Billet de blog 26 juin 2010

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Recherches du troisième type

Laurent Genefort, écrivain, nous entraîne dans un voyage à travers la littérature de science-fiction, poésie du futur, et les liens qu'elle entretient avec les sciences.

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Laurent Genefort, écrivain, nous entraîne dans un voyage à travers la littérature de science-fiction, poésie du futur, et les liens qu'elle entretient avec les sciences.

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Aujourd'hui que nous sommes bien engagés dans le troisième millénaire et que nombre de prédictions de la science-fiction (ou « SF ») ont eu lieu ou sont en passe de l'être, on peut se poser la question du rapport de la SF avec les avancées de la science et de la technologie. Comment les auteurs ont-ils anticipé ou utilisé les avancées de la science ? Et d'abord, quel est au juste le rapport entre science et SF ?

Science et SF : un rapport fusionnel ?

Le rapport avec la science a toujours été au cœur de l'évolution de la SF, au point de dessiner la cartographie des sous-genres qui la constituent : sur le spectre de la vraisemblance, la SF va du très sérieux 2001, l'Odyssée de l'espace au très fantaisiste Star Wars[1]. Certains auteurs de SF clament haut et fort leur indifférence vis-à-vis de la conjecture scientifique, affirmant privilégier l'aventure (Julia Verlanger), l'aspect humain (Théodore Sturgeon) ou l'expérimentation littéraire (Harlan Ellison, J.G. Ballard), tandis que d'autres, telle Ursula Le Guin, privilégient les sciences humaines (psychologie, sociologie, anthropologie...) au détriment des sciences dites « dures ».

Mais d'autres auteurs se réclament au contraire de la science, quand ce ne sont pas eux-mêmes des scientifiques distingués : citons Arthur C. Clarke, inventeur du concept de satellite géostationnaire ; Fred Hoyle, astrophysicien de renom, Gregory Benford, Isaac Asimov... ces deux derniers ayant de surcroît écrit bon nombre d'ouvrages de vulgarisation scientifique. De l'autre côté de la barrière, certains scientifiques - au premier rang desquels Steven Hawkins, mais ils sont légion - avouent sans honte avoir découvert leur vocation grâce à la science-fiction, alors que d'autres, comme le généticien français Axel Kahn, confessent n'y avoir jamais prêté véritablement attention.

L'objectif de la science est de décrire la nature et d'en tirer des règles compréhensibles. La SF, quant à elle, n'a pour buts que ceux que s'assignent ses auteurs : explorer les variantes plausibles de la réalité, traiter des problématiques de la modernité... ou simplement raconter une bonne histoire.

Là où les scientifiques sont tenus à la prudence et à l'économie, selon le précepte du rasoir d'Occam, les écrivains de SF ne le sont pas et se permettent, au nom de l'expérimentation libre et de l'imagination, d'envisager les scénarios les plus exotiques. Le manque de pertinence du résultat final - auquel s'ajoute le kitsch indéniable de certaines œuvres, qui accrédite sa réputation de « mauvais genre » - a conduit certains scientifiques à se défier de la science-fiction[2]. Sans compter le poids de la tradition cartésienne considérant l'imagination comme « maîtresse d'erreur et de fausseté ».

Ce rejet a peut-être coupé certains scientifiques d'une source d'inspiration. Car des textes de « hard science », c'est-à-dire de SF à forte connotation scientifique, sont de véritables expériences de pensée. Ce n'est pas le moindre paradoxe de constater que l'application d'une démarche aussi rigoureuse de questionnement du réel a produit des romans d'une imagination vertigineuse... mais il est vrai que la SF s'est fait une spécialité des paradoxes !

Des objets aux pratiques

L'anticipation d'artefacts technologiques apparaît dès les prémisses du genre. Vers 1880, l'illustrateur Albert Robida imagine ainsi un écran plat mural qui diffuse les informations à toute heure du jour et de la nuit, les dernières pièces de théâtre, des cours et des téléconférences ; c'est plus que de la télévision (l'appareil du Château des Carpathes (1892) de Jules Verne est en fait une sorte de visiophone enregistreur) : c'est presque, déjà, de l'internet. Nombre d'idées de Robida concernent ce qu'on appellera plus tard la domotique. La liste de ces objets serait longue, depuis le « tricordeur » de la série originelle Star Trek (1966-68) qui anticipait de façon convaincante les smartphones, jusqu'à l'ordinateur personnel en réseau dans la nouvelle Un Logic nommé Joe (A Logic Named Joe, 1946) de Murray Leinster, ou les systèmes de manipulation à distance couramment utilisés dans l'industrie nucléaire, dans l'espace ou au fond des mers, conçus par l'écrivain américain Robert Heinlein dans sa nouvelle Waldo (1942). On pourrait encore citer les îles artificielles, les salles de jeu interactives, les banques d'organes, les cultures hydroponiques... ou de simples gadgets : les vêtements communicants de Tous à Zanzibar (1968) de John Brunner, le papier intelligent de L'Âge de diamant (1995) de Neal Stephenson, le pistolet paralysant dont regorge la SF des années 50 et qui rappelle furieusement l'actuel taser[3]...

