Billet de blog 14 août 2021

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Tenochtitlan tomba il y a 500 ans

Cet effondrement de l’empire aztèque lors de la prise de sa capitale, ce joyau luxuriant s’étendant sur le lac de Texcoco, marqua la fin tragique d’un monde et d’une époque. Terribles guerriers oppresseurs, les Aztèques firent payer á leur peuple le prix de leur domination en l’exposant au siège atroce de Cortés et ses alliés autochtones qui voulaient s’en libérer.

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Illustration 1

Après avoir débarqué sur les plages de la vera Cruz fondée par eux (1) et s'être allié aux ennemis des Aztèques en réussissant même á retourner un des membres de leur triple alliance, les Espagnols sous la conduite du rusé et ambitieux conquistador Hernán Cortés qui s’était émancipé de ses supérieurs en se lançant seul dans cette folle entreprise de conquête avec ses 1000 hommes se ruèrent á l’assaut de cette merveille du monde qu’était la cité lacustre étincelante de Tenochtitlan appelée á devenir l’actuelle ville de Mexico.

Illustration 2
peinture murale de Rivera: le marché de Tlatelolco palacio nacional Mexico © licence creative commons CC BY Boris Carrier

Pendant les deux années qui précédèrent, il avait pu se rendre compte en croisant le fer avec l’obsidienne, cette pierre noire tranchante des lances maniées avec habileté par les guerriers autochtones, du courage et de la détermination de ces hommes rompus aux combats: il était dans les traditions de se faire la guerre afin de capturer vivant des prisonniers á sacrifier ensuite dans des cérémonies. Ivres et confiants dans leur destin, ceux-ci se livraient à la mort sur les pyramides en se faisant éventrer par les prêtres afin que leur sang vienne alimenter les dieux pour que le cycle du monde et de la vie se poursuive(2).

Flanqué de la Malinche (3), une esclave prisonnière offerte parmi d’autres femmes aux Espagnols en tribut après une bataille perdue dans le sud qui est devenue son interprète et sa conseillère, ce fou prométhéen n’eut de cesse d’étudier en parfait ethnologue les caractéristiques des peuples autochtones rencontrés afin d’en tirer tout le profit possible et d’en exploiter les faiblesses et surtout les rivalités. Faisant ami-ami lorsque c’était possible ou prenant de vitesse les ennemis terrassés par la peur á la vue des chevaux, des armures et de la puissance des salves assourdissantes des tirs d'arquebuses, les Espagnols se virent bientôt entourés d’une impressionnante armée composée d’une dizaine de peuples et clans hostiles aux Aztèques. 

Illustration 3
lingot d'or du butin des Espagnols extrait du lac
Illustration 4
restes de l'arbre sous lequel Cortes aurait pleuré

Un épisode avait pourtant bien failli compromettre l’entreprise: la “nuit triste” du 30 juin 1520 (4) qui vit les Espagnols installés dans la ville prendre la fuite poursuivis par les Aztèques furieux du massacre des nobles perpétué par eux et de l’humiliation de l’emprisonnement de leur empereur Moctezuma II. La première approche s’était pourtant faite en douceur, les Espagnols étant les hotes de l’empereur, mais on ne transforme pas un conquistador en routard sympathique et l'appât de l’or qui constituait la principale motivation de ces hommes les avait amenés á piller les trésors sur lesquels ils avaient fait main basse, cet or qui devint la perte des plus avides alourdis par leur butin et noyés dans le lac lors de la retraite effrénée de cette nuit. Cortes en aurait pleuré sous un arbre calciné par la foudre depuis.

Après bien des péripéties qui virent l’entreprise menacée au gré des alliances se défaisant pour se refaire ensuite au fur et á mesure que remontait le prestige des Espagnols qui constituaient donc un moyen de se débarrasser de la domination aztèque, une formidable armée dont les Espagnols constituaient un infime pourcentage (entre 1 et 10% selon les sources) se constitua et prit position autour de Texcoco oú se trouvait la flotte de 13 brigantins hâtivement construits pour l'occasion afin d’appuyer les opérations depuis l’eau. Il faut s’imaginer l’immensité de cette ville constituée d'îles luxuriantes et semi-flottantes dont on trouve les reliquats sous le nom de chinampas qui font l’admiration des touristes actuels reliées par des ponts et de larges chaussées conduisant vers les haut-lieux cérémoniels de la capitale constitués de pyramides et de temples solennels.

Illustration 5
canaux actuels á Mexico
Illustration 6

Mais cette splendeur était la façade derrière laquelle se cachait la misère d’un peuple ravagé par la pandémie et la famine: les assiégeants avaient évidemment coupé l’approvisionnement et l’acheminement d’eau potable, celle du lac ne l'etant pas, de plus la variole constituait la pire arme de la conquête car si elle faisait aussi des victimes chez les envahisseurs, les peuples autochtones ne disposaient d’aucune préparation et donc d’aucune défense sous forme d’anticorps et leur métabolisme différent les exposait bien davantage. Aussi fut-ce avec l'énergie du désespoir que ces guerriers se battirent en infériorité technique et numérique sur l’eau á bord de leurs frêles pirogues contre les solides embarcations assaillantes et aussi sur terre dépourvus de la protection des  canaux comblés avec les restes des maisons impitoyablement abattues par les attaquants ainsi que l’avait ordonné Cortes.

Illustration 7

C’est l'arraisonnement de la petite armada de l’empereur Cuauhtémoc en fuite avec ses fidèles qui mit fin aux combats, ouvrant sur un spectacle de désolation une ère nouvelle de trois siècles de domination espagnole. Á l’heure oú l’on attend le dénouement de la ruée talibane vers la capitale de l'Afghanistan, les conséquences de tels événements laissent une empreinte au fer rouge dans les mémoires des peuples et il n’est possible de prendre la mesure de leurs conséquences que lorsque plusieurs générations les ont subies dans leur chair.

  1. https://blogs.mediapart.fr/edition/amerique-latine-en-lutte-depuis-1492/article/300420/un-virus-exterminateur
  2. voir Jacques Soustelle, les Aztèques.
  3. https://www.greelane.com/fr/sciences-humaines/histoire-et-culture/biography-of-malinche-2136516/
  4. voir Paul Hosotte, la noche triste

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