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Billet de blog 6 avril 2011

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Marguerite Duras à 20 ans – L’Amante

Pour leurs dix ans, les éditions Au Diable Vauvert ont inauguré une collection « à 20 ans ». Chacun des titres (Flaubert, Genet, Colette, Proust, Vian, Duras) propose de relire l’œuvre d’un écrivain majeur à l’aune de sa jeunesse : «pour qu’ils deviennent des classiques il fallait qu’ils soient des originaux». Manière de faire de la jeunesse une aventure au sens plein du terme, un "à venir" chargé de promesses.

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Pour leurs dix ans, les éditions Au Diable Vauvert ont inauguré une collection « à 20 ans ». Chacun des titres (Flaubert, Genet, Colette, Proust, Vian, Duras) propose de relire l’œuvre d’un écrivain majeur à l’aune de sa jeunesse : «pour qu’ils deviennent des classiques il fallait qu’ils soient des originaux». Manière de faire de la jeunesse une aventure au sens plein du terme, un "à venir" chargé de promesses.

Le livre consacré à Marguerite Duras par Marie-Christine Jeanniot s’ouvre sur une image, une «seconde naissance» :

Illustration 2

«3 octobre 1933, dans le port de Saigon, capitale de l’Indochine française – aujourd’hui Hô Chi Minh-Ville au Vietnam –, Marguerite Donnadieu, 19 ans et demi, est accoudée au bastingage du Porthos. Elle regarde une dernière fois les rives de sa terre natale et les eaux jaunes du Mékong, encore lourdes des pluies de mousson. Lentement, dans un mugissement plaintif, le paquebot de cent soixante mètres de long s’arrache du quai. La compagnie Air France vient d’être créée, mais un envol trop brutal ne conviendrait guère à cette seconde naissance. En revanche, un bateau arborant le nom de l’un des trois mousquetaires d’Alexandre Dumas est un parrainage littéraire et guerrier assez approprié à la situation d’une jeune bachelière partant à la conquête de Paris».

Il ne s’agit pas seulement de conquête d’une ville. Bien plus de celle d’une indépendance, à l’égard de sa mère – qui se rit de son ambition littéraire, «une idée d’enfant» – comme du réel. Ainsi cette scène de départ qui redouble un souvenir, en 1931, la silhouette de l’amant dans une Léon Bollée noire, moments récrits «dans les toutes dernières pages du roman qui lui vaudra le Goncourt à 70 ans» (1984).

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© Marguerite Duras par Boris Lipnitzki

«L’enfant blanche de l’Asie» part. 26 jours en mer comme une transition, un entre-deux, vers le réel de ses rêves, peut-être, l’Université, l’écriture. «Ce n’est pas qu’il faut arriver à quelque chose, écrira-t-elle dans L’Amant toujours, c’est qu’il faut sortir de là où on est !». D’une enfance tissée «de désespoir et de solitude» dans l’ombre d’un frère aîné adoré par la mère. L’œuvre s’édifie dans ses images obsédantes dès cette traversée, l’annonce du suicide d’un jeune homme qui s’est jeté par-dessus bord, «cette disparition dans la mer», qui revient dans l’écriture flottante de La Vie matérielle (1987). De même cette terre quittée qu’elle ne cherchera jamais à retrouver demeure, livre après livre, recomposée.

Illustration 4
Illustration 5

Au fil des quelques 200 pages de ce document – étayé par les écrits de Duras, sa biographie – c’est le rapport de l’écrivain aux mots et aux hommes (les deux «grandes affaires de sa vie») qui se construit : le frère aîné «fils chéri de leur mère Marie, infatué de lui-même» qui l’accueille lors qu’elle débarque à Paris, le 28 octobre 1933, Robert Antelme, Dionys Mascolo.

Marguerite s’échappe encore de l’appartement de Vanves, de la violence de cet aîné « trafiquant de drogue et souteneur dans le quartier de Montparnasse ». Elle étudie le droit et l’économie, commence à fréquenter le «Paris culturel», vit selon la seule règle du désir («Je trouvais que le désir était bon à éprouver, je le ressentais comme une espèce de solution à toutes sortes de choses», Cahiers de la guerre). La jeune femme s’abreuve de cinéma (deux films par jour, pendant deux ans, au Bonaparte), de livres, de théâtre. Et s’offre le luxe, à 21 ans, d’une automobile. Week-ends en Normandie, Trouville déjà :

«Tant que j’aurai l’auto, je vivrai. Tant que je pourrai me balader en auto, que je pourrai regarder la Seine, la Normandie, je vivrai».

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1936 et la rencontre de Robert Antelme puis le mariage, la guerre, l’expérience de l’exode, la mort d’un enfant, l’installation au 5 rue Saint-Benoît qu’elle ne quittera qu’à sa mort, le 3 mars 1996, le premier roman publié en 1943, l’année de ses 29 ans, Les Impudents et l’écriture, dès 43 du «roman qui la rendra célèbre à sa sortie en 1950, Un barrage contre le Pacifique» : Marie-Christine Jeanniot montre comment Marguerite Donnadieu est devenue Duras, comment elle advient à cette troisième naissance, «celle d’un écrivain», «totalement identifiée à son personnage d’écrivain». Celle que nous lisons toujours :
«Marguerite, la femme, s’en est allée. Duras, elle, vit toujours».

CM

Marie-Christine Jeanniot, Marguerite Duras à 20 ans, Au Diable Vauvert, 168 p., 12 €