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«Le sujet de cet ouvrage est la littérature, ceux qui la font, et ceux qui la lisent. C’est-à-dire qu’on parlera de plaisir, de frontières, de désir, de promesses. Il y a peu de sujets aussi envoûtants que les livres, mis à part le jardinage et le sexe peut-être».

Comment ne pas lire après une telle entrée en matière, précédée de deux anecdotes mettant en scène George Bernard Shaw et Mao Tsé-toung qui annoncent variété et piquant? Après la promesse de passer du bonheur de lire à la jouissance? Un programme en cinquante leçons – pour certaines parues dans le cahier Livres de Libération dans la rubrique «On achève bien d’imprimer» – qui répond à des questions aussi essentielles que: lire Kafka assouplit-il le neurone? La lecture influe-t-elle sur la reproduction des couples? L’Odyssée décrit-elle bien une éclipse solaire? Que veut dire Agnès quand elle déclare que «le petit chat est mort»? Est-il acceptable de corner les pages des livres?
On pourrait penser que ce parti-pris est seulement ludique voire anecdotique. Ainsi lorsqu’Édouard Launet écrit que «des chimistes anglais ont analysé les produits qui donnent leur odeur aux vieux livres. Cette "combinaison de notes herbeuses avec une dominante d’acide et un soupçon de vanille sur une odeur de moisissure sous-jacente" est due à quelques centaines de composés organiques volatils et semi-volatils. Cela nous dit peu sur le style de l’auteur, mais nous renseigne beaucoup sur l’état de décomposition de son œuvre».

Pourtant se dessine peu à peu une carte du tendre du livre, du plaisir du texte, qui tient certes de l’intellect mais aussi des sens, le toucher, la vue, l’odorat. Le livre n’est pas un concept mais un objet que l’on voit, respire, caresse, brutalise, quand on le corne ou l’annote. Le livre peut-être objet de fous rires quand on apprend (leçon 3) qu’il existe un prix Bulwer-Lytton de la pire première phrase de roman, attribué depuis 2005 par une université californienne. Lauréate 2010, la romancière (zoologue?) américaine Molly Ringle, pour son anthologique «durant le premier mois de leur liaison, Ricardo et Felicity débutaient chacun de leurs rendez-vous volés par un baiser – un baiser interminable, insatiable, Ricardo lapant et suçant la bouche de Felicity comme si elle était un abreuvoir géant dans la cage de la gerbille la plus assoiffée du monde». De l’importance d’un incipit.
Édouard Launet rapporte, concentre, s’amuse de colloques universitaires en délibérations secrètes du jury Goncourt, est aussi à l’aise (et alerte) pour évoquer Proust (et les mots croisés) que la rentrée littéraire grâce aux logiciels de Google Books (32 fellations, 41 tentatives de suicide dont 11 ratées, on en passe), la «sémantique des navicules» que l’«intersexualité» ou la «métaphorologie». De quoi susciter une belle «effervescence synaptique». Drôle et intelligent, un cocktail imparable.
Édouard Launet, De la jouissance en littérature, 50 leçons, Philippe Rey, 192 p., 16 €