Pourquoi cette fascination pour les Fitzgerald ? Dans une société qui interdit tous les excès, on découvre de plus en plus ce couple de tous les excès. Peut-être un moyen de les vivre sans en payer le prix. Jacques Tournier, traducteur de Gatsby le Magnifique et de Tendre est la nuit, publie, après les livres de Gilles Leroy et de Pietro Citati, un essai sur Zelda et Scott Fitzgerald. On entend enfin la voix du couple. Jacques Tournier s'explique, pour Médiapart, sur la vérité de Zelda (Grasset, 180 pages, 12,90 euros).
Est-ce qu'il y a un engouement pour les Fitzgerald ?
"Ce brusque intérêt pour les Fitzgerald s'explique sans doute par une inflation de plus en plus grande des informations dites "people", qui touchent tous les domaines, et confond désormais les stars (cinéma, théâtre, télévision), les sportifs et les hommes politiques. Mais cette première explication ne suffit pas. Encore faut-il que les couples auxquels le public s'intéresse (de façon de plus en plus malsaine, à mon sens) aient une capacité à faire rêver, à entretenir des fantasmes, à endosser une brillante armure mythique où l'inconscient du public se reflète. Sur ce plan là, Scott et Zelda, plus que beaucoup d'autres, offrent, sur un temps très court, une suite spectaculaire de triomphes, de déchirements et d'échecs qui entrainent à nourrir toutes les rêveries."
Est-ce qu'il n'y a pas de plus en plus de clichés sur ce couple ?
"Ce qui fausse l'image de ce couple, c'est qu'elle se limite aux premières années et frôle la caricature. Ils se marient en 1920. Ils sont jeunes (Zelda 20 ans, Scott 24 ans), beaux l'un et l'autre, et riches (ou plus exactement Scott gagne de l'argent, car son premier roman, L'envers du paradis, est un best-seller et les magazines lui achètent très cher ses nouvelles). Ils font très vite la conquête de New York et les journaux s'interessent beaucoup à eux. D'ou cette impression de "paillettes" qui les poursuit encore aujourd'hui. On oublie trop souvent que pendant ces années où Scott "faisait la fête" comme on dit, il a écrit deux autres romans, dont Gatsby qui est un chef-d'oeuvre, une pièce de théâtre (le légume), qui a été un four, et très exactement quarante nouvelles. Quand à la prétendue rivalité de Zelda et de Scott, qui se voulait écrivain elle aussi, elle disparait très vite quand on lit les quelques nouvelles qu'elle a écrites. Elle écrivait par jeu, parce qu'elle avait le don, sans être capable de l'approfondir. Sa véritable ambition était d'être danseuse. La première dépression de Zelda, en 1929, met fin à ce rêve. C'est à partir de cette déchirure là que le passé s'efface, et que commence un long et douloureux apprentissage de l'amour. Le couple Scott-Zelda se retrouve et se réinvente; mesure le temps perdu, se cherche dans l'obscurité de leurs deux folies parallèles et finit dans une harmonie retrouvée. On est là dans la vérité"
Est-ce qu'on peut les appréhender l'un sans l'autre ?
"Je ne vois pas comment on pourrait dissocier ce couple. Ils se doivent tout l'un à l'autre. Si elle n'avait pas rencontré Scott, Zelda aurait sans doute épousé un riche planteur de tabac, et malgré son caractère fantasque connu la vie monotone de sa mère. Scott l'a délivrée de sa petite province et de sa routine endormie. C'est toujours la guerre de Secession qui reprend. Quand une jeune fille du Sud fait la conquête de New York, elle prend sa revanche et gagne la guerre (exactement ce qui s'est passé en 1940 pour Carson McCullers, elle aussi jeune fille du Sud). Pour Scott comment savoir ce qu'il aurait écrit s'il n'avait pas rencontré Zelda ? Elle inspire et traverse son oeuvre du début à la fin. Elle est déjà dans L'Envers du Paradis, elle sera dans Le Dernier Nabab, et l'on sait par les notes qu'il a prises pendant l'élaboration de Tendre est la nuit, à quel point elle est présente. On la retrouve jusque dans ses nouvelles les moins inspirées. Elle fait toute la trame et le beauté de l'oeuvre."