Philip Roth, 80 ans aujourd’hui et une œuvre close
- 19 mars 2013
- Par Christine Marcandier
- Édition : Bookclub

Philip Roth, l’un des plus grands écrivains américains contemporains, a 80 ans. Né le 19 mars 1933 à Newark (New Jersey), il a annoncé récemment avoir renoncé à l’écriture, travaillant à la biographie que lui consacre Blake Bailey –l’écrivain rassemble pour lui ses archives– et à des échanges ludiques de textes avec Amelia, 8 ans, par e-mail, la fille d’une de ses amies proches, dont il admire la fraîcheur et l’imaginaire. Mais jamais, plus jamais, de fiction, assure-t-il.

Rien dans ce récit n’est strictement fictionnel : l’épidémie permet à Roth de parler de l’histoire américaine — la plus célèbre des victimes de la polio n’est-elle pas Franklin Delano Roosevelt ? — et de faire de sa ville de naissance, « la cuvette de Newark », le microcosme d’une étude de la « peur collective ». Le roman suit ses personnages sur trois décennies et tisse, dans une construction brillante, maladie et mort, hasard et nécessité dans nos existences. Une somme métaphysique en quelque sorte, mais dénuée de toute morale simple, rendue plus complexe et insaisissable par son contexte : Némésis est le dernier volume d’un cycle de quatre romans (Nemeses) — Un homme, Indignation, Le Rabaissement, Némésis —, tous centrés sur la mort, la fatalité, une force qui s’abat sur l’homme, incontrôlable, sinon par la fiction.

Comme l’a dit plusieurs fois Roth dans des entretiens, l’abstraction totale ne l’intéresse pas : il incarne les questions métaphysiques et philosophiques dans des récits qui sont des « what if » (« et si »). Décaler le réel et l’histoire, écrire sur ce qui aurait pu arriver pour mieux comprendre ce qui se passe réellement.


C’est à ce « what if » qu’a renoncé Roth, qui avait déjà liquidé ses doubles fictionnels dont le plus célèbre, Nathan Zuckerman. Ne plus se lever chaque matin, pour écrire, debout face à son écritoire. Ne plus être dans ce challenge, cette bataille quotidienne (« struggle for writing »). Etre libre. Il aurait tout dit, ne veut pas ajouter un livre médiocre et inutile à une œuvre qu’il juge achevée, qu’il a récemment relue en partant de son dernier volume, Némésis. « Il avait perdu sa magie », écrivait-il dès la première page du Rabaissement (Gallimard, 2011), « l’élan n’était plus là. (…) Son talent était mort ».

« Un vrai lecteur de romans, c'est un adulte qui lit, disons, deux ou trois heures chaque soir, et cela, trois ou quatre fois dans la semaine. Au bout de deux à trois semaines, il a terminé son livre. Un vrai lecteur n'est pas le genre de personne qui lit de temps en temps, par tranches d'une demi-heure, puis met son livre de côté pour y revenir huit jours plus tard sur la plage. Quand ils lisent, les vrais lecteurs ne se laissent pas distraire par autre chose. Ils mettent les enfants au lit, et ils se mettent à lire. Ils ne tombent pas dans le piège de la télévision, et ils ne s'arrêtent pas toutes les cinq minutes pour faire des achats sur le Net (…)
Les causes de cette désaffection ne se limitent pas à la multitude de distractions de la vie d'aujourd'hui. On est obligé de reconnaître l'immense succès des écrans de toutes sortes. La lecture, sérieuse ou frivole, n'a pas l'ombre d'une chance en face des écrans : (…) Pourquoi la vraie lecture n'a-t- elle aucune chance ? Parce que la gratification que reçoit l'individu qui regarde un écran est bien plus immédiate, plus palpable et terriblement prenante. (…) Personnellement, je ne me souviens pas d’avoir connu d'époque aussi lamentable pour les livres — (…) demain, ce sera pire, et encore pire après-demain. Je peux vous prédire que dans trente ans, sinon avant, il y aura en Amérique autant de lecteurs de vraie littérature qu'il y a aujourd'hui de lecteurs de poésie en latin. » (Lire l’entretien en français ici)

Le titre original de Tromperie est Deception (1990) : nous étions prévenus. Demeure l'adjectif sur lequel s'achève Némésis, « invincible ».
- Philip Roth, Némésis, traduit de l’anglais (USA) par Marie-Claire Pasquier, 240 p., 18 € 90
- Tous les livres de Philip Roth sont publiés en français par les éditions Gallimard et disponibles en Folio
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