Billet de blog 5 juin 2013

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Loi Fioraso: une opportunité gâchée

«Tant attendue par la communauté des enseignants et des chercheurs», la loi relative à l'enseignement supérieur et à la recherche « ne porte que sur de petits ajustements administratifs », regrette William Rostène, directeur de recherche à l'Inserm et président de la Société de biologie. Ainsi, la loi « ne donne aux enseignants, aux chercheurs et aux étudiants aucun espoir de sortir du marasme actuel ». 

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«Tant attendue par la communauté des enseignants et des chercheurs», la loi relative à l'enseignement supérieur et à la recherche « ne porte que sur de petits ajustements administratifs », regrette William Rostène, directeur de recherche à l'Inserm et président de la Société de biologie. Ainsi, la loi « ne donne aux enseignants, aux chercheurs et aux étudiants aucun espoir de sortir du marasme actuel »


L’Assemblée Nationale a adopté, par une faible majorité, le projet de loi relatif à l’Enseignement supérieur et à la recherche (ESR), projet présenté par la ministre Geneviève Fioraso. L’Histoire nous montre qu’un pays qui souhaite garder une place dominante dans le concert des grandes puissances doit maintenir un potentiel de recherche et de développement lié à l’innovation. Cela est d’autant plus vrai en période de crise.

Il ne semble pas hélas que le gouvernement ait pris suffisamment conscience de cette réalité. Le projet de loi, tant attendu par la communauté universitaire et par les chercheurs après les égarements du gouvernement précédent, a fait l’objet d’une procédure accélérée: trente heures de discussion seulement avaient été prévues à l’Assemblée. Le gouvernement avait-il peur que la droite fasse systématiquement opposition à ce texte? En fait, les principaux amendements sont venus des députés de la majorité, le texte dans son ensemble ne modifiant en rien le système mis en place par le gouvernement Sarkozy, et pourtant si critiqué pendant les Assises. L’opposition, en contradiction avec elle-même, et les Verts, pour la première fois, ont voté contre. On peut se demander si les députés, et sans doute les sénateurs, ont bien compris tout l’intérêt et l’importance que représente une telle loi pour notre pays?

Le texte de loi ne tient guère compte des propositions pragmatiques émises par les comités qui s’étaient constitués avant l’élection de François Hollande, ni des milliers de contributions apportées avant les Assises. Ce projet réaffirme les grands principes de la loi sur l’autonomie des universités, modifie la composition des conseils, rappelle ce que représente l’enseignement supérieur pour notre pays sans pour autant véritablement évaluer les besoins et les moyens qui pourraient offrir à nos universités une meilleure compétitivité. Seule une modification apportée par un amendement va obliger le ministère à élaborer pour cinq ans un livre blanc d’une programmation pluriannuelle des moyens, sans préciser si ils seront en hausse ou en baisse.

Les médias se sont emparés, faute de mieux, d’un point mineur du projet : l’enseignement par une autre langue que le français. D’abord, cela ne peut concerner que certaines disciplines et il faudrait que les enseignants eux-mêmes maîtrisent parfaitement une langue étrangère, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui.

La loi sur l’autonomie continue à servir de prétexte au désengagement financier de l’Etat. Force est de constater que les universités ayant accepté cette loi, parfois sous la contrainte, souffrent aujourd’hui d’un déficit financier important qui ne leur permet pas d’offrir à leurs étudiants les moyens nécessaires à l’entrée sur le marché du travail.  

Enfin, la loi élude, sans doute volontairement, la place des grandes écoles dans le contexte de l’enseignement supérieur. Rien que la position passéiste de l’ENA, s’opposant à la possibilité pour les « docteurs de l’université » de postuler pour les grands corps de l’Etat (position heureusement rejetée par les députés) montre bien que l’on est encore loin de la réalité internationale.

