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Billet de blog 18 janvier 2013

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Comment trouver l’amour à cinquante ans quand on est parisienne

Le titre, déjà : Comment trouver l’amour à cinquante ans quand on est parisienne (et autres questions capitales). Ironique, contemporain : on flaire le pastiche de ces guides pour mieux être ou tout arranger. Comment, en effet ? Et quelles sont ces questions à la fois « capitales » et entre parenthèses ?

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Illustration 1

Le titre, déjà : Comment trouver l’amour à cinquante ans quand on est parisienne (et autres questions capitales). Ironique, contemporain : on flaire le pastiche de ces guides pour mieux être ou tout arranger. Comment, en effet ? Et quelles sont ces questions à la fois « capitales » et entre parenthèses ? Alors on ouvre le roman, on lit les premières phrases : « il fallut mettre le cercueil sur la tranche. Il ne passait pas, à l’horizontale, par la porte de l’emplacement maçonné qui lui était réservé, dans la haute paroi d’alvéoles de béton de la section des indigents du cimetière. La défunte était tellement grosse ».

Le ton est donné : entre causticité et précision d’entomologiste, ironie et tragique. Rire plutôt que d’en pleurer. La scène d’ouverture du dernier roman de Pascal Morin — son cinquième — est irrésistible, drôle dans l’horreur avec l’enterrement de cette femme qui « emplit le cercueil jusqu’au couvercle, heureusement étanche, jusqu’aux rebords, comme une terrine trop grasse ». Ce pourrait être une belle scène de roman, et seulement une belle scène de roman : ce sera, de fait, le point de départ et le levier du récit, provoquant la rencontre en cascade de tous les personnages qui le composent, comme Natacha Jackowska, fille de la défunte et Catherine Tournant, sa prof de français qui justement assiste aux obsèques et expliquait la veille à ses élèves « qu’il fallait toujours un "élément déclencheur" pour faire exister un récit ».

Illustration 2

Une femme est morte et la vie reprend son cours, dit-on. Mais Pascal Morin aime détourner les expressions figées, les clichés, montrer combien la vie est justement ailleurs, dans les hasards et nécessités, les croisements et les rencontres. Chacun des personnages de son roman est saisi dans un moment de choix. Au départ, on pourrait pourtant les croire si différents. Que peuvent avoir en commun deux adolescentes, leur professeur de lycée, un plombier, une psychanalyste et un styliste branché ? Une ville — Paris — centre de gravitation de leurs choix et un rapport intime au langage (des tics aux phrases toutes faites qui peuvent servir de mantra) : rien donc tout. Les destins se mêlent et se croisent pour construire le roman de nos existences faites de petits bonheurs, tournants et interrogations angoissées. Tout différencie Dimitri, Natacha, Catherine, Jérémie, Marie : leur couleur de peau, leur religion, leur âge, leurs désirs sexuels, leurs origines. Pourtant, les short cuts de Comment trouver l’amour vont les rassembler : l’un travaille chez l’autre, y rencontre un troisième, etc. et tous finiront par se retrouver, en un même lieu, La Ferté-Loupière, à la fin du livre.

« Il avait la conviction qu’il se tramait en secret des réseaux de signification profonde, qui lui échappaient. Un tissu de liens souterrains, de structures implicites dont il aurait aimé, par le travail, trouver le sens ». Cette méditation de Jérémie définit la forme-même du roman : sa trame narrative suit la logique de vies « depuis la mort de (la) mère obèse et enterrée de biais » et explore les petits riens qui les composent, les fêlures, les espoirs. Chaque personnage du roman pourrait être « un échantillon sociologique banal, en somme » et se voit placé à un moment de rupture et de refus, dans un sentiment d’exil à soi et aux autres qui le conduit à s’ouvrir à un ailleurs, à un territoire inconnu, « un autre monde que le sien ». Tous sont pris dans un avant et un après. Si « les clichés ont la peau dure », comme le pense Catherine, nul doute que Pascal Morin les assouplit, en en faisant le levier d’un roman doux-amer, sensible, aussi drôle qu’il est piquant, parcours métissé et pluriel du « monde un peu cliché des histoires d’amour ».

Pascal Morin, Comment trouver l’amour à cinquante ans quand on est parisienne (et autres questions capitales), La Brune au Rouergue, 192 p., 17 € 10

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