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Billet de blog 4 octobre 2008

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Miserere de Jean-Christophe Grangé

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« Le cri était prisonnier des orgues. Il sifflait dans les tuyaux. Résonnait dans toute l’église. Atténué. Feutré. Détaché. » Tels sont les mots qui ouvrent ce septième opus de Grangé. Dans une église arménienne, en plein cœur d’un Paris endormi, sombre et absent, un flic à la retraite officie déjà. Parce qu’il fait partie de la communauté, parce qu’il fut un policier émérite. Parce que Jean-Christophe Grangé aime les personnages en marge des codes.

On se souvient du flic bourru des Rivières Pourpres – incarné à l’écran par Jean Reno dans le film éponyme –, on se souvient moins bien (et à tort peut-être) des deux enquêteurs héros du Serment des Limbes, dont le mysticisme se confondait avec leur enquête, et dont les quêtes respectives se mêlaient pour mieux dérouter le lecteur. Grangé n’innove pas, il faut le reconnaître : il fait se rencontrer un jeune chien fou et un vieux briscard revenu de tout, sauf de lui-même. C’était déjà la recette de L’Empire des Loups et des Rivières. La formule n’est-elle pas usée ? A vous de voir.

L’opposition des personnalités fonctionne. Parce qu’elle se renouvelle malgré tout. Le jeune flic n’est pas vertueux. Le vieux semble l’être, mais trainant sa part d’abîme face à cet héritier en puissance. Le gamin ne cherche pas à tuer le père. Il est orphelin. Et les orphelins ont toujours un secret.

Miserere est construit classiquement. Dès les scènes d’exposition de chaque protagoniste. En égrainant des biographies structurées, étayées. En forçant chaque détail. Pointillisme nécessaire pour lancer des pistes et mieux les brouiller. La rencontre est inévitable parce que les destins et les chemins sont forcément intimement liés. Meurtres mystérieux à Paris. Sectarisme. Relents glauques des politiques françaises passées. Torture. Destins obliques de fous dangereux. Serial killer ? Les thèmes utilisés et développés par Jean-Christophe Grangé sont autant d’os à ronger pour le lecteur en attendant le dénouement, autant de faux-semblants donnés en pâture aux héros dont on suit la progression avec fébrilité. Leur fébrilité. La nôtre.

Jean-Christophe Grangé possède ce talent indéniable de savoir plonger ses protagonistes et ses lecteurs dans des lieux et des atmosphères extrêmement bien rendus. L’histoire cédant la place à l’environnement, aux descriptions, aux mises en situations. « Il promena son faisceau pour mieux voir le décor. […] Masse liquide aux tons verts, limpide, immobile. Les piliers se rejoignaient en arches, dessinant de multiples ogives, à la manière d’un monastère roman. Les couleurs, vert pour l’eau, rouge pour les colonnes, évoquaient même des motifs maures, des tons vifs d’émaux. Un Alhambra pour troglodyte. »

Et puis, Il y a le rythme. Dire qu’il est soutenu serait une banalité. Le style est quasi télégraphique. A l’Américaine, justement. Sobrement, à l’économie. En faisant disparaître les qualificatifs, les pronoms, en usant et en abusant des formules lapidaires. Phrases courtes. Mots simples. Efficaces. Stricts.

Mais il y a également de la facilité dans le Miserere de Jean-Christophe Grangé. La facilité de certaines formules relativement pauvres et qui tranchent dans le tableau d’ensemble et qui appauvrissent parfois un paragraphe entier : « Dans sa vareuse noire [il] ressemblait à un super-méchant de la série des James Bond ». Il y a l’aisance avec laquelle il se contente de dérouler une recette un peu trop utilisée, ce qui, sans ôter toute qualité au roman, a des airs de déjà lu. Il y a la commodité avec laquelle il reprend ce qui fait sa force d’auteur : écrire un nouveau thriller en nous faisant penser à Jean Reno et Vincent Cassel dans les rôles principaux si une adaptation devait voir le jour.

Ultime orgueil, il semble que l’écrivain en tête des ventes dédaigne les fins de ses romans. Comme dans La Ligne noire ou Le Vol des Cigognes. Jean-Christophe Grangé est à l’abattage. Il semble expédier le final parce que le dénouement ne l’intéresse pas. Seule la progression semble le motiver. Et les dédales écrits le satisfaire. Pour mieux faire monter la tension du lecteur en même temps que le battement des cœurs s’accélèrent. Et nous laisser sur la nôtre de faim. A contenter en achetant le roman suivant ?

Miserere possède donc les ingrédients propres au genre. Avec efficacité, l’auteur nous mène du Paris et sa banlieue de 2006 aux confins du Chili des années 70, en passant par les causses arides des Cévennes, le tout à travers une Histoire qui ne cesse de se répéter.

Comme ses livres ne cessent de raconter les mêmes histoires.

DB

MISERERE – Jean-Christophe Grangé – Albin Michel – 22,90 €

Du même auteur aux Editions Albin Michel : Le Vol des Cigognes, 1994 Les Rivières Pourpres, 1998 Le Concile de Pierre, 2000 L’Empire des Loups, 2003 La Ligne Noire, 2004 Le Serment des Limbes, 2007