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Christine Marcandier

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Billet de blog 13 juin 2010

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Christine Marcandier

Littérature

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Nick Hornby, Juliet, Naked

Juliet, Naked est le titre du dernier roman de Nick Hornby qui vient de paraître dans la collection inédit grand format 10/18. C’est aussi le titre d’un album de Tucker Crowe.

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You Had Time, Ani DiFranco

Juliet, Naked est le titre du dernier roman de Nick Hornby qui vient de paraître dans la collection inédit grand format 10/18. C’est aussi le titre d’un album de Tucker Crowe. chanteur américain adulé dans les années 80, has been, qui a arrêté la musique depuis 20 ans, demeure l’objet d’un culte pour une communauté de fans obsédés, traquant ses apparitions sporadiques, interrogeant sans fin le sens de ses chansons, tissant un fil serré de commentaires et posts sur un site internet dédié à leur idole, « Can Anybody Hear Me ?, d’après le titre d’un obscur maxi que Crowe avait enregistré après l’échec blessant de son premier album », titre qui aurait pu être celui du roman, tant chaque personnage est empêtré dans sa solitude, ses monologues intérieurs.

Illustration 2

Duncan est l’un de ces « crowologues ». Il entraîne Annie dans un road trip aux USA, un pèlerinage, une nouvelle « tuckercentricité », avec des visées touristiques extrêmement centrées : voir les lieux qui gardent trace du passage de Tucker Crowe, ceux où il a vécu, chanté, connu des ruptures et même… pissé.

« Ils étaient venus d’Angleterre jusqu’à Minneapolis pour visiter des toilettes ».

Drôle d’incipit pour un roman déjanté qui croise plusieurs destinées. Celle de Duncan et Annie, en couple depuis une quinzaine d’années, au bord de la crise existentielle comme amoureuse. Celle de Tucker Crowe, reclus, Salinger rock, qui ne peut décidément être et avoir été. Chacun des personnages est pris dans une quête du temps perdu, perdu parce qu’il est passé, perdu parce qu’il a été gâché, mal employé.

Et soudain tout s’accélère. Ducan reçoit Juliet, Naked, pas vraiment un nouvel album mais les versions démo des chansons de Juliet, enregistrées il y a 20 ans. Le CD d’un album « à la fois aussi innocent et incendiaire qu’un biscuit au chocolat ». Duncan écrit une critique dithyrambique pour son site internet. Annie n’aime pas l’album, qu’elle juge décevant. Duncan et Annie viennent de se séparer, elle se lance, écrit à son tour, dit son dépit, l’article est mis en ligne sur « Can Anybody Hear Me ? ». Tucker Crowe lit la critique, contacte Annie par mail, ils entament une longue correspondance cybernétique avant de se rencontrer.

Nick Horny interroge dans ce roman les relations de couple qui se (dé)font, mais aussi les obsessions, les collections. Il traque le sens des manies et (dé)lires, dans un texte qui passe au crible le rapport des nouvelles donnes technologiques (Internet, mail, Wikipedia, iPod, appareils photos numériques) au temps, à la mémoire, à la vérité. Qui va jusqu’à insérer dans le texte des mails ou des articles Wiki. En une image de l’immense brassage de voix que sont le monde et les êtres à l’heure d’Internet, créant des communautés virtuelles, des échos lointains, des rencontres non physiques, tissant un nouveau rapport à l’autre, à soi, au vrai.

Illustration 3

Qui est Tucker Crowe, pour les autres, pour lui-même ? Quelle identité (re)trouver quand on appartient à une histoire privée manquée, à une histoire collective mensongère ? Comment être soi ? Dans un rapport High Fidelity à son passé ou en rupture ? Annie, Ducan comme Tucker expérimentent, en Une éducation qui pourrait passer par 31 songs, ceux des albums de Tucker Crowe qui « avait toujours fait partie du lot ». Plus encore quand il rejoint Annie à Gooleness, petite station balnéaire sur la côte anglaise.

Illustration 4

Roman sur la musique (centrale) le couple, le temps, Juliet, Naked est un La vie, mode d’emploi, la bonté en moins, une variation sur l’un des 31 songs que Nick Horny analysait en 2003, You Had Time d’Ani DiFranco :

« Rien de plus rasoir, pourrait-on penser, que ces chansons en miroir qui évoquent la vie dans l’univers de la musique – les joies et les souffrances d’un auteur-compositeur-interprète talentueux mais qui galère (I’ve Had It), la difficulté de mener de front une relation sentimentale et une carrière dans le rock’n’roll (You Had Time). »

Et pourtant la chanson emporte par son mélange de nostalgie et de gaieté, comme le roman de Nick Horny, cynique et drôle, touchant. Une « chanson de rupture », comme Juliet, Naked est le roman des ruptures, avec ses illusions, sa jeunesse et son ennui.

Nick Hornby, Juliet, Naked, traduit de l’anglais par Christine Barbaste, 10/18, 315 p., 19 €.

Lire les premières pages

Illustration 5

Tous les précédents romans de Nick Horny sont disponibles en poche chez 10/18.