Dominique Bry (avatar)

Dominique Bry

Journaliste à Mediapart

Billet publié dans

Édition

Bookclub

Suivi par 634 abonnés

Billet de blog 3 décembre 2008

Dominique Bry (avatar)

Dominique Bry

Misanthrope sociable. Diacritik.com

Journaliste à Mediapart

Où on va, Jean-Louis ?

8 novembre 2008. Etre, ou ne pas être, c'est là la question. Y a-t-il plus de noblesse d'âme à subir la fronde et les flèches de la fortune outrageante, ou bien à s'armer contre une mer de douleurs et à l'arrêter par une révolte ? Shakespeare – Hamlet (acte III scène 1)Je viens de refermer Où on va, papa ? de Jean-Louis Fournier. Je ne vais pas bien. Je relativise. Je vais mieux que son fils Mathieu. Je vais mieux que son fils Thomas. Je vais mieux a priori que l’auteur du livre et de leurs jours.

Dominique Bry (avatar)

Dominique Bry

Misanthrope sociable. Diacritik.com

Journaliste à Mediapart

8 novembre 2008.

Etre, ou ne pas être, c'est là la question. Y a-t-il plus de noblesse d'âme à subir la fronde et les flèches de la fortune outrageante, ou bien à s'armer contre une mer de douleurs et à l'arrêter par une révolte ? Shakespeare – Hamlet (acte III scène 1)

Je viens de refermer Où on va, papa ? de Jean-Louis Fournier. Je ne vais pas bien. Je relativise. Je vais mieux que son fils Mathieu. Je vais mieux que son fils Thomas. Je vais mieux a priori que l’auteur du livre et de leurs jours.

Je vais bien en fait.

J’ai envie d’en rajouter. Je vais très bien. J’ai même envie de jouer. Je me sens d’une gaieté sourde. Animé d’une joie de vivre autre. Nouvelle. Différente. Comme si on venait de me donner quelques claques bien senties pour me sortir d’une torpeur suspecte. Et que la vérité jaillissait soudain. J’ai envie de jouer avec les mots.

Naître ou ne pas naître, c’est là la question.

J’ai envie de répondre à votre place Jean-Louis. J’ai envie de dire qu’il y a autant de noblesse d’âme à subir la fronde et les flèches de la fortune outrageante ; qu’à s’armer contre une mer de douleurs si on l’arrête par une révolte.

J’ai lu Où on va, papa ? Distraitement d’abord. Parce qu’un journaliste pressé en disait du bien dans cet hebdomadaire auquel je suis abonné. Je l’ai donc lu avec des idées prémâchées. Celles de ce critique dont je tairai le nom pour ne pas faire de publicité à un imbécile. Parce qu’il n’a assurément pas lu le livre jusqu’au bout. Ou il ne l’a pas lu du tout et s’est contenté de la présentation de l’éditeur. Et il a eu tort.

Etre handicapé ou ne pas l’être. Quelle question !

J’ai lu Où on va, papa ? Intensément ensuite. En me plongeant dans cette écriture au cordeau. Tout en angles et en pointes. Angles torves et cassés, comme les enfants de l’auteur. Pointes acérées et traits habiles, pointes et traits d’esprit torturé. Malheureux.

J’ai bien évidemment, et immédiatement, pensé à Pierre Desproges. A son personnage de Christian, l’enfant handicapé de Des Femmes qui tombent, qui « était anormal, si l’on fait référence à l’employé de banque moyen en tant qu’étalon de la normalité. Dieu ne l’avait pas raté ». Cet enfant dont le père de papier disait « quand il part, on dirait qu’il revient ». Je me souviens de mon rire à cette lecture. De mes rires répétés, car j’ai lu plusieurs fois Des femmes qui tombent. Comme je lirai plusieurs fois Où on va, papa ? Mais pour de toutes autres raisons.

Jean-Louis Fournier a été, entre autres, le réalisateur de La Minute nécessaire de Monsieur Cyclopède. Dans Où on va, papa ?, il parle de Desproges quand il est allé avec lui chercher son fils Thomas à son Institut Médico Pédagogique. « Cette visite l’a beaucoup remué. […] Lui qui adorait l’absurde, il avait trouvé des maîtres. » J’ai repris ma lecture, j’ai tenté de trouver des parallèles. Comme pour me convaincre que mon rire était justifié, normal. J’ai relu le passage où Jean-Louis Fournier apprend que son deuxième fils est handicapé. « Les choses rentrent dans l’ordre, Thomas va ressembler de plus en plus à son frère. C’est ma deuxième fin du monde. Avec moi la nature a eu la main lourde. […] La nature m’a donné le rôle-titre du père admirable. Est-ce que j’ai le physique du rôle ? Est-ce que je vais être admirable ? Je vais pleurer ou je vais faire rire ? »

Etre drôle, ou ne pas l’être. Pourquoi cette question ?

Dans Le Rire de résistance, de Jean-Michel Ribes, une citation de Wolinski m’était restée : « Le rire peut-être malsain, l’humour jamais. »

J’ai fini Où on va, papa ? Rapidement. Happé par les mots et la force du texte de Jean-Louis Fournier. J’ai caracolé pour arriver à finir ce brûlot. Pour que mon rire ne soit pas malsain, je me suis arrêté de sourire. Je me suis laissé porter par l’humour indicible et fin qui transpirait des pages. Cet humour qui n’était plus désormais pour moi qu’un prétexte. Une raison de vivre là où il n’y en a plus aucune. Une raison d’écrire ce livre. Pour demander pardon. Pour leur demander pardon. A Thomas et Mathieu.

J’ai envie de demander pardon. D’avoir ri. J’ai envie de dire merci. Pour votre humour. Où on va Jean-Louis ?, oserais-je. Parce que j’irais bien avec vous.

DB

Voir aussi l'article de l'édition Bookclub, "le monde à l'envers" : où on va papa ?