Il s’ennuie dans la bourgade de Sawyer, Australie. À la forêt dense et menaçante, il préfère la rivière et l’odeur lointaine de l’océan. Il rencontre Loonie, ils ont les mêmes jeux, plonger dans l’eau de la rivière, retenir leur souffle jusqu’à suffoquer, « se propulser sans fin vers les profondeurs opaques de la Sawyer River pour y retenir notre respiration si longtemps qu’on avait la tête pleine d’étoiles ». Leur adolescence sera une course contre la mort. Un défi permanent.
Près de quarante ans après, devenu urgentiste, pour toujours côtoyer ces « bords » (« C'est là que je suis bien, quand les terminaisons nerveuses chantent, l'estomac noué par l'urgence »), il revient sur cette « enfance de garçons », pleine de dangers, d’adrénaline et de beauté, de « fulgurances », surtout après la découverte de l’océan et du surf, en compagnie de Loonie et d’un homme énigmatique qui semble dompter la mer sur sa planche, danser, qu’ils appellent Sando.

"La formidable accélération du corps qu'on sentait au moment de l'envol sur les déferlements de lame, le vent dans les oreilles. On a vite compris ce que cette sensation avait de narcotique, et le degré d'accoutumance qu'elle entraîna ; dès le premier jour, j'ai été défoncé rien que de regarder."
Tout semble devenu une légende désormais. Loonie dont tous connaissent « les anciennes frasques, même si ces contes sont presque toujours apocryphes » ; Sando, Billy Sanderson, « qui avait été quelqu’un », dont les magazines disent encore l’histoire. Le récit, mené par Bruce, est d’une poésie dense, à couper le souffle, un hymne à la mer et ses vagues toujours recommencées, une ode à la vie, au danger, à la respiration, à l’inspiration, tant physiologique que poétique. Marqué par le refus des marques syntaxiques de la négation. Tout un symbole. Raconté par un homme taciturne, peu enclin à la confidence, Respire est à l’image de son narrateur, un « livre clos ». Qui entraîne le lecteur, souffle coupé, pris par un suspens haletant.
Respire est un roman d’apprentissage étrange : Loonie, tête brûlée et Bruce, rêveur et mélancolique, sont initiés par Sando. Ils découvrent une beauté sauvage, une addiction qui les conduit à repousser les limites de leurs corps. Le roman surfe sur le danger, l’adrénaline, « l’inutile beauté », gratuite et élégante, d’hommes qui bravent les éléments, recherchent les vagues impossibles. Il y a aussi Eva, la compagne de Sando, femme étrange au destin brisé, que Bruce désire douloureusement, qui l'initie à l'érotisme, à cet autre vertige. Tous face à l’ailleurs, qu’il s’agisse de l’océan, de soi, de l’autre.
Respire n’est ni Riding Giants ni Point Break. Sa prose poétique, dense et houleuse, somptueuse, sensuelle, repose sur une alchimie verbale proprement époustouflante, liquide. La Fièvre dans le sang. A bout de souffle. C’est une déferlante, une vague, une claque. Le surf y est certes un sport extrême (ils lui préfèrent l'adjectif "extraordinaire"), mais loin des clichés (soleil, corps musclés, les Beach Boys…), il devient une expérience ontologique, métaphysique, esthétique. Celle de l’homme face aux éléments déchaînés, falaises d’eau et rouleaux, dans sa quête d’absolu et de beauté, celle de l’enfant devenant adulte, cette tragédie qui coupe court aux rêves, avec une violence déchaînée.

Tim Winton, né à Perth en 1960, plusieurs fois finaliste du Booker Prize, livre ici un roman à la voix inimitable : un rythme haletant, saccadé, entre nostalgie et tempête, désir et violence, il fait de l’Australie, de ce bout de côte où se déroule le récit, la terre même de la respiration, de l’inspiration, du souffle coupé, l’espace d’une liberté romanesque, d’un infini de l’imagination. Ses personnages, ceux de Respire comme auparavant de La Femme égarée, Cloudstreet ou Angelus, veulent marcher Par-dessus le bord du monde, échapper à un destin trop prévisible, banal, aller vers l’ivresse, l’inconnu, l’ailleurs. Un roman dément, extrême, à découvrir d’urgence. Qui transmet inévitablement la fascination et l’addiction. Le vertige.
Tim Winton, Respire [Breath], Traduit de l’anglais (Australie) par Nadine Gassie, Rivages, 224 p., 18 € 50.

Angelus [The Turning], nouvelles traduites de l’anglais (Australie) par Nadine Gassie, Rivages poche, 399 p., 9 €.
