Michael McGill est un privé d’une trentaine d’années, un « aimant à merde », un anti-héros pourtant engagé par le chef de cabinet de la Maison Blanche pour retrouver un livre. Et pas n’importe lequel : grimoire et talisman, un exemplaire unique de la seconde Constitution américaine, auquel sont attribués des pouvoirs quasi surnaturels.
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«Disparu dans les années 1950, en fait. Nixon l’avait échangé contre les faveurs d’une Chinoise qui vivait dans la baie de San Francisco. Depuis, il passe de mains en mains. Il faut le rapporter à la Maison Blanche. (…) C’est un document secret rédigé par plusieurs Pères Fondateurs. Il met en lumière leurs véritables intentions pour la société américaine, il contient vingt-trois amendements qui ne peuvent être lus que par le président, le vice-président et le chef de cabinet. (…) La reliure du livre est alourdie par des fragments de météorite. Le façonnage est tel que, lorsqu’il est ouvert sur une table, le livre émet un son infrasonique inaudible par l’oreille humaine. Il vibre brièvement à dix-huit hertz, la fréquence naturelle d’oscillation perceptible par l’œil humain. (…)
Est-ce que vous comprenez mon garçon ? Est-ce que vous voyez ? C’est un livre qui vous oblige à le lire. Il prépare vos yeux à une intégration de données.
(…) Seconde après seconde, notre pays devient toujours plus répugnant. Nos frontières, Mike, contiennent désormais les neuf cercles de l’Enfer. (…) Depuis la perte de ce livre, Mike. Tout a commencé quand ce livre a disparu. Nous devons l’étudier et appliquer ses amendements pour rendre à l’Amérique sa beauté d’antan».
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Mike part à la recherche du livre perdu, en une traversée de l’Amérique qui le mène de New York à Los Angeles, en passant par Columbus, le Texas, Las Vegas. Il croise «des dingues et des paumés» qui «jouent avec leurs manies», comme le chanterait Thiéfaine, le livre apparaît rapidement comme une monnaie d’échange entre pervers et détraqués, chaque scène enfonce Mike et sa compagne, Trix, un peu plus loin dans les cercles de l’enfer. C’est là l’Amérique des bas-fonds, des artères souterraines, donc :
«"Vous avez l’air épuisé. Voyageur ?- Si on veut, oui. New York, Columbus, San Antonio, Las Vegas. Je vais à Los Angeles.
Il a frétillé de plaisir à cette idée. "Quelle petite artère tortueuse vous parcourez-là. Jusqu’au cœur de l’Amérique. Les valves rouges et palpitantes de Los Angeles. Une bien belle destination pour un détective"».
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L’Amérique des Freaks. Délires sexuels en tout genre. Le roman est trash et drôle, un road trip dantesque et délirant, hallucinogène. Le récit avance par courts chapitres, rencontres et dialogues, scènes plus déjantées les unes que les autres.
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Warren Ellis, scénariste de bandes-dessinées, qui a largement contribué au renouveau du label Marvel dans les années 1990, auteur de Transmetropolitan, signe là son premier roman, un OVNI, un texte fou, dément, déviant, aux dialogues qui semblent tout droit sortis d’une planche, des «sourires plastifiés» des hôtesses de l’air au portrait de Muppet, «des cheveux comme de la laine rouge, des sourcils écarlates probablement maintenus en place avec un fouet et un tabouret de dompteur, et des yeux qui se détachaient comme si quelqu’un lui avait glissé deux œufs au plat dans les orbites».
Ellis brasse une culture large, de Dante aux séries télé, de Godzilla à The West Wing, des Teletubbies aux Men in Black, de Flash Gordon à Dick Tracy. C’est noir, ciselé, sauvage, et mine de rien, entre les lignes, une véritable interrogation de la démocratie, du mainstream, de la liberté. Où se situe réellement la perversion ? Comment le pouvoir politique utilise-t-il les nouveaux media (internet, les séries télé) ?
«Moi Virgile, toi Dante», invitation à «patauger dans le bas-ventre ignoble de l’Amérique».
CM
Warren Ellis, Artères souterraines, trad. de l’anglais par Laura Derajinski, Au Diable Vauvert, 336 p., 18 €
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