Mais je voudrais surtout insister sur la faible place accordée à la recherche dans ce projet. La recherche n’est véritablement traitée que dans les six pages du titre VI de la loi. Quel gâchis! Le gouvernement avait une occasion unique de réaffirmer les qualités de la recherche française, de définir de grands projets –comme ce fut le cas en 1983 puis, sous l’impulsion d’Hubert Curien, avec l’espace et Airbus –, et surtout de donner aux chercheurs et aux jeunes diplômés les moyens d’être présents sur la scène internationale.

Qu’en est-il du projet sur la recherche? Toute la communauté avait souhaité la disparition de l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Aeres), inutile lorsqu’il existe des instances d’évaluation compétentes, comme c’est le cas dans les grands organismes de recherche (CNRS, Inserm, Inria, Inra, IRD…) et tant critiquée pour ses évaluations inégales et coûteuses. Grande innovation : l’Aeres est remplacée par un Haut Conseil au sigle imprononçable (HCERES) et dont les attributions restent floues. Il eût été préférable, si on voulait garder une telle agence, de lui confier l’évaluation de ce qui n’est pas traité dans les comités de chercheurs, c’est-à-dire les grandes orientations, la formation, la gestion administrative des universités et des organismes de recherche. Un amendement des députés complète cependant ses missions par celle d’évaluer les programmes et les structures privées de recherche qui reçoivent des fonds publics, comme les investissements d’avenir.

Dommage que cette agence ne se soit pas vue confier précisément l’évaluation des projets des entreprises pour l’obtention du crédit-impôt-recherche (CIR). L’attribution du CIR, touchant à l’innovation, à la recherche et au développement, aurait dû être liée à l’embauche d’un doctorant ou d’un post-doctorant sur le projet. Cela aurait au moins permis d’aller dans le sens du souhait de François Hollande qui, dans son discours du 25 avril en Chine, rappelait qu’il « fallait se rassembler sur la seule cause nationale, la bataille de l’emploi ». Si l’on ne veut pas que nos jeunes diplômés, comme cela se passe actuellement, continuent à trouver ailleurs des débouchés, il faudrait commencer par des choses simples et regarder la réalité en face.

La deuxième agence, l’ANR qui, elle aussi, a fait l’objet de nombreuses critiques, n’est pas non plus modifiée. Là encore, on aurait pu s’attendre à ce que le gouvernement définisse des grands projets ambitieux pouvant être financés par l’ANR avec l’Europe et l’international, tout en maintenant un financement de base des laboratoires et des projets pour les jeunes chercheurs, leur permettant ainsi d’évoluer dans leur recherche.

Enfin, le projet de loi crée des contrats de site regroupant plusieurs partenaires régionaux. Le but est louable mais déjà réalité dans les régions qui financent depuis longtemps la recherche. Cependant, le type d’agglomérat composé de différents labels, n’a pas véritablement apporté de plus value avec les pôles de compétitivité; il présente donc un intérêt limité.

Dommage, dommage, Madame la Ministre. Vous aviez une occasion unique, tant attendue par la communauté des enseignants et des chercheurs, de répondre à leur attente. De permettre à notre pays de garder une place enviable dans le monde dans les domaines de l’enseignement, de l’innovation, et de la recherche. Ce projet de loi décevant, pour lequel plusieurs amendements ont été apportés, démontre que vous n’avez pas mesuré l’enjeu d’une telle réforme. Une réforme qui aurait nécessité courage et une ambition plus grande pour l’ESR. Le projet ne porte que sur de petits ajustements administratifs (composition des collèges, comités, nomination des dirigeants…). Il ne prévoit véritablement ni les moyens à mettre en œuvre, ni les axes importants pour notre compétitivité, et surtout il ne donne aux enseignants, aux chercheurs et aux étudiants aucun espoir de sortir du marasme actuel. On a brisé un rêve. Espérons que le Sénat à partir du 18 juin réfléchira en dehors de considérations purement politiciennes. Pauvre France!

William ROSTENE, directeur de recherche de classe exceptionnelle à l'Inserm et président de la Société de Biologie, a été membre de différents comités impliqués dans les politiques de recherche, président de commissions scientifiques à l'Inserm chargées de l'évaluation et conseiller auprès du président de l'Université Pierre-et-Marie-Curie.

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