Mais l'intérêt est-il vraiment là ? La science-fiction n'a pas et n'a jamais ambitionné de dresser un catalogue des produits de consommation du futur : elle n'est pas la cour de récréation de la prospective ou de la futurologie. D'autre part, il est souvent impossible de déterminer qui, de la science-fiction ou de la spéculation scientifique, a gagné la médaille du concours Lépine pour telle ou telle découverte. Qui a imaginé en premier le robot ? Ou le vaisseau spatial ? Certes, on arguera que c'est à un auteur de SF, Isaac Asimov, que l'on doit le terme « robotique »[4]... Mais les automates prétendant singer le comportement humain remontent à la Renaissance ; tout au plus peut-on mettre au crédit de la SF d'avoir popularisé les intelligences artificielles, via ses délicieuses voix désincarnées ou les thèmes du robot et de l'androïde. De même, si la 3D est un cliché de la SF classique, son concept existe depuis l'invention de la photographie.

Des pratiques aux transformations globales

La fonction de la SF, si tant est qu'elle en ait une, serait plutôt de pressentir les évolutions globales, voire de les poétiser. À travers son œuvre magistrale, Jules Verne a chanté l'ère de la Révolution industrielle et la disparition des terras incognitas ; la veine postapocalyptique a mis en scène les grandes menaces climatiques, les épidémies mondiales et la disparition du pétrole ; le cyberpunk, ce sous-genre né avec les années 80, en mettant l'être humain au même niveau que les produits issus de la science, a présenté une société ultralibérale qui considère l'être humain lui-même comme un produit ; c'est son regard sur la technosphère qui est inédit, plus que la quincaillerie informatique qui lui est associée.

Dans Sur l'onde de choc (The Shockwave Rider, 1974), John Brunner anticipe un monde totalement informatisé, invente la figure du hacker et la menace à grande échelle des virus informatiques. Pour ce qui est de l'intrication du monde virtuel au monde réel, l'anticipation visionnaire est encore plus saisissante dans le roman Simulacron 3 (1964) de Daniel Galouye où les protagonistes découvrent, quarante ans avant Matrix, qu'ils sont des programmes évoluant dans une simulation géante - et que leurs créateurs sont eux-mêmes les programmes d'une simulation supérieure !

C'est dans une nouvelle de l'anthologie Utopies 75 (1975) que j'ai lu pour la première fois la description d'une société où le vivant était breveté, vingt ans avant que le problème ne se pose à l'échelon mondial.

Certaines idées de la SF classique sont applicables à la réalité contemporaine au prix d'une légère transposition. Dans Planète à gogos (1953), les auteurs Pohl et Kornbluth imaginent des publicités volantes qu'il faut abattre au fusil pour réduire au silence leur harcèlement audiovisuel ; il s'agit de véritables « spams » incarnés. Dans son recueil Les Mutants (1953), Henry Kuttner présente de petits appareils électroniques que les gens se posent sur le crâne et qui leur permettent à volonté de contacter toute personne munie du même dispositif où que ce soit sur Terre et à tout instant. L'auteur américain dépeint alors le réseau permanent qui en résulte.

Certaines avancées imaginées par la SF sont encore (ou non !) à inventer dans le réel : le traducteur universel, les nanomachines (dont la première description réaliste remonte à 1977 dans le roman Noô de l'écrivain français Stefan Wul), les ordinateurs organiques, le clonage humain, la centrale à fusion contrôlée, l'ascenseur spatial et autres structures orbitales, la terraformation...

Enfin, d'autres avancées - comme la forme actuelle d'internet, la géolocalisation... ou la pilule contraceptive ! - n'ont jamais été pressenties comme les révolutions sociales qu'elles ont été : la SF les a tout simplement ratées.

Les quelques exemples ci-dessus sont la face émergée d'un iceberg d'inventions farfelues, idiotes ou obsolètes, tombées dans l'oubli à la manière d'espèces recalées par l'évolution darwinienne. Qu'importe ! Le temps d'une lecture, ces petites idées stupides nous auront fait rêver. Le lecteur averti sait bien que de tout temps, la SF a plus souvent puisé à l'imaginaire de la science qu'à sa méthode. Un juste retour des choses, quand il arrive à la science de prendre parfois des airs de fiction...

Laurent Genefort,

avec l'aimable assistance des contributeurs de la liste SFFranco.


[1]. Le physicien Roland Lehoucq s'est amusé à passer les œuvres de SF cinématographiques les moins réalistes (de Star Wars à Star Trek en passant par Avatar) au crible du questionnement scientifique.

[2]. Lire la planche d'une des Rubrique-à-brac de Gotlib intitulée « Vous êtes en pleine science-fiction, mon cher ! » (1969).

[3]. Le lecteur curieux pourra aller voir d'autres exemples sur le site en anglais http://www.technovelgy.com/

[4]. (Dans la nouvelle Menteur ! datant de 1941.) Tout comme c'est à Rosny Aîné que l'on doit l'invention du mot « astronaute ».

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