Un métier, deux activités complémentaires et indissociables, et non pas la simple addition de deux mi-temps, plaident Nicolas Chignard, Gaël Orieux et Philippe Le Rouzic, maîtres de conférences à l'université Pierre-et-Marie-Curie.
* : L'enseignant-chercheur est soit Maître de conférences, soit Professeur des universités. Il est recruté par concours national à la suite de la publication au journal officiel d'un profil de poste par une université donnée. Il est responsable d'unités d'enseignement, de cours magistraux, de travaux dirigés ou de travaux pratiques, qu'il doit proposer, organiser et réaliser. Il a également en charge un programme de recherche qu'il doit proposer, financer et réaliser.
« Les enseignants-chercheurs participent à l'élaboration et assurent la transmission des connaissances ». Cette description, tirée du décret relatif au statut des enseignants-chercheurs, permet de se faire une idée fidèle du cœur de métier de l'enseignant-chercheur. L'enseignant-chercheur est en effet mu par un objectif unique qui prend la forme de deux activités complémentaires et indissociables. Son objectif unique est la connaissance, qui n'existe, une fois élaborée, que par la transmission. Evidemment, nos collègues chercheurs créent et transmettent également la connaissance, mais seuls les enseignants-chercheurs tendent à l'universalité dans les deux aspects de leur démarche. Si la démarche créatrice est par essence universelle, la transmission revêt plusieurs formes. Or, l'enseignant-chercheur utilise l'ensemble des moyens de communication existant en allant de la vulgarisation au savant afin de diffuser la connaissance auprès de ses collègues scientifiques ou de ses étudiants.
Le métier dans sa pratique s'éloigne par contre de sa définition quand on lit dans ce même décret : «son temps de travail de référence est constitué, pour moitié, par les services d'enseignement et pour l'autre moitié, par une activité de recherche soutenue et reconnue». En effet, cette dernière assertion laisse supposer que l'enseignant-chercheur n'est autre qu'un enseignant à mi-temps doublé d'un chercheur à mi-temps. Il nous semble essentiel de réfuter l'idée que l'enseignant-chercheur puisse être un demi-enseignant doublé d'un demi-chercheur. En étant les deux à la fois, il n'est aucun des deux individuellement. Se pose alors légitimement la question du rôle propre de l'enseignant-chercheur, de sa spécificité, de sa valeur ajoutée dans l'enseignement supérieur et la recherche. Nous pensons que plusieurs éléments rendent l'enseignant-chercheur unique et indispensable à la vie de l'enseignement et de la recherche. L'enseignant-chercheur est tout d'abord une passerelle entre ces deux entités, son objectif étant à la fois la formation des étudiants et l'avènement de la recherche. De part sa connaissance des deux systèmes aux fonctionnements différents et bien souvent indépendants, l'enseignant-chercheur est le médiateur qui saura trouver l'organisation la plus favorable pour l'épanouissement de l'étudiant et la réalisation de la recherche. Par ailleurs, vulgarisateur et formateur, il ouvre aux métiers de la recherche et représente ainsi le premier acteur de la recherche, en suscitant des vocations parmi ses étudiants. Il est donc un ciment intergénérationnel entre ceux qui apprennent et qui seront amenés à créer et ceux qui sont déjà dans l'activité créatrice.
L'activité d'enseignement permet, de plus, à l'enseignant-chercheur de se sortir de sa propre recherche, qui en raison de l'hyperspécialisation qu'exige l'exercice moderne d'une science de haut niveau, peut parfois se complaire dans l'opaque et l'intimiste. Cette transversalité, qu'il exerce aussi en étant au contact d'enseignants-chercheurs d'autres disciplines, lui permet d'avoir une position d'observateur éclairé de la recherche. Ce positionnement de l'enseignant-chercheur n'est pas celui du consultant, mais il lui permet de nourrir ses enseignements par ses recherches et ses recherches par ses enseignements. Cet état d'esprit nécessaire à l'exercice du métier devrait d'ailleurs être un aspect primordial du recrutement de l'enseignant-chercheur, qui ne devrait être recruté, ni sur la seule base d'un besoin d'enseignement, ni sur le seul désir de recrutement d'un chercheur par un laboratoire. Ce dernier point est d'autant plus crucial que l'universalité dont doit faire preuve l'enseignant-chercheur n'est pas un caractère inhérent de l'activité de recherche.
Comme nous venons de le définir, la fonction de l'enseignant-chercheur avant d'être une répartition numéraire du temps de travail est un état d'esprit. Le débat sur le temps d'enseignement n'est cependant pas un débat vulgaire. Fixé statutairement à 192 heures par an, ce volume horaire de base de temps de présence devant les étudiants n'est en fait qu'un fait juridique dont la mise en discussion ne peut dénaturer l'essence du métier d'enseignant-chercheur. Tel que nous avons essayé de le définir, l'enseignant-chercheur existe uniquement quand les deux aspects de son métier s'expriment de concert. Il est alors raisonnable d'essayer d'établir une organisation de la fonction permettant cet avènement. Une charge d'enseignement trop importante nuit forcément à la production de connaissances. Que transmettre ? Inversement, un déséquilibre vers la production des connaissances oublierait la transmission universelle des connaissances. A qui transmettre ? Il nous semble alors que la charge de 192 heures par an est difficile à tenir pour exercer le métier d'enseignant-chercheur correctement, car la fonction d'enseignement importante nécessite d'y consacrer beaucoup de temps au risque d'y sacrifier la fonction de recherche. Le risque de l'oscillation constante entre une priorité d'enseignement, puis une de recherche, est de dispenser des enseignements et d'effectuer une recherche de qualités insuffisantes. Deux options permettraient de pallier à cette difficulté : assurer un soutien technique (administratif ou scientifique) efficace aux enseignants-chercheurs ou réviser l'obligation de temps de service. Les réformes aboutissant à la loi sur l'autonomie et la responsabilité des universités (LRU) ont souhaité donner une réponse à cette problématique en permettant la modulation du temps de service par les chefs d'établissement.
En effet, on peut lire dans la version la plus récente du décret relatif au statut des enseignants-chercheurs que le temps de service des enseignants-chercheurs «peut comporter un nombre d'heures d'enseignement inférieur ou supérieur au nombre d'heures de référence (...) en fonction de la qualité des activités de recherche et de leur évaluation par le conseil national des universités (...)». Cette dernière disposition permet en théorie à chaque enseignant-chercheur d'exercer ses activités selon ses aspirations. Cependant, le fait de dissocier la fonction d'enseignement de la fonction de recherche nous paraît contraire à l'esprit même du métier. Notamment, cela pourrait éloigner les enseignants-chercheurs jugés les plus performants dans leur acquisition de connaissances du devoir de transmission du savoir. Il nous semble qu'il réside dans cette disposition le signe paradoxal de la montée en puissance annoncée des universités et de l'éventuelle arrivée de chercheurs plein temps en son sein. Dans ce contexte, le risque est de voir disparaître le métier d'enseignant-chercheur tel que nous l'envisageons. En effet, la modulation du temps de service à la baisse et à la hausse veut-elle dire que la fonction d'enseignement et celle de recherche seront réalisées par des acteurs différents ? Ce principe ne peut être défendu auprès des étudiants, car on ne peut moralement au sein d'une université, soutenir l'idée que le meilleur producteur de connaissance soit dispensé de la transmettre. L'essence même de la fonction d'enseignant-chercheur y serait perdue. Il y a ici une contradiction importante qu'il faudra prendre en compte et à laquelle il faudra réfléchir, à savoir que la part la plus importante de l'université dans la recherche française pourrait s'accompagner de la mise en danger de sa fonction essentielle : l'universalité.
Alors que le monde de l'université se restructure sur les bases de la LRU, nous avons essayé de définir ce qui est pour nous le métier d'enseignant-chercheur. La fonction n'est évidemment pas sacerdotale mais elle nécessite une profession de foi : celle d'accomplir une double mission de manière harmonieuse sans sacrifier ni la recherche ni la formation, celle d'embrasser le général et le particulier portés par le merveilleux vecteur d'universalité qu'est l'université.