Un mois de mai, sur les rayons du Bookclub, sous le signe des couleurs et des hommes, de la naissance et des métamorphoses du sentiment érotique. Des poches, des grands formats. Lectures.

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Érotisme pas mort
Magnifique, Jean-Jacques Pauvert ne dételle pas. Lui qui osa, avec tous les risques, publier les œuvres complètes de Sade en 1947 (il avait vingt ans !) et Histoire d’O de Pauline Réage en 1954, revient une fois encore aujourd’hui à son sujet favori avec un Métamorphose du sentiment érotique. En fait, il s’agit surtout d’un parcours à travers les âges et les civilisations à la recherche de ce qui ferait l’essence de ce que Pauvert appelle le «sentiment érotique». Vaste survol, on s’en doute, qui s’accompagne d’une grande richesse d’exemples rapides. Longtemps et partout, l’érotisme fut un combat contre les censures. Aujourd’hui qu’il est, en Occident au moins, largement toléré, ce sentiment et sa mise en œuvre se sont comme effrités en même temps qu’ils se répandaient tous azimuts. Mais, inlassable, Pauvert, qui fut aussi l’auteur d’une monumentale Anthologie des lectures érotiques en plusieurs volumes, continue à le commenter avec à propos, tout en puisant dans sa fabuleuse documentation de judicieux exemples. JD
Jean-Jacques Pauvert, Métamorphose du sentiment érotique, Jean-Claude Lattès, 20 €.
Hommes-couleurs

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«Où est la frontière ? Et comment saura-t-on qu’elle a été franchie ?». La voix de Cloé Korman s’est imposée à la rentrée 2010 avec un premier roman sidérant : Les hommes-couleurs.
Tout commence à Mexico en 1945, sous la pyramide de la Lune. Une jeune Américaine, Florence, rencontre Georges Bernache, Français, ingénieur métronome à Mexico, chargé de superviser un chantier de la Pullman. Un jeune garçon est avec lui, Niño. Mars 1989. La société Pullman vient d’être rachetée, Joshua Hopper doit sonder les secrets du chantier Bernache. Un dossier «muet». Josh enquête, interroge et tisse des liens, des récits, dont celui, oral, de Grís Bandejo, «le dernier ouvrier du chantier», «éternel témoin». Le roman retrace cette histoire, tissée de plusieurs voix, celle d’un chantier en partie clandestin, un oléoduc entre le Mexique et les États-Unis, mais aussi un tunnel secret qui aura permis à des centaines et des centaines d’ouvriers de franchir la frontière, une «voie de migration clandestine», «l’utopie Bernache».
Cloé Korman signe avec Les Hommes-couleurs un roman poétique et politique, un roman des frontières et des seuils, dont le tunnel est la métaphore, avec ses réseaux, ses couleurs, sa musique. Un roman nécessaire, somptueux et envoûtant. CM
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Cloé Korman, Les Hommes-couleurs, Points, 6 € 65, à paraître le 19 mai
Les variations Foucault

Michel Foucault a marqué son temps comme il a marqué la pensée. Il continue d’ailleurs à influencer de nombreux esprits. Il demeure cependant difficile à classer ou à situer tant il eut tendance à faire table rase pour son compte de maintes disciplines et corps de doctrine. Il a ainsi rejeté les différentes sciences humaines tout en se référant à la psychologie ; il a refusé le marxisme après avoir été communiste puis maoïste.
Signé Moreno Pestana, le présent ouvrage s’interroge précisément sur la position politique de Foucault, se demandant en particulier s’il fut vraiment de gauche. L’auteur montre à foison que, de ce point de vue, il n’y eut aucune stabilité dans les engagements de Foucault. En fait, il se réclamait de concepts bien à lui comme celui d’une domination pensée en dehors de la lutte des classes ou bien encore celui de «plèbe», qui désignait chez lui la partie souffrante de l’humanité ou plus simplement de l’humain sans tenir compte des appartenances sociales. Ce Foucault, la gauche et la politique en est ainsi conduit à une sorte de cabotage intellectuel qui se justifie et est riche d’informations. On le lira donc avec profit tout en se rappelant qu’il ne dispense pas de se reporter aux deux ouvrages essentiels que Didier Éribon consacra à Foucault. JD
José Luis Moreno Pestana, Foucault, la gauche et la politique, Textuel, «Petite encyclopédie critique», 9,90 €.
Juliet naked

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Juliet, Naked est le titre du dernier roman de Nick Hornby. C’est aussi le titre d’un album de Tucker Crowe, chanteur américain adulé dans les années 80, has been, qui a arrêté la musique depuis 20 ans, demeure l’objet d’un culte pour une communauté de fans obsédés, traquant ses apparitions sporadiques, interrogeant sans fin le sens de ses chansons.
Duncan est l’un de ces «crowologues». Il entraîne Annie dans un road trip aux USA, un pèlerinage, une nouvelle «tuckercentricité», tourisme sur les lieux qui gardent trace du passage de Tucker Crowe, où il a vécu, chanté, même… pissé. «Ils étaient venus d’Angleterre jusqu’à Minneapolis pour visiter des toilettes». Drôle d’incipit pour un roman déjanté qui croise plusieurs destinées. Celle de Duncan et Annie, en couple depuis une quinzaine d’années, au bord de la crise existentielle comme amoureuse. Celle de Tucker Crowe, chanteur reclus, Salinger rock, qui ne peut décidément être et avoir été. Chacun des personnages est pris dans une quête du temps perdu, perdu parce qu’il est passé, perdu parce qu’il a été gâché, mal employé. Nick Horny interroge dans ce roman les relations de couple qui se (dé)font, mais aussi les obsessions, les collections. Il traque le sens des manies et (dé)lires, dans un texte qui passe au crible le rapport des nouvelles donnes technologiques (Internet, mail, Wikipedia, iPod, appareils photos numériques) au temps, à la mémoire, à la vérité. Qui va jusqu’à insérer dans le texte des mails ou des articles Wiki. En une image de l’immense brassage de voix que sont le monde et les êtres à l’heure d’Internet, créant des communautés virtuelles, des échos lointains, des rencontres non physiques, tissant un nouveau rapport à l’autre, à soi, au vrai. CM
Nick Hornby, Juliet, Naked, traduit de l’anglais par Christine Barbaste, 10/18, 7 € 79
Sur les Rayons du Bookclub - mai 2011 - Jacques Dubois & Christine Marcandier