Parler d'une "banalisation" de l'IVG, c'est faire d'abord écho à l'idée qu'un grand nombre de femmes (et autres personnes concernées) utilisent l'avortement comme un moyen de contraception. Elles se permettent d'avorter comme elles prendraient la pilule car au fond, pour elles, avoir recours à l'IVG est confortable.
Alors soyons clair.e.s: "l'avortement de confort" est avant tout un concept antithétique par excellence. Il n'y a rien de "confortable" dans un avortement. Une IVG médicamenteuse peut provoquer des douleurs et des saignements très abondants. Une IVG par aspiration est une procédure chirurgicale souvent réalisée sous anesthésie locale, ou générale. Dans les deux cas, elle peut souvent nécessiter plusieurs jours d'arrêt de travail (n'en déplaise à certain.e.s gynécologues).
"L'avortement de confort" est ensuite un concept qui ne repose sur aucune réalité factuelle. Selon l'Inspection Générale des Affaires Sociales, 3 avortements sur 4 concernent des personnes sous contraception. L'IVG ne "remplace" donc pas la contraception, mais un grand nombre de femmes y ont recours car leur contraception est inadéquate, ou inefficace.

Parler d'une "banalisation" de l'IVG, c'est aussi sous-entendre que l'avortement est considéré par notre société comme un acte absolument anodin, voire anecdotique. C'est donner l'impression que l'IVG est envisagée comme une procédure médicale lambda, et qu'il est fréquent de dire "aujourd'hui, je suis allé.e avorter" comme on dirait "aujourd'hui, je suis allé.e me faire soigner une carie" ou même "aujourd'hui, je suis allé.e faire un frottis". Soyons réalistes, cela n'arrive presque jamais. Même dans un pays comme la France, qui est doté d'une des législations les plus avancées en termes d'accès à l'IVG, cet acte reste un énorme tabou sociétal.
Je m'en suis d'ailleurs rendue compte lors de deux conversations que j'ai eu avec des amies féministes. Alors que nous discutions précisément (et depuis plusieurs minutes) du silence qui entoure le recours à l'avortement, ces deux amies en sont venues à déclarer "d'ailleurs, je te le dis, j'ai avorté". Leurs témoignages m'ont semblé très représentatif de la puissance du tabou entourant l'avortement. Même dans les milieux les plus militants, l'IVG reste majoritairement un acte caché (ou tout du moins secret), que l'on évoque comme une confession (voire un aveu).
Or, si 1 femme sur 3 a eu recours a l'IVG au moins une fois dans sa vie, cela implique que, quel que soit notre milieu (y compris s'il est très hostile à l'IVG), nous connaissons forcément une ou plusieurs femmes qui ont avorté. Mais nous ne le savons pas, car elles n'en parlent pas. Dans notre société, le recours à l'avortement doit être caché, peu discuté et ne surtout pas être revendiqué. Et lorsqu'elles en parlent, on attend très souvent des femmes qu'elles expriment des regrets ou une forte souffrance vis-à-vis de leur choix. D'ailleurs si elles ne le font pas, on se charge régulièrement de leur rappeler qu'elles devraient se sentir mal. Même si ce n'est pas le cas, elles DOIVENT se sentir coupable car, au fond, on estime encore largement qu'elles le sont.

Alors non, il n'y a pas de "banalisation" de l'IVG en France, loin de là. Et si une dé-dramatisation de l'avortement semblerait bienvenue, il y a par contre une culpabilisation généralisée des femmes qui avortent.
EN BREF
Déplorer la "banalisation" de l'IVG en France c'est:
- Entretenir le mythe de "l'avortement de confort", concept antithétique ne reposant sur aucun chiffres concrets, puisque la grande majorité des personnes qui avortent sont sous contraception.
- Nier le puissant tabou sociétal qui entoure l'avortement.
- Participer à la culpabilisation des personnes qui ont recours à l'IVG.