Avec Philip Roth
- 20 nov. 2014
- Par Christine Marcandier
- Édition : Bookclub
« Quand on admire un écrivain, on est curieux de le connaître. On cherche son secret — les clés de son puzzle » (Philip Roth, L’Ecrivain fantôme).

Philip Roth a annoncé avoir renoncé à écrire. Pour tous ses lecteurs, cette annonce a fait l’effet d’un coup de tonnerre. Parmi ces fidèles, Josyane Savigneau qui l’a suivi de livre en livre et n’a cessé, durant plus de 30 ans, de le lire mais aussi de le rencontrer et l’interviewer pour le journal Le Monde. Pour contrer « ce sentiment pénible qu’il devenait posthume de son vivant » et faire encore et toujours résonner sa voix, elle publie un Avec un Philip Roth, l’histoire d’un « compagnonnage », à la fois guide vagabond d’une œuvre et forme d’autoportrait littéraire oblique.
« On ne doit rien oublier » (Patrimoine)
Josyane Savigneau nous fait voyager dans l’œuvre de Roth, des textes les plus largement connus aux plus oubliés, au gré d’associations d’idées, à travers analyses, souvenirs et anecdotes. Elle revient sur tout ce qui fait la force de ses livres : son rapport à l’Amérique, à Newark, à la judéité ; ses doubles littéraires, le lien puissant et complexe de la fiction et du réel chez un « virtuose du dédoublement, du faux vrai et du vrai faux, du jeu de rôle ». C’est un travail sur l’aporie ou l’impossible qui fait relief chez Roth (comme dans l’approche de Josyane Savigneau) : aller vers ce qui résiste, ce qui ne devrait pas, aux yeux de certains, être couché sur papier, s’imposer l’impensable, se mettre face à la crise. Comme le dit Roth dans un entretien pour la Paris Review de 1984, « on cherche ce qui va vous résister. On cherche la difficulté », on s’adresse non à un lecteur mais à un adversaire (à séduire), « en se disant, "comme il va détester cela" ».
Josyane Savigneau raconte aussi une vie à écrire, retrait et « austérité monacale », quand chaque expérience devient livre, qu’elle ne compte que pour être convertie en fiction… Ce qui expliquerait en partie ce choix de Roth de ne plus écrire « pour rompre avec cette vie d’esclave », si heureux aujourd'hui de son temps retrouvé. À travers une figure majeure de la littérature contemporaine, c’est aussi un état des lieux du monde des livres qui s’esquisse : Roth a le sentiment que les grands lecteurs sont de moins en moins nombreux, que la littérature survit aujourd’hui, que l’on nie « sa singulière aptitude à parler le monde ». « Que nous soyons les derniers romanciers me paraît évident. Au moins dans ce pays. C’est la fin d’un style de vie civilisé, attaché à la parole, au discours élaboré. Le bonheur du verbe, ses délices... ». Le retrait littéraire de Roth sonnerait-il le glas d’un monde ?
« J’étais chez moi avec Roth »


Du plus anodin — les critiques qui soulignent et annotent les livres, profanation pour beaucoup — au plus intime, nous entrons dans un laboratoire du journalisme littéraire. « Pourquoi aller voir un écrivain qu’on admire ? » Que partage-t-on avec les lecteurs de son journal quand le rapport à une œuvre est si intime qu’il en devient presque subjectif ? Comment l’approche critique peut-elle évoluer, que dit-elle de l’écrivain, mais aussi de soi ? Avec Philip Roth est un puzzle qui (re)compose une œuvre, offre des « clés » à ceux qui voudraient la découvrir comme à ceux qu’elle hante, dans une forme de double Contrevie.
Josyane Savigneau, Avec Philip Roth, Gallimard, 224 p., 18 € 50 (12 € 99 en format numérique) — Lire les premières pages

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