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Christine Marcandier

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Billet de blog 5 décembre 2010

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Christine Marcandier

Littérature

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Libres cours

Ne jamais négliger un titre, surtout lorsque son pluriel invite au questionnement : libres cours. Comment enseigner la littérature, comment transmettre et faire désirer les textes à des classes, quand le livre ne signifie plus grand-chose ?

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Ne jamais négliger un titre, surtout lorsque son pluriel invite au questionnement : libres cours. Comment enseigner la littérature, comment transmettre et faire désirer les textes à des classes, quand le livre ne signifie plus grand-chose ? Quand la langue parlée de chaque côté du bureau n’est pas forcément la même ? Comment provoquer des rencontres, celle des élèves et de leur enseignant (comme l’inverse), celle de ce groupe avec les livres, afin qu’ils deviennent, comme les mots, des objets de plaisir ?

Catherine Henri ne théorise pas, elle parcourt, dévie, tente comme d’autres font des essais ou des varia, en courts chapitres, récits, anecdotes, portraits mêlés, juxtaposés, dessinant en creux des réponses, ses réponses. Sans jamais de certitudes, d’académisme. Liberté en maître mot, « sur toutes les pages lues / sur toutes les pages blanches ».

On croise – comme on navigue – Perrault, Deleuze, Boubacar et les fées, Genet, Rousseau, Leïla et le « pourtant » de l’adversité, Duras, Rilke, Emmanuel Carrère ou Nicolas Bouvier.

Illustration 1

Et la classe se dessine peu à peu avec ses murs entre lesquels naviguer à vue, en « libres cours », la classe comme mémoire, territoire, chaque jour réinventé, pris dans un « comment » mais, évidemment, jamais dans un « pourquoi ».

Libres cours n’est ni un roman ni un essai, mais un texte dans le sens donné par Roland Barthes à ce terme. Barthes, référent de ce livre :

«Enseigner, cela relève de l’essai, qui est à la fois une pratique et une écriture. Dans sa Leçon inaugurale, Roland Barthes définit l’essai comme "une forme tourmentée où l’analyse le dispute au romanesque et la méthode au fantasme". Pour moi, cela ressemble à cela, enseigner, et aussi écrire. Quelque chose comme une pratique ou une forme très plastique, non systématique, admettant la surprise, le provisoire, le détour, l’inachevable. Barthes dit : "le romanesque" ; le romanesque, autrement dit, pour parler vite, des personnages et des affects.

Chaque année, en septembre, c’est un essai. Un essai romanesque. Avec des personnages inconnus, des passions nouvelles, un suspens insoutenable. Je n’en suis même pas la narratrice, ce qui me donnerait un pouvoir qui m’échappe».

Ni un essai, ni un roman, donc, un texte qui tisse le lien essentiel de la littérature et de la vie (comme de leurs envers), de l’enseignement, du plaisir et du doute, magnifiquement écrit et composé, passionnant. Poétique et politique, parce que c’est la même chose, sans doute, dans le même engagement, la même passion.

Libres cours avec la Prose du transsibérien comme un fil, cousu d’Or, en une année de cours hors les murs, de Princesse de Clèves et de mouvements sociaux. Cette utopie d’une absence de frontière entre le dedans et le dehors. Cette grève qui permit de toucher une certaine essence de la révolte, de la liberté, nécessaires.

Catherine Henri n’interroge pas seulement la liberté ou l’enseignement, elle creuse aussi la question de la langue, des langues : le français parlé par un Anglais, la langue des écrivains, l’étymologie, la langue des pays d’origine de nombreux élèves, celle de la banlieue. La langue comme trait d’union et parfois signe d’exil. Soulignée par le sous-titre («la langue, l’exil»), cette interrogation se prolonge jusqu’aux mutations de l’échange virtuel, où l’autre devient «hologramme» (MSN, les SMS, Internet), dans un exil à l’autre comme à soi, dans une «mémoire immatérielle».

Illustration 2

A l’opposé, la mémoire pleine de la littérature, qui jamais n’oublie, qui commente dans une actualité brûlante à des siècles d’écart : ainsi cette Princesse de Clèves méprisée par un candidat (février 2006, avril 2007), depuis président en exercice, dont la première phrase semble un plagiat par anticipation de la Chronique de son règne : «la magnificence et la galanterie n’ont jamais paru en France avec tant d’éclat que dans les dernières années du règne de Henri second». Catherine Henri commente, analyse, déploie, c’est littérairement juste, stylistiquement cinglant. Tout simplement remarquable.

Comme le rappelle l’auteur, «le livre introduit chacun à sa propre subjectivité amoureuse et la réinvente à chaque lecture. De ce point de vie, il n’est jamais le même pour personne, ni jamais le même pour quelqu’un». Offrez Libres cours à votre subjectivité amoureuse.

Catherine Henri, Libres cours. La langue, l’exil, P.O.L, 160 p., 14 €

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