Trouver dans le rapport texte / image un espace qui fasse sens, puisse exprimer les émotions indicibles, dire ce qui se défait comme ce qui se reconstruit en ces moments de crise, où l’intime touche paradoxalement à l’universel.

Sigolène Prébois signe avec Version Live un "roman graphique" d'un nouveau genre, un texte à part, magnifique. Elle est ici auteur selon une double définition, écrivain et illustratrice, ses dessins au trait ont la rondeur et la naïveté lucide de l’enfance, comme si, en perdant un parent, on ne pouvait s’exprimer que dans cette filiation qui semble se briser à jamais et se doit d’être reconstruite. Une fille perd sa mère qui fut « intrépide, indépendante et surtout totalement insouciante », elle s’appelait Claire, était « agent d’illustrateurs » justement, coach, doublement « maman », portait un perfecto « estampillé WILD ». Et devient autre aux urgences, « prostrée, recroquevillée sur elle-même. Comme les opossums, elle fait la morte. C’est redoutable parce qu’elle la fait très bien ».

Agrandissement : Illustration 2

Version Live représente l’auteur et son entourage proche sous les traits d’animaux, l’écureuil (la fille), le pivert (la mère), l’ornithorynque (le frère) tandis que les autres, qui n’appartiennent pas au cercle intime, demeurent des humains. Hormis une flopée de pingouins, à la fin. Cette fable de la perte est centrée sur ces crises paradoxales de l’agonie et de la mort, ces moments d’une violence telle qu’ils en deviennent irréels, forts et absurdes, les instants douloureux et leurs envers d’humour noir pour survivre, le pivert est devenu un « poids plume », la mère était frileuse, les proches optent pour une crémation :
« Nous nous amusons sans doute pour partager plus que notre tristesse »
Tout se dédouble, texte et image, mort et vie (la mère meurt le premier jour du printemps, alors que l’auteur apprend qu’elle va donner naissance à une fille), tout s’engendre, se meurt et se meut. Lorsque, après la mort de Claire, le lit d’hôpital est refait, le corps déplacé dans une « chambre froide », « il ne reste rien ». Sinon ces pages. La mère n’est plus étendue morte dans un cercueil de de cellulose, entourée de lettres, papiers et dessins, elle est version live dans ce livre.
Le texte, à la calligraphie d’un télégramme, double l’image, la répète parfois, lui abandonne même tout pouvoir, affichant son impuissance d’un […]. Le matin de la mort de la mère, les pages s’inversent, dessin à gauche cette fois et texte manuscrit à droite, comme si la mort venait tout brouiller, mêler. Comme si le deuil ne pouvait que se (re)dire, demeurer paradoxe au sens d’un discours autour, à côté.
Sigolène Prébois, Version Live, P.O.L, 224 p., 13 €

Illustration video : Patti Smith, Gloria, version live, qui donne son titre au livre.