des écoles de la République.
Voici un lien vers un appel - lancé par uncollectif d'enseignants, formateurs et chercheurs de plusieurs disciplines - que vous pouvez signer en précisant votre statut, votre discipline et son lieu d'exercice :
http://universites.ouvaton.org/polyvalence_professeurs_des_ecoles/