Silvia Avallone, tandis que l'Italie «coulait à pic»
- 23 oct. 2014
- Par Christine Marcandier
- Édition : Bookclub

En 2011, les éditions Liana Levi publiaient le premier roman de Silvia Avallone, portrait contrasté, aussi poétique que brutal, d’une Italie sans futur, à travers celui de deux jeunes filles, Francesca et Anna. Récit d’apprentissage, éducation sentimentale et roman social comme politique, D’Acier imposait une voix singulière dans les lettres italiennes. Le second roman de Silvia Avallone vient d’être traduit en France et Marina Bellezza confirme le talent de son auteure pour saisir une histoire collective à travers des destins individuels, dire l’Italie dans ses contradictions et ses mutations.
Si D’Acier se déroulait à Piombino, cité industrielle en bord de mer, face à « l’Elbe impossible et radieuse, immobile sur l’horizon », c’est un autre espace qu’expose Marina Bellezza, de la Toscane au Piémont, au cœur de la vallée Cervo, « frontière nue et oubliée de la province », « une frontière inexplorée » dont le roman fera sa page vierge. Comme l'écrit Silvia Avallone en note finale — qui n'est pas sans rappeler celle de Stendhal en clausule du Rouge et le Noir, à propos de Verrières — si « la Valle Cervo est un lieu réel », « c'est en suivant deux directions, le passé de ma famille et l'avenir de ma génération, que j'en ai "imaginé" la géographie. » Tout sera contraste par couples et antithèses dans ce récit, réel et fiction, Gramsci et Russell Banks en référent, Kafka et McCarthy, le lieu comme creuset et matrice d'un réel légèrement déplacé, pour mieux mettre en relief ses failles et ses routes.

A travers Marina et Andrea et leurs proches, ce sont ces aspirations de la jeunesse italienne post-Berlusconi, contradictoires dans leurs objets, semblables dans leur quête d’un idéal, que dépeint Silvia Avallone, en un roman qui, de ce fait, constitue une sorte de second volume à une fresque de l’Italie contemporaine, amorcée avec D’Acier, une histoire de « cette Italie qui coulait à pic ». Dans les deux romans, la peinture au cordeau d’un pays passé par toutes les crises et dont la jeunesse veut réagir, trouver des voies nouvelles. L’auteure dit « les squelettes usés des filatures, délaissées depuis des décennies », les magasins qui ont « depuis longtemps baissé leur rideau », la crise qui a produit son travail de sape sur les paysages et les villes.

Ce coin de vallée et de montagnes, « avait été une terre de casseurs de pierres, de chasseurs d’or, d’émigrants. Une frontière, mais pas à conquérir, à quitter ». Mais, les loyers étant bradés, des jeunes se réinstallent « l’un après l’autre dans ces vieilles habitations qui avaient appartenu à leurs grands-parents ». Le mouvement migratoire s’inverse, la réussite se trouve ailleurs que dans l’apparat de surface berlusconien, comme le montrent les parcours d’Andrea, avec sa ferme de montagne, ou d’Elsa. « Au fond, sa génération s’était exclue de tout, née au mauvais moment au mauvais endroit. Alors autant se retirer sur la frontière. Rebrousser chemin, désobéir ».
« Je suis né trop tard dans un monde trop vieux » disait le héros de Musset, dans les années 1830, même constat dans cette Italie redevenue « Far West » — mythe fondateur du récit — quand une génération comprend que « nul n’échappe à sa propre histoire », que « peu importe d’où on vient, ce qui compte c’est jusqu’où on arrive » et ces frontières (sociales, familiales, géographiques et intimes) que l'on renverse ou transgresse.
Cette Confession d’enfants du siècle, ceux qui comme Marina, née en 1990, « ignoraient tout du monde d’avant Berlusconi et les textos », tire sa force de ce regard acéré sans sentimentalisme, fausses solutions ou condamnations à l’emporte pièce. Silvia Avallone observe, narre — et il est difficile de lâcher ces pages tant le récit emporte —, brosse des personnalités contrastées, unissant, ce qui est si complexe pourtant, récit pur et discours sur le monde comme il va.
- Silvia Avallone, Marina Bellezza, traduit de l’italien par Françoise Brun, éd. Liana Levi, 544 p., 23 € Format ePub : 17,99 €
- Lire un extrait
- D’Acier est disponible en « Piccolo » (la collection de poche des éditions Liana Levi) lire D'Acier, le roman d'une Italie sans futur (juillet 2011)